key: cord-0059980-e5pd1inz authors: Camaji, Laure title: La Solidarité Entre Générations Au Sein Du Système De Retraite Français date: 2020-06-01 journal: Solidarity Across Generations DOI: 10.1007/978-3-030-50547-9_5 sha: a4ee645006c77d7c8e75c31db8119e5e9f12ff53 doc_id: 59980 cord_uid: e5pd1inz La France a engagé un processus de réforme des retraites depuis une trentaine d’années. Les réformes successives poursuivent des objectifs assez différents : assurer la pérennité financière du système de retraites entre 1993 et 2014, accroître la lisibilité des pensions et accompagner les mobilités professionnelles en 2019. Néanmoins, elles sont guidées par une même boussole : un « pacte entre les générations » structure le système de retraites français. Au fil des lois, la technique financière de la répartition est entrée dans le champ normatif et a été associée à la notion de solidarité. Devenue une référence normative en matière de retraites, la solidarité entre les générations revêt plusieurs sens dans les textes et la jurisprudence. Toutefois, cet argument est principalement mobilisé par les juges pour conforter les choix opérés par le pouvoir normateur. Les atteintes aux pensions de retraite restent peu discutées par les juges français, bien que des ressources argumentatives existent. 1 Introduction : l'évolution des retraites françaises À l'instar des autres pays européens, les évolutions socio-démographiques et le nouvel environnement économique ont conduit la France à engager un processus de réforme des retraites depuis une trentaine d'années. Initié au début des années 1990, il s'inscrit dans un contexte politique marqué à la fois par la limitation des dépenses publiques et la difficulté de réformer un système doté d'une très forte légitimité sociale 1 . La France a fait le choix de préserver le modèle d'assurances sociales fondé en 1945, financé en répartition par des cotisations proportionnelles au salaire. Face aux difficultés apparues dans les années 1980, les gouvernements ont d'abord choisi de recourir à l'option politique qui faisait consensus à l'époque : l'augmentation des cotisations retraites. Puis, les réformes successives (1993, 2003, 2010, 2014) ont adapté le système de manière progressive. Il a été procédé à l'allongement de la durée de cotisation, à la modification du calcul du salaire de référence ainsi qu'à la désindexation des pensions sur les salaires au profit d'une revalorisation sur les prix. L'âge légal de la retraite a également été reculé en 2010. Ainsi, les ajustements paramétriques ont été longtemps privilégiés pour maintenir l'équilibre financier des régimes. Ces réformes se sont traduites par un renforcement du caractère contributif des retraites. Elles ont permis de modérer l'évolution du montant des pensions. Les retraites ont continué de croître en euros constants sous l'effet noria 2 , mais à long terme, ces réformes produiront une baisse de la pension moyenne de l'ensemble des retraités relativement au revenu d'activité moyen jusqu'en 2070 3 . Bien que le système de retraite reste vulnérable aux aléas de croissance à long terme 4 , ces adaptations ont conduit à absorber les chocs démographiques à moyen terme et à rétablir son équilibre financier. En dépit de ces projections confirmant la pérennité du système français, une évolution décisive se dessine actuellement. Envisagé dès la réforme de 2010 comme une perspective à débattre, le passage de pensions en annuités vers des retraites à points est aujourd'hui entré dans une phase préparatoire 5 . Ce changement majeur, qualifié de réforme systémique 6 , participe d'un réaménagement plus profond. En effet, l'objectif principal de la réforme est de créer un régime universel appelé à se substituer aux multiples régimes professionnels aujourd'hui existants. Dans ce nouveau régime unique, commun à l'ensemble des assurés sociaux, les règles seront les mêmes pour tous, alors qu'aujourd'hui les taux de cotisations et le mode de calcul des pensions diffèrent d'un régime à un autre 7 . L'exigence, selon le Gouvernement, est de faire évoluer un système jugé désormais « trop complexe, générateur d'injustice [qui] pénalise les mobilités professionnelles ». La simplification s'appuie sur une nouvelle règle de calcul des pensions : « un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le montant où il a été versé et quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». La migration des régimes par annuités vers un régime par points est donc adossée à une refonte de l'organisation d'ensemble. Elle vise à dépasser les logiques de statuts professionnels qui constituaient le coeur du modèle fondé en 1945. 2 De la retraite par répartition à la solidarité entre les générations dans le système de retraite français : l'affirmation progressive d'une norme juridique Les réformes successives poursuivent des objectifs assez différentsassurer la pérennité financière du système de retraites entre 1993 et 2014, accroître la lisibilité des pensions et accompagner les mobilités professionnelles en 2019. Néanmoins, elles sont guidées par une même boussole : un « pacte entre les générations » structure le système de retraites français. Il s'incarne dans une modalité spécifique de financement : la répartition. La réaffirmation de ce choix en ouverture de chaque séquence législative pose le cadre politique général ; c'est bien pour assurer la permanence de ce modèle social que des changements s'imposent aux citoyens. D'abord simple technique financière, la répartition a été transmuée, au fil des lois, en une composante fondamentale de la solidarité qui est à l'oeuvre dans l'institution de la Sécurité sociale française. En témoignent les premières phrases des exposés des motifs des projets de loi 8 . Érigée en amont de la réforme de 2003 comme un « 8 « Pour que la France puisse préserver son modèle social, au coeur du pacte républicain, des réformes structurelles sont nécessaires. Parmi ces réformes, trop longtemps différées, celle de l'avenir du système de retraite tient une place essentielle. Le principe de la répartition caractérise notre système. Ce principe relève d'un choix de société, fondé sur la solidarité entre les Français et entre les générations. Ce choix de société, le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés, par la réforme, à en assurer la permanence » (2003) ; « Le présent projet de loi vise à rééquilibrer et pérenniser le modèle français de retraites par répartition fondé sur la solidarité. Cette solidarité est au coeur de notre pacte républicain et elle s'exprime aussi bien entre actifs et retraités qu'entre personnes d'une même génération, pour tenir compte des aléas de la vie. » (2010) ; « Notre système de retraite par répartition est un des piliers du modèle social français, auquel nos concitoyens sont fortement attachés. Il est au coeur du pacte républicain qui rassemble les différentes générations. Ce pacte entre les générations suppose une confiance partagée : confiance dans le fait que le système de retraite permettra à chacun, lorsque son tour viendra, d'en bénéficier ; confiance dans le fait que le système est juste et que les efforts sont partagés par tous. C'est pour rétablir la confiance dans l'avenir de notre système de retraite que le Gouvernement a engagé, il y a maintenant plus d'un an, une concertation sur ses évolutions. » (2014) ; « l'enjeu consiste à renforcer les solidarités inter-et intragénérationnelles. Le président du COR a par ailleurs indiqué les principes sous lesquels se place notre système de retraite : la lisibilité, la transparence, la solidarité et sa solidité en adéquation avec les objectifs macro-économiques. » (Allocution de Jean-principe général de la réforme des retraites », la technique de la répartition a été dotée d'une valeur législative dans le texte finalement adopté. Elle est ainsi entrée dans le champ normatif : « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au coeur du pacte social qui unit les générations. Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu'ils ont tirés de leur activité. » (art. L.111-2-1 CSS 9 ). Logée en ouverture du Code de la sécurité sociale, dans les « généralités » exposant l'organisation de la sécurité sociale, la formule occupe une place qui pourrait lui conférer un rôle dans l'interprétation des dispositions normatives de sécurité sociale, la rapprochant d'un principe législatif. Elle est aussi porteuse de la philosophie du système de sécurité sociale français. Elle est complétée par des objectifs jouant le rôle d'instruments de pilotage du système de retraite dans la durée 10 . La mise en exergue de la technique de la répartition a certainement pour fonction primordiale d'asseoir la légitimité des réformes. Arrimées à la poursuite et à l'approfondissement de la solidarité, les réformes acquièrent une forme d'autorité politique dont le Gouvernement ne peut faire l'économie, tant le système de retraite français entretient des liens intimes avec l'idée -ou l'institution -démocratique 11 . Cet impératif s'exprime bien dans le Livre Blanc sur les retraites de 1991. Ce rapport du Premier ministre a sans doute inspiré toutes les réformes postérieures des années 1990 et 2000. Livrant aux citoyens la situation de l'ensemble des régimes de retraite et leurs perspectives d'évolution, son ambition était de poser les termes du débat et de préparer la première réforme d'envergure qui sera finalement adoptée en 1993. Sous-titré « Garantir dans l'équité les retraites de demain », il proposait différentes options pour faire face aux effets du vieillissement démographique. Il s'ouvrait par une ambition politique : « La France a fait en 1945 le choix de la solidarité en organisant son système de retraite sur la base de la répartition. Confirmer ce choix fondateur entraîne des obligations fortes. La répartition repose sur un contrat implicite entre les générations. Il importe donc d'en expliciter les termes, d'en vérifier l'application et de s'interroger sur les conditions de son actualisation dans la justice sociale. » 12 . Paul Delevoye le 19 avril 2018 en clôture du colloque du Sénat consacré à la réforme des retraites, Sénat 2018, p. 65). 9 Initialement inscrite à l'article 1 er de la loi de 2003, la formule a été codifiée à l'article L.161-17 A du Code de la sécurité sociale par la loi de 2010 (dans la partie du Code dédiée aux retraites), puis réécrite et transposée à l'article L.111-2-1 par la loi de 2014 et placée dans les dispositions inaugurales du Code relatives à l'organisation de la sécurité sociale. Elle est très probablement amenée à être modifiée avec la réforme à venir. 10 Le Conseil d'orientation des retraites, instance indépendante et pluraliste d'expertise et de concertation créée en 2000, est chargé par la loi depuis 2014 de vérifier l'atteinte de ces objectifs. Le suivi des indicateurs structure son rapport annuel et sert de base aux recommandations de modification des paramètres du système. Les objectifs sont détaillés infra. 11 Borgetto and Lafore (2000) and Bec (2014) . 12 Premier ministre (1991). La technique de la répartition et l'idée de solidarité sont donc associées dans la description des retraites françaises depuis le début des années 1990, tant sur le plan politique que juridique. Rapportée à l'échelle temporelle du système des retraites, la valeur donnée à ce mode de financement est récente. En effet, sa pleine adoption en 1945 était alors surtout justifiée par des considérations économiques 13 . Les dévaluations monétaires qui s'étaient succédé au cours de la première moitié du XXème siècle avaient révélé les faiblesses du financement par capitalisation, technique sur laquelle reposaient les retraites françaises depuis les années 1910. Le choix de la répartition était essentiellement dicté par la recherche d'une sécurisation économique des retraites ; il avait également l'avantage considérable de permettre le service de pensions de vieillesse sans attendre la constitution d'un capital. Aujourd'hui, cette modalité exprime davantage un modèle de société qu'il s'agit de promouvoir ou de sauvegarder. L'invocation de la solidarité entre les générations a pour effet de rattacher le mode de financement des retraites au principe de solidarité affirmé au premier article du Code de la sécurité sociale (« La sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale. », art. L.111-1 CSS). Comme l'observe Alain Supiot, la signification du principe de solidarité dans le champ de la sécurité sociale va bien au-delà de son rôle d'organisation des assurances sociales : il fonde les droits sociaux et une citoyenneté sociale 14 . 3 La pluralité de sens de la solidarité entre les générations dans le droit français des retraites Quel(s) sens donner à la notion de solidarité entre les générations dans le droit français des retraites ? L'idée de solidarité est protéiforme. Ici, elle est certainement mobilisée dans le sens objectif de l'interdépendance entre membres d'une société (ou entre générations) 15 . Ce sens commun lui est attaché dans l'institution de la Sécurité sociale française (Supiot 2015b) . En effet, la mécanique de la répartition tient ensemble au moins trois générationslesquelles se trouvent de ce fait découpées par le dispositif en cause. Sa viabilité repose sur une croyance fondamentale, en forme de pari politique : en payant les pensions des retraités actuels, les actifs renouvellent le pacte conclu par ceux qui les ont précédés et comptent sur le fait que la génération postérieure fera de même pour eux 16 . 13 Sur l'évolution des retraites françaises, voir Bichot (2019). 14 Supiot (2015b) ; sur le principe de solidarité comme mesure du pouvoir des régulateurs en matière de protection sociale, voir Vacarie (2019). 15 Selon la classification des sens différents et complémentaires de la notion de solidarité établie par Malamoud (2015) . 16 Décrit dans le registre des sciences économiques, « le financement en répartition [se comprend] comme un substitut à l'émission de dette publique : les actifs achètent des droits futurs pour leur retraite en finançant les retraites actuelles, honorant ainsi la dette implicite vis-à-vis des générations retraitées, qui ont-elles-mêmes contribué pour leurs parents » (Bozio 2010). Considérée dans ce sens organisationnel, la solidarité entre générations ne véhicule pas d'idée d'équité ou de réduction des inégalités entre les générations. L'interdépendance entre les générations est mécaniquement réalisée tant que la technique financière n'est pas remise en cause. En d'autres termes, elle semble n'exiger que la seule pérennité financière des régimes. Tel est d'ailleurs le dessein premier des réformes adoptées en France entre 1993 et 2014 : elles sont principalement guidées par la recherche de l'équilibre financier à court et à long terme. Dès lors, une question surgit : puisque la justice produite par le système n'est pas intrinsèque au type de financement, où se situe-t-elle ? La solidarité entre les générations, invoquée dans la loi sous les traits du « pacte social qui unit les générations », est-elle porteuse de certaines valeurs ? Si l'interrogation est vaste 17 , il faut remarquer que le législateur français a posé quelques repères au fil des réformes. En effet, plusieurs objectifs sont assignés au système de retraite depuis 2003. De surcroît, ils sont inscrits dans la loi, ce qui leur confère une force normative 18 . Trois objectifs principaux ressortent : la pérennité financière du système de retraite, un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités et un traitement équitable (entre générations, entre sexes, entre régimes) 19 . D'après le Conseil d'orientation des retraites, « l'équité s'apprécie elle-même au travers de quatre dimensions : le montant des pensions de retraite et, plus largement, le niveau de vie des retraités, la durée de la retraite, la durée de la carrière pendant laquelle sont prélevées les cotisations et, enfin, le taux de prélèvement finançant les retraites. Alors que ces deux dernières dimensions permettent d'apprécier l'effort de financement des assurés en activité, les autres dimensions permettent d'apprécier ce que le système apporte aux assurés une fois retraités. » (COR 2018, p. 6). Ces objectifs apportent certainement de la substance à l'idée de solidarité entre les générations dans le système de retraite français. En effet, ils se présentent comme son développement ou son approfondissement, puisqu'ils énoncés à la suite du « choix de la retraite par répartition au coeur du pacte social qui unit les générations » (article L.111-2-1 CSS). Il convient aussi de les resituer dans la finalité des régimes, qui est de servir des pensions de retraite. A la différence des assurances et des produits d'épargne du secteur marchand, ce but ne saurait être atteint par une institution de sécurité sociale s'il ne procure pas une relative sécuritéc'est-à-dire une certaine stabilité de revenus pour les retraités actuels et une prévisibilité des ressources pour ceux qui les suivront. L'impératif de la pérennité financière des régimes ne prend pleinement son sens qu'en ce qu'il vient au soutien d'une recherche de garantie des pensions présentes et à venir. Ainsi que le précisent les objectifs législatifs, la fonction essentielle du système est « d'assurer aux retraités actuels et futurs un niveau de ressources satisfaisant, sécurisé et anticipé » 20 . Explicités par les textes et interprétés à la lumière de la mission assignée au système de retraite, ces dimensions de la solidarité entre les générations constituent autant de considérations présidant à l'évolution des régimes. Se manifestent-elles dans le droit sous une forme plus contraignante que la seule proclamation solennelle d'objectifs et du choix de la répartition ? Le contexte de ces dernières décennies rend cette interrogation plus prégnante. En effet, bien que l'adaptation permanente aux nouveaux contextes politique, social et économique soit inhérente au fonctionnement d'un système de retraite, il est manifeste que le sens de l'évolution a changé : la tendance de la dernière période est à minorer les droits à retraite, voire à les remettre en cause. Si les pensions futures sont concernées au premier chef, les pensions en cours de versement sont également impactées. Les atteintes prennent de multiples formes. Dans ce contexte, l'idée de solidarité entre les générations invite à mettre à nu les ressorts de la garantieou la fragilitédes droits des assurés sociaux. La notion est-elle convoquée dans le droit, soit comme soutien, soit comme gardefou ? Afin de mieux l'identifier, l'étude est circonscrite aux hypothèses de baisse et de transformation des pensions de retraite. Au cours de la période récente, la réponse apportée par les pouvoirs publics aux enjeux du vieillissement démographique et de l'évolution du marché du travail a principalement consisté à limiter la progression des dépenses de retraite en part du PIB 21 . Bien que la masse financière ait continué de progresser du fait de l'allongement des carrières, de la croissance des salaires et de la durée de vie, le montant et la durée de service des pensions ont été contenus de manière conséquente depuis 1993. Ces modérations ont été obtenues par le jeu des réformes dites « paramétriques » déjà évoquées ci-dessus. Afin de faciliter leur mise en oeuvre, la transition n'a bien souvent pas été immédiate. Les réformes ont été conçues pour monter en charge sur plusieurs années ou des décennies. Elles ont principalement concerné les pensions à venir, c'est-à-dire les retraites non encore liquidées. Par exemple, dans les régimes de retraite de base des salariés et des fonctionnaires, la durée d'assurance nécessaire pour obtenir une pension à taux plein a été progressivement augmentée à partir de 1993 pour les nouveaux retraités : fixée à 37.5 années en 1993, elle devrait atteindre 43 ans pour la génération 1973 dans la plupart des régimes. Le calcul du salaire annuel moyen de référence a aussi été modifié ; longtemps déterminé au regard des dix dernières années, il repose désormais sur les 25 meilleures années. Le recul de l'âge légal de la retraite a quant à lui été acté en 2010. Augmentant par paliers, la mesure a pris son plein effet en 2018. Les pensions futures ont aussi été touchées par la suppression de dispositifs de retraite particuliers ou de certains éléments de pension, comme les départs anticipés de fonctionnaires parents de trois enfants (supprimés par la réforme de 2010) ou la bonification pour enfants (modifiée à plusieurs reprises entre 2003 et 2010 dans l'ensemble des régimes). Les réformes des retraites n'atteignent pas uniquement les pensions futures. Elles sont susceptibles de concerner les pensions liquidées, c'est-à-dire celles qui sont en cours de versement. Il est vrai que ces mesures sont rares. Le législateur français privilégie de longues périodes transitoires. Toutefois, des mesures décisives affectent les retraités. Tel est le cas du changement des règles d'indexation des retraites. La mesure est peu spectaculaire, mais c'est un levier important d'économies dont l'effet est immédiat. En France, les pensions en cours de service dans le secteur privé ont été indexées sur les prix à partir des années 1980, alors qu'elles variaient auparavant avec les salaires (il en a été de même pour les salaires portés aux comptes, c'est-à-dire ceux sur la base desquels la pension est calculée). Ce principe a été confirmé par la loi de 1993 et étendu en 2003 aux pensions de la fonction publique. La modification des conditions de cumul avec les revenus d'activité impacte également les pensions en cours de versement. Plus directement, dans les régimes fonctionnant par points, il suffit de baisser la valeur de service du point pour minorer le montant de la pension en cours de service. Certains régimes ont eu recours à une telle mesure ces dernières décennies 22 . Le mode de revalorisation des pensions peut également être touché (par exemple, à l'occasion du transfert du régime complémentaire des banques vers le régime de retraite complémentaire des salariés en 1993). Enfin, certains régimes de retraite de base et complémentaires sont amenés à disparaître ou à fusionner. Les pensions de retraite sont nécessairement affectées puisqu'une transposition des droits acquis doit être réalisée dans le régime d'accueil. En France, des régimes dits « spéciaux » ont été fermés et les assurés sociaux transférés vers le régime général des salariés ; de la même façon, des régimes de retraite complémentaire propres à certains secteurs ont migré vers le régime de retraite complémentaire des salariés. La conduite de ces réformes n'est pas évidente. En effet, au niveau politique, la fusion des régimes, tout comme le basculement vers un régime par points, exigent de veiller à la conservation des droits accumulés par les assurés sociaux. Toutefois, sur le plan juridique, les droits à retraite, les cotisations sociales et les points ne se coulent pas dans la notion de la propriété individuelle 23 . Qu'elles soient futures ou 22 À titre d'exemple, le pouvoir réglementaire a modifié la valeur de service du point dans les régimes de retraite complémentaire des médecins conventionnés (1999), des chirurgiens-dentistes (2007) et des auxiliaires médicaux (2008) . Le contentieux suscité par ces mesures est examiné ci-dessous. 23 Camaji (2008) , pp. 227 et s. déjà liquidées, les pensions de vieillesse sont vulnérables aux réformes 24 . La liquidation de la retraite ne suffit pas à protéger les pensions de toute modification ultérieure. Bien que les juges français dégagent un principe d'intangibilité des pensions liquidées, ils ne lui donnent pas une telle portée 25 : « il se borne à interdire [aux caisses] de modifier le montant qu'elles ont notifié en invoquant une erreur de calcul, au-delà des délais de recours » (Attali-Colas 2019b). Ainsi, le montant et les éléments de la retraite sont cristallisés du fait de la liquidation, mais ce figement de la pension ne vaut qu'à droit constant. Les pensions non liquidées sont a fortiori plus fragiles, car avant la liquidation de la pension de vieillesse, aucune prestation sociale n'est calculée ni servie. L'assuré social se trouve dans une situation d'attente. Pour autant, toute garantie d'un droit à retraite n'est pas à exclure. Comme nous le verrons ci-après, des principes juridiques tels que le principe de sécurité juridique ou les droits fondamentaux de la personne sont des ressources susceptibles de protéger le service, ou même l'espérance, d'une pension de vieillesse. Qu'en est-il de la référence normative de la solidarité entre les générations ? 5 La solidarité entre générations en matière de retraite, une référence normative autonome mobilisée par le juge ? Deux interprétations principales se dégagent des textes. Bien souvent, la solidarité entre les générations est confondue avec la technique du financement par répartition. De la sorte, elle est « détachée des niveaux de vie » et « se traduit nécessairement par une solidarité des jeunes pauvres vers les vieux riches » (Langlois 2016). Une deuxième interprétation, plus dense, prend le visage du traitement équitable entre les générations ainsi que de la garantie d'un niveau de ressources satisfaisant, anticipé et sécurisé. Le juge relaie-t-il cette palette de sens ? Les contentieux portés devant les juges français ont jusqu'à présent principalement concerné les atteintes aux pensions liquidées. Quelles que soient les formes de mise en cause (baisse de la valeur du point, suppression d'un élément accessoire de pension, nouvelle contribution portant sur les pensions de retraites), la violation de principes supra-législatifs a été systématiquement écartée. Les juges ont confirmé l'application des mesures aux pensions en cours de service. À cette fin, ils convoquent la nécessité de rétablir l'équilibre financier du régime 26 , laquelle est 24 Voir l'analyse juridique (succincte) du secrétariat général du COR de la faisabilité technique et juridique du passage éventuel à un régime par points ou en comptes notionnels, Secrétariat général du COR (2009). 25 Pour de plus amples développements, voir Attali-Colas (2019a, b), Camaji (2008) et Langlois (2000) . 26 CE 26 mars 2010, n 323201 (abaissement de la valeur du point dans le régime de retraite complémentaire des auxiliaires médicaux) : « les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles rapportée au fonctionnement d'un régime par répartition dans plusieurs affaires 27 . La préservation de l'équilibre financier des régimes est érigée en motif d'intérêt général justifiant une baisse des pensions de retraites. Dans les affaires rapportées, le juge ne contrôle pas la réalité de la sauvegarde du régime. Il ne discute pas non plus le choix d'abaisser les pensions plutôt que d'augmenter les cotisations des actifs, ou de jouer sur les paramètres de calcul des pensions à venir. En d'autres termes, les juges se gardent d'apprécier les choix qui ont été faits par les gestionnaires des régimes par répartition. Il est vrai, cependant, que l'atteinte aux pensions liquidées demeurait mesurée dans les affaires en cause : le montant des pensions n'était pas beaucoup amputé, ce qui dispensait sans doute les juges d'apprécier une éventuelle disproportion. Aucune décision d'une juridiction française n'a réellement mis en oeuvre un contrôle au prisme de la solidarité entre les générations. Si la référence apparait dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur ; qu'il ne peut toutefois le faire qu'à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de justifier cette atteinte ; qu'en l'espèce le législateur, qui a entendu préserver par diverses mesures la pérennité des régimes complémentaires de vieillesse des professions médicales et paramédicales, dont l'équilibre financier était gravement compromis, ainsi que l'équité entre les générations, n'a pas porté, en tout état de cause, une atteinte disproportionnée aux droits des bénéficiaires de ces régimes en prévoyant une révision, pour l'avenir, de la valeur de service du point de retraite applicable aux pensions et pensions de réversion déjà liquidées » ; Cass .soc. 23 nov. 1999, n 97-18980, arrêt dit AGIRC (contribution assise sur toutes les pensions de retraite dans le régime de retraite complémentaire des salariés Agirc) : « aucun texte légal ou réglementaire, ni aucun principe général n'interdisait de prévoir, afin de maintenir l'équilibre obligatoire du régime, la participation de l'ensemble des retraités au financement d'une contribution de solidarité en faveur de certaines catégories de cadres défavorisés par la situation économique ». 27 Cass. 2è civ. 17 avril 2008, n 07-12144 (abaissement de la valeur du point dans le régime d'assurance vieillesse des médecins): « l'arrêt retient qu'il incombe aux institutions de retraite complémentaire d'assurer en permanence l'équilibre financier des régimes qu'elles gèrent et qu'elles doivent, conformément à l'article L. 922-11 du code de la sécurité sociale, adapter leurs dispositions pour définir de nouvelles modalités assurant la sauvegarde des droits de leurs adhérents ; que le régime des avantages sociaux vieillesse supplémentaires (ASV) est un régime d'origine légale et obligatoire, fondé sur le principe de la répartition ; que la modification de la valeur du point de retraite, qui peut varier dans le temps en fonction de divers éléments et, notamment, de l'évolution du coût de la vie mais aussi de la nécessité d'assurer l'équilibre financier du régime, ne saurait être considérée comme la remise en cause des droits liquidés au profit de l'assuré, le nombre de points de retraite lui-même demeurant inchangé ; qu'ainsi l'application de la nouvelle valeur du point de retraite telle que fixée par le décret du 26 mars 1999 aux pensions déjà liquidées ne contrevient ni au principe d'intangibilité des droits liquidés ni au principe de non-rétroactivité des dispositions de nature réglementaire et ne constitue pas une atteinte injustifiée au droit de propriété » (1 ère espèce) ; « n'est pas contraire aux dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prescrivant le respect des biens l'application immédiate d'un texte réglementaire modifiant la valeur du point de retraite d'un régime de retraite par répartition dont les prestations sont versées chaque année au moyen des cotisations recouvrées, dès lors que cette application immédiate est commandée par la nécessité d'intérêt général consistant à assurer l'équilibre financier de ce régime et qu'elle ne revêt pas un caractère disproportionné » (2 ème espèce, n 07-12143). explicitement dans quelques arrêts de la Cour de cassation (ou sous la forme de « l'équité entre générations » ou de « la solidarité »), elle ne semble pas asseoir un réel contrôle du juge. Elle a plutôt vocation à conforter la compétence du pouvoir normateur de déterminer et de faire évoluer les paramètres d'un régime par répartition. En témoigne un arrêt de 2010 : le législateur a entendu préserver l'équilibre financier du régime ainsi que « l'équité entre générations » 28 . L'invocation de l'équité entre générations paraît souligner la responsabilité du pouvoir normateur d'assurer la pérennité d'un régime par répartition ; la référence a donc une vertu pédagogique, explicative. La solidarité entre générations est également citée dans des affaires concernant l'exclusion de certaines catégories d'assurés du bénéfice de la pension 29 . L'idée de solidarité entre générations semble être sollicitée dans le même sens : elle tend à décrire le fonctionnement d'un régime par répartition et la fonction de la cotisation sociale dans ce type de régimes, afin de les distinguer des retraites par capitalisation. Un dernier arrêt peut être cité. Dans une décision de 2001 30 , l'idée de solidarité revêt les caractères d'une norme que la Cour de cassation 28 CE 26 mars 2010, n 323201, précité. 29 Dans un litige concernant le régime de retraite complémentaire des salariés cadres, la Cour de cassation valide la mesure en relevant qu'un régime par répartition « qui repose sur la solidarité entre les professions et les générations, ne fait pas dépendre les droits des retraités de leur épargne personnelle, mais de la capacité contributive des actifs et de leurs employeurs » (Cass. soc. 22 juin 2000 n 99-15501). En l'espèce, un avenant à la convention collective nationale avait exclu du bénéfice de la pension de retraite complémentaire certaines catégories de travailleurs exerçant plusieurs activités (l'exclusion concernait ceux qui relevaient d'un régime spécial de sécurité sociale pour leur retraite de base). Leur affiliation au régime complémentaire était maintenue pour l'activité relevant de ce régime, mais ils étaient exonérés de leurs cotisations personnelles. Les cotisations patronales restaient dues sans contrepartie. Dans un arrêt de 2013, la Cour de cassation rappelle la nature d'un régime par répartition pour confirmer la décision de la caisse du régime de retraite des masseurs-kinésithérapeutes de refuser de liquider la retraite complémentaire d'un assuré n'ayant pas apuré sa dette de cotisations (Cass. 2è civ. 28 nov. 2013 n 12-27029). L'assuré soutenait que le refus de liquidation de la pension constituait une violation du droit au respect des biens, énoncé par l'article 1 er du protocole n 1 de la CEDH : dès lors que l'intéressé était privé de tout droit à pension, et non pas seulement de la prise en compte des années pour lesquelles il n'avait pas acquitté toutes les cotisations exigibles, la réglementation était disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. La Cour de cassation ne retient pas cette analyse. Elle énonce que « selon l'article 10 des statuts relatifs au régime de retraite complémentaire de la CARPIMKO, pour bénéficier de la retraite complémentaire, les affiliés doivent avoir versé toutes les cotisations exigibles et avoir l'âge prévu par les articles 11 et 12 ; [. . .] ne constitue pas une atteinte au droit de propriété le régime de retraite complémentaire de la CARPIMKO, fondé sur la solidarité entre générations, les pensions de retraite reçues par les retraités étant directement financées par les cotisations sociales prélevées sur les revenus des actifs, lesquels ne peuvent pas s'en déclarer propriétaires ; [. . .] la cour d'appel a exactement déduit de ces énonciations que la demande de pension de retraite complémentaire devait être rejetée ». 30 Cass. soc. 31 mai 2001, n 98-22510. Cette affaire concernait le transfert du régime de retraite des banques vers les régimes de retraite complémentaire des salariés. L'accord réalisant le transfert prévoyait le maintien du niveau des pensions atteint par les pensionnés avant le transfert et créait un « complément bancaire » de manière à harmoniser le montant avant transfert et le montant tel que calculé en fonction des règles de l'AGIRC et de l'ARRCO. Cependant, le mode de revalorisation des pensions bancaires aux fins de calcul du complément entraînait une érosion progressive de la mobilise pour contrôler certaines mises en cause des droits à retraite. Elle mentionne le « principe de solidarité » pour contrôler la validité d'un avenant à la convention collective faisant évoluer les droits des pensionnés dans le régime de retraite complémentaire des salariés. Toutefois, ce principe est plutôt convoqué pour conforter la compétence des partenaires sociaux que pour soutenir le contrôle par le juge des modalités choisies par les gestionnaires. Dans cet arrêt, la solidarité est érigée en exigence de justification du pouvoir de gestion d'un régime conventionnel de retraite fonctionnant par répartition. Les contours du contrôle et la teneur du principe ne sont pas explicités par la Cour ; les modalités choisies par les partenaires sociaux pour réaliser le transfert du régime bancaire sont jugées conformes aux règles légales sans être discutées. Il est donc difficile de cerner les limites aux atteintes aux droits à pensions que pourrait impliquer le principe de solidarité. Il semble plutôt légitimer l'évolution des paramètres du régime, en considération de la responsabilité des gestionnaires d'assurer l'équilibre financier du régime. Comme le relève l'avocat général dans ses conclusions, le principe de solidarité est « le principe fondateur des régimes de retraite par répartition qui repose précisément sur une solidarité entre générations et fonctionne dans la recherche constante d'un équilibre entre un service décent des prestations pour les retraités et des cotisations supportables pour les actifs ». Ces décisions de justice montrent que la solidarité entre les générations n'est pas invoquée comme une norme autonome fondant un contrôle du juge. Elle est plutôt mobilisée comme un motif de nature à écarter la violation de principes supralégislatifs. De plus, le sens qui lui est donné est assez pauvre, puisque cette idée est soit assimilée à la technique de la répartition, soit confondue avec l'argument financier de l'équilibre des régimes. Cependant, le débat relatif à la sécurisation juridique des pensions est-il épuisé ? 31 Il est indéniable que le principe de sécurité juridique et les droits fondamentaux de la personne ouvrent d'autres espaces de discussion dont les juges ont la faculté de se saisir. pension initiale, de telle sorte que la nouvelle pension n'évoluait que peu ou pas. Les pensionnés soutenaient que l'accord violait un principe d'intangibilité des pensions liquidées. Ecartant cette notion, la Cour de cassation valide la mesure conventionnelle au motif, notamment, qu'elle « garantit » « le principe de solidarité ». 31 L'expression de « sécurisation juridique » est empruntée à Attali-Colas (2019a, b). Le principe de sécurité juridique est d'apparition récente dans la jurisprudence française et communautaire 32 . Il soutient une exigence de prévisibilité du droit et conduit à un contrôle strict de la rétroactivité de la loi. Il peut aussi exiger du législateur qu'il justifie son intervention ou qu'il l'accompagne de tempéraments, lorsqu'il est porté atteinte à des situations légalement acquises que le sujet de droit pouvait tenir pour stables. En matière de retraite, les juges français invoquent ce principe pour affirmer l'intangibilité du nombre de points acquis dans les régimes par points 33 . Par extension, le principe pourrait servir de fondement à l'intangibilité des éléments de calcul de la pension (nombre de trimestres validés, assimilation de périodes non travaillées à des périodes cotisées dans les régimes par annuités, salaire de référence). Cependant, à la lecture des arrêts, la portée du principe ne semble pas s'étendre à d'autres éléments constitutifs des pensions (par exemple : le mode de revalorisation des retraites, les majorations et les compléments de pension), ni au montant de la pension liquidée. En effet, ces changements ne sont pas analysés comme des mesures portant atteinte à l'acte de liquidation ; une rétroactivité n'est pas identifiée 34 . Une autre argumentation, fondée sur la protection de la confiance légitime que le sujet de droit place dans une situation légalement acquise, pourrait être retenue. L'acte de liquidation ne crée-t-il pas une confiance légitime de l'assuré social à percevoir une certaine pension de retraite ? Le Conseil constitutionnel a 32 La valeur normative de ce principe est incertaine en droit français : le Conseil constitutionnel n'a jamais reconnu son rang constitutionnel en tant que tel, mais il a consacré la valeur constitutionnelle de plusieurs aspects de ce principe qu'il rattache à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ( rendu une décision intéressante à ce propos il y a quelques années 35 . Saisi de la suppression progressive du complément de pension dont bénéficient les retraités fonctionnaires installés en outre-mer, il semble admettre une certaine intangibilité du montant de la pension de retraite liquidée. Si le Conseil écarte la violation du principe de la garantie des droits, sa décision paraît établir une distinction entre le montant de la pension de base et les autres éléments qui viennent s'ajouter à cette pension de base, qualifiés d'accessoire de pension. Ainsi, des nuances de l'intangibilité des pensions liquidées fondée sur le principe de la sécurité juridique se dessinent. D'un côté, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel admettent une certaine intangibilité des pensions, dans le sens où les éléments de calcul de la pension (hors accessoires de pension) doivent être considérés comme cristallisés lors de la liquidation. De l'autre, le montant des pensions peut être minoré. Les droits fondamentaux sont également susceptibles d'assurer une protection de la jouissance des pensions de retraite. Deux normes sont aujourd'hui sollicitées en ce sens : le droit de chacun au respect de ses biens, reconnu par l'article 1 er du protocole n 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, et le droit fondamental à la sécurité sociale. Elles permettent d'envisager la garantie d'une certaine stabilité de la pension. Elles recèlent aussi l'exigence d'un certain niveau de pension de retraite, d'un certain degré de protection assuré par la sécurité sociale pendant la retraite. L'article 1 er du protocole n 1 de la Convention européenne des droits de l'homme consacre un droit de chacun « au respect de ses biens » 36 . Il est aujourd'hui fréquemment avancé pour contester la mise en cause des droits à retraite. Cependant, il comporte deux limites. En premier lieu, le droit à retraite ne sera considéré comme un bien au sens de ce texte que dans certaines circonstances. En effet, puisque la naissance du droit à pension suppose de réunir des conditions légales ou conventionnelles, comment considérer que ce droit existe et constitue un bien à protéger lorsque l'évolution des conditions entraîne la suppression du bénéfice d'une pension de retraite ? La notion de droit à une pension de retraite inclut-elle la jouissance d'une pension pour l'avenir ? Saisie d'affaires diverses 37 , la Cour européenne des droits de l'homme se montre mesurée 38 . Elle est encline à considérer la mise en cause des droits à retraite pour l'avenir comme une atteinte au droit au respect des biens. Cependant, elle ne le reconnait pas systématiquement. La notion « d'espérance légitime » restreint son analyse. Cette espérance naît, par exemple, de l'adhésion à un régime de retraite obligatoire, du versement de cotisations sociales, ou encore de l'engagement d'un employeur d'octroyer un avantage de retraite à ses anciens salariés. La seconde limite est plus forte. Cette norme européenne implique que soient mis en balance l'intérêt individuel à bénéficier de la pension de retraite et l'intérêt général. Seule la disproportion est sanctionnée. Tel est le cas d'une suppression brutale et totale d'une pension de retraite pour l'avenir, mais cette hypothèse est rare. Il faut donc remarquer qu'en l'état de la jurisprudence de la Cour EDH, l'intérêt général de sauvegarde de l'équilibre financier du régime suffit à valider les mesures. Le juge européen, à l'instar des juges français, se refuse à discuter l'argument. Cette norme se révèle ainsi largement incapable d'appréhender les révisions du droit à pension, et plus généralement le droit à pension de retraite lui-même. Le droit fondamental à la sécurité sociale, dont pourrait découler un droit fondamental à la retraite, confère-t-il une meilleure protection ? En l'état actuel du droit positif français, cette piste est tout aussi incertaine. En effet, cette référence normative est très peu sollicitée par les juges français. Aucun droit fondamental ou droit de l'Homme à la retraite n'a été reconnu jusqu'à présent dans la jurisprudence. D'une manière générale, les juges recourent peu à la référence au droit fondamental à la sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel énonce une exigence de valeur constitutionnelle de la mise en oeuvre d'une « politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités » dont il trouve le fondement dans une norme à valeur constitutionnelle (l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946). Cependant, il ne lui donne pas de portée significative et laisse au législateur une très grande marge de manoeuvre pour décider de la manière dont la solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités doit se réaliser. Plus largement, le Conseil constitutionnel admet sans détour que le législateur est maître du niveau de protection sociale ; il ne consacre pas véritablement l'existence d'un seuil minimal de protection sociale en deçà duquel le droit à la sécurité sociale serait violé 39 . À la lecture des décisions du Conseil, la seule hypothèse qui donnerait sans doute lieu à sanction serait celle de la disparition pure et simple d'un régime de retraite. Dans un pareil cas, le législateur priverait l'exigence constitutionnelle de « toute garantie légale ». Mais cette hypothèse est la plus extrême 40 . Au terme de cette étude, des gisements argumentatifs sont disponibles pour discuter l'évolution des régimes de retraite. Bien qu'elle ne soit pas véritablement mobilisée par les juges, l'idée de solidarité entre les générations est sans doute encore plus féconde que l'appel aux droits fondamentaux car à la différence de ces derniers, la notion de solidarité saisit la « dynamique collective » 41 de la sécurité sociale. 7 Annexes : présentation synthétique du système de retraite français Elles représentent à elles seules près de la moitié de l'ensemble des prestations de protection sociale (soit 14.6% du PIB pour un total de 32.1%) 42 . En moyenne, le montant mensuel des pensions de droit direct est estimé à 1389 euros en 2016 43 . Les pensions de la plupart des assurés sociaux sont composées d'une retraite de base et d'une retraite complémentaire. La distinction est mince entre ces deux composantes, car les régimes de base et complémentaires présentent des caractéristiques communes les assimilant à un premier « niveau » de pensions dans les comparaisons internationales. En effet, toutes ces prestations sont servies par des régimes obligatoires (interprofessionnels ou catégoriels) d'envergure nationale et sont financées en répartition. Ces dispositifs assurantiels sont renforcés par des allocations d'aide sociale au bénéfice des ménages âgés à faible revenu. Les retraites françaises sont donc principalement financées par les Administrations de Sécurité sociale, gestionnaires des divers régimes de retraite. En marge de ces institutions, des dispositifs facultatifs dits de « retraite supplémentaire », financés en capitalisation Le Conseil constitutionnel n'encadre pas le choix du législateur de renforcer les conditions d'accès aux pensions de retraite, de minorer le montant des pensions, de supprimer un élément de pension. Il est d'ailleurs remarquable que dans sa décision relative à l'indemnité temporaire en faveur des retraités d'outre mer Contribution à l'étude de la sécurisation des retraites. PUAM, Aix-Marseille Attias-Donfut C (1995) Les solidarités entre générations. Vieillesse, familles. Etat. Nathan, Paris Bec C (2014) La Sécurité sociale La République sociale. Contribution à l'étude de la question démocratique en France Recherche sur la nature des droits des bénéficiaires de prestations sociales. Dalloz, coll Les solidarités entre générations -solidarity between Generations En quête de l'idée de solidarité dans l'Inde ancienne Actes du colloque du Sénat sur la réforme des retraites Paris Vacarie I (2019) Le principe de solidarité à l'épreuve du Pacte européen de stabilité et de croissance La sécurisation juridique des pensions de retraite liquidées : entre réalisme et démystification La Sécurité sociale au prisme de la discipline budgétaire européenne Brève histoire critique de notre assurance vieillesse, Revue de droit sanitaire et social Les effets d'un accord révisant un régime complémentaire obligatoire La solidarité entre générations en question La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l'édification d'un Etat de droit social La solidarité en questions Études et rapports officiels Evolutions et perspectives des retraites en France La protection sociale en France et en Europe en 2016 Comment réduire la sensibilité du système de retraite à la croissance ? Actions critiques Un contrat entre les générations. Gallimard, coll. Folio actuel, Paris Secrétariat général du COR (2009) Préparation au rapport sur les modalités techniques d'un passage éventuel à un régime par points ou un régime en comptes notionnels