key: cord-0030748-hyiuvl0o authors: Sibley, Stephanie; Buller-Hayes, Leslie; Ross, Graeme title: Les soins palliatifs en temps de pandémie date: 2022-02-28 journal: CMAJ DOI: 10.1503/cmaj.211210-f sha: cdd789768c9e00bcf3a7e12c25f1ce9d8de953dd doc_id: 30748 cord_uid: hyiuvl0o nan L eslie m'a arrêté à l'extérieur de la chambre de Lucille à l'unité de soins intensifs (USI). « Lucille a décidé qu'elle ne voulait plus vivre ainsi. Pourriez-vous aller lui parler? » J'ai grimacé derrière mon masque. Exercer la médecine depuis 1 an en pleine pandémie de COVID-19 ne nous avait pas épargnés, et l'énergie et le moral des troupes de l'USI commençaient à s'épuiser. Cette conversation aurait été difficile même dans les meilleures cir constances, mais l'augmentation des obstacles à la communication avec les patients et les familles -davantage d'équipement de protection individuelle, de patients et de restrictions aux visiteurs -rendait la situa tion encore plus difficile. Les tâches qui étaient auparavant ordinaires nous semblaient maintenant une montagne. Des demandes que nous aurions normalement tout fait pour satisfaire recevaient toujours la même réponse : « Non. » Les répercussions de la pandémie devenaient de plus en plus évidentes, et comme pour un grand nombre de nos collègues 1 , le mot épuisement était de plus en plus souvent prononcé dans notre USI. On a immédiatement refusé ma suggestion que le travailleur social vienne rencontrer Lucille. Lucille avait un plan et elle voulait en discuter avec son médecin. Lucille avait environ 70 ans et menait un mode de vie actif. Son époux et elle avaient construit un gîte touristique entièrement hors réseau qu'ils avaient exploité jusqu'à leur retraite, 5 ans auparavant. Depuis, ils avaient passé leurs journées à l'extérieur à jardiner, à marcher sur les kilomètres de sentiers de leur propriété et à rendre visite à leur perdrix (presque) domestique nommée Harriett. Puis, soudainement, tout a changé. Lucille était montée sur un escabeau pour net-toyer des rideaux lorsqu'elle est tombée et a subi une lésion médullaire, la rendant quadriplégique. Bien qu'elle eût initialement accepté une trachéotomie et une ventilation mécanique prolongée, elle souffrait de douleurs cervicales difficiles à soulager et du chagrin d'avoir perdu la vie qu'elle aimait. Elle avait décidé qu'elle ne voulait plus des traitements de maintien de la vie et souhaitait faire la transition vers des soins de confort, à une condition : elle voulait le retrait de ces traitements dans le confort de sa maison de campagne, entourée de ses proches et de ses animaux de compagnie. Au cours des jours qui suivirent, nous avons exploré les raisons pour lesquelles Lucille avait changé d'avis et étudié la possibilité d'ajouter des éléments à son plan de soins. Nous avons consulté la clinique de la douleur pour voir s'il était possible de prendre en charge sa douleur de façon plus efficace, mais Lucille était réticente à utiliser des médicaments par crainte qu'ils n'embrouillent son esprit. Nous lui avons offert des consultations avec nos équipes de psychiatrie et de soins spirituels, mais elle les a déclinées. Elle a refusé une évaluation de son admissibilité à l'aide médicale à mourir, disant ne pas vouloir de la période d'attente obligatoire de 10 jours. Lucille était inébranlable dans son projet de rentrer à la maison, et nous avons fait de notre mieux pour lui assurer que nous tenterions de faire les arrangements nécessaires, sachant très bien que le transport d'un patient sous ventilation à la maison représentait un défi considérable et que Lucille serait très déçue si nous échouions. Il est inhabituel d'offrir des soins palliatifs à domicile à des patients sous ventilation à l'USI, mais il est fréquent pour ces derniers ou leurs mandataires de les demander lors des discussions sur les soins de fin de vie 2 . Lorsqu'on leur offre le choix, les patients en phase terminale préfèrent terminer leurs jours à la maison, et les familles font état d'une plus grande satisfaction à l'égard des soins, du soutien et du respect des croyances culturelles et religieuses lorsque le retrait des traitements de maintien de la vie se produit à domicile plutôt qu'à l'hôpital 3 Lucille a été accueillie par un ciel bleu sans nuage à sa sortie de l'ambulance. Elle était dans son jardin idyllique, souriante et les yeux clos, goûtant la chaleur du soleil sur son visage. La neige fondait, révélant les nombreuses plates-bandes qu'elle avait amoureusement entretenues. Les oiseaux chanteurs se régalaient des graines laissées sur le patio, embêtés par des écureuils gourmands qui cherchaient une collation. Même Harriett avait permis -non sans rechignerqu'on la mette en cage pour qu'elle puisse faire ses derniers adieux. Les amis de Lucille emplissaient l'allée, et bien que les proches nous eussent assuré que seule la famille immédiate serait présente dans la maison, il était évident que les voisins étaient venus; toutes les surfaces étaient couvertes de sandwichs et de pâtisseries. La musique country préférée de Lucille jouait en arrière-plan et le parfum de douzaines de bouquets composés de ses fleurs favorites flottait dans l'air. Nous avons transféré Lucille dans le lit d'hôpital placé dans son salon et nous nous sommes retirés sur le patio pour laisser un peu d'intimité à la famille. Nous étions assis tout juste de l'autre côté de la porte, et même si nous n'étions pas plus éloignés de son lit que nous l'aurions été à l'USI, nous étions à des kilomètres en ce qui a trait aux soins que nous prodiguions. À la fin, ce gîte isolé qui servait de retraite en pleine nature était le refuge de Lucille, après un séjour dans la bruyante et animée USI, où les alarmes n'avaient de cesse de résonner. Son époux s'est allongé avec elle dans le lit accompagné de leur chien, lui murmurant et chantant au son de la radio. La médication de confort était graduellement augmentée dans la ligne intraveineuse de Lucille, et la fréquence respiratoire du ventilateur était lentement diminuée, jusqu'à ce qu'il soit débranché. Lucille était sereine et calme, faisant tout juste un petit mouvement de la tête lorsqu'on lui a demandé si elle était essoufflée. Elle est décédée paisiblement environ 2 heures plus tard. Les avantages du retrait des traitements de maintien de la vie à domicile étaient évidents pour Lucille et sa famille. Elle a été en mesure de mourir à la maison et d'avoir le contrôle sur la fin de sa vie, un contrôle que sa lésion lui avait volé. Sa famille était reconnaissante pour les quelques heures précieuses passées avec elle, un accompagnement qui n'aurait pu être possible à l'hôpital en raison des contraintes mises en place pour les visiteurs. L'expérience a eu aussi un profond impact sur les membres de l'équipe des soins intensifs. Travailler au coeur de la pandémie a été très éprouvant pour les professionnels de la santé; la détresse psychologique et la distance qu'elle a engendrée ont un effet considérable sur les soins que nous prodiguons au quotidien. Ce geste de gentillesse nous a donné la capacité de surmonter cette distance -d'être à l'écoute, de collaborer, de tirer profit de l'expertise, des réflexions et des opinions de notre groupe si diversifié et d'élaborer un solide plan à volets multiples centré sur notre patiente. Nous étions unis dans un but commun et nous avons surmonté les obstacles que la pandémie a placés sur notre route. Après une année à dire « non », notre moral a remonté : nous pouvions finalement dire « oui ». Nous étions portés par l'occasion d'honorer le souhait de notre patiente; cependant, la motivation était encore plus profonde. Dans un moment où des soins de fin de vie remplis de compassion étaient plus difficiles à fournir que jamais, accompagner Lucille à la maison nous a montré que malgré les circonstances, il nous est toujours possible de prodiguer ces soins empathiques dont nous avons l'habitude, grâce à l'engagement et à la créativité de notre équipe exceptionnelle. Symptoms of burnout in intensive care unit specialists facing the COVID-19 outbreak Factors considered important at the end of life by patients, family, physicians, and other care providers The going home initiative: getting critical care patients home with hospice Pediatric critical care transport as a conduit to terminal extubation at home: a case series Withdrawal of ventilatory support at home on hospice Cet article a été révisé par des pairs Il s'agit d'une histoire vraie. L'époux de la patiente a donné son consentement signé pour qu'elle soit rendue publique Propriété intellectuelle du contenu : Il s'agit d'un article en libre accès distribué conformément aux modalités de la licence Creative Commons Attribution (CC BY-NC-ND 4.0), qui permet l'utilisation, la diffusion et la reproduction de tout médium à la condition que la publication originale soit adéquatement citée, que l'utilisation se fasse à des fins non commerciales (c.-à-d. recherche ou éducation) et qu'aucune modification ni adaptation n'y soit apportée. Voir : https://creativecommons.org/licenses/by -nc-nd/4.0/deed.fr.