B O Y E R D ' A G E N m >314- Comment est mort Léon XIII d'après Un "Diario" d'Adriano Pierconti P A R I S H. FALQUE, ÉDITEUR J 5 , R D E D E S A V O I E , L 5 B O Y E R D ' A G E N Comment est mort Léon XIII d'après Un "Diario" d'Adriano Pierconti P A R I S H. FALQUE, ÉDITEUR I 5 , R U E D E S A V O I E , l 5 I9O7 COMMENT EST MORT LÉON XIII Si, au dire de Beaumarchais dont le mot célèbre semble avoir préludé à la tourmente de 1793, il est des gens qui n'ont que « la peine de naître »,"il en est d'autres qui ont bien celle de mourir. De ces derniers, l'agonie mémorable et les funé- railles du pape Léon XIII laisseront un exemple historique, particulièrement émotionnant. Le monde des deux hémisphères n'a pas encore oublié le spectacle angoissant où, du 3 au 20 juil- let 1903, le firent participer les journalistes de l'ancien et du nouveau Continent attendant, sur la Place de Saint-Pierre envahie, l'étonnant duel que la vie venait d'engager avec la mort sur la personne du plus débile et du plus résistant vieillard qu'on n'avait plus été habitué à rencontrer et à admirer depuis le temps des patriarches. Par ces dix-sept interminables journées d'une canicule atroce, qui firent jaillir le feu d'un ciel de braise et lui répondre les pavés brûlants de la Place où des nuits étouffantes succédaient à ces torrentiels embrasements, les pierres chaudes se chargèrent seules de donner la réplique aux reporters assoiffés de nouvelles. Mais l'inébran- lable masse cubique n'ouvrit ni porte ni fenêtre de ce Vatican, implacablement clos au dialogue que s'étaient interdit les servi- teurs muets du Pape moribond avec les rédacteurs intempé- rants d'une presse trop vive. Sur cette Place, ces dix-sept jours durant, on ne sut exactement que ce qu'on put approximative- ment supposer, derrière un mur où se passait pourtant un des drames'les plus saisissants qu'eût jusque-là recueilli le sécu- laire palais dé Sixte-Quint et du Bernini. De ces chambres vaticanes encore closes, aucune voix familière n'a laissé trans- pirer les intimes sëcrets, ni restituer à cette touchante mort du sage les véridiques entretiens d'un autre Phédon, pour lequel un autre Platon semblait vouloir s'annoncer. L'année 1907 saura- t-elle ce que les précédentes ont espéré vainement ? La transla- tion des restes de Léon XIII, de Saint-Pierre où le cérémonial funèbre des pontifes romains lui aura fait attendre, quatre ans, le monument qu'il s'était préparé à Saint-Jean-de-Latran, va-t-elle même avoir lieu par ces temps troublés ? -- 4 — Au 2 mars dernier, jour anniversaire de la naissance de Joachim Pecci, ce tombeau était prêt. Commandé une première fois'par Léon XIII vivant à so,n sculpteur habituel Luchetti, cet ouvrage funéraire était passé en deuxième maki au sculpteur Luzzi qu'avait préféré au premier la Commission présidée par le cardinal Satolli, archiprêtre de la basilique du Latran. Mais un voyage de cette Eminence en Amérique ayant permis à la même Commission de revenir sur sa décision, un troisième sculpteur avait été substitué aux deux précédents en la per- sonne du Commandeur Tadolini qui, plus heureux que ses collègues, a enfin pu, le 7 janvier 1907, faire sortir de son atelier de la Via Babuino, au pas de six robustes chevaux, son œuvre achevée. En marbre de Carrare, elle pèse 12 tonnes et mesure la hauteur de 6 mètres pour la seule statue de Léon XIII levant la main, de son geste familier de mystique semeur, pour bénir un groupe d'ouvriers dont le, pape hautement démo- crate du Rerum novarum semble avoir préféré le quatrième Etat sacrifié et l'améliorable fortune. Mais le premier sacrifié ne sera-t-il pas Léon XIII lui-même, sur ce tombeau de haute parade que lui aura dressé un artiste qu'il n'avait pas choisi ? Son artiste, à lui, par qui il avait déjà fait exécuter le simple monument d'Innocent III dans ce même • Saint-Jean-de-Latran, où ils auront leur place côte à. côte, se fût inspiré des pieux sculpteurs d'autrefois qui se contentaient de coucher les. papes dans la sereine majesté de leur statue renversée par la mort, sous Yarcosolium des vieilles sépultures vraiment chrétiennes. L'esthétique vénérable des catacombres primitives l'eût guidé et "non plus, comme avait dit Léon XIII lui-même, un jour, devant les tombeaux paradeurs qu'on voit à Saint-Pierre de Rome : — Cet air de faux papes, levant les bras sur leurs mauso- lées,, comme des comédiens sur fleurs tréteaux ou des généraux* de corps d'armée sur leurs champs de bataille ! Si imparfaitement que le monument funèbre de Léon XIII réponde au concept religieux et simple que ce pape âvait exprimé, on a pu craindre que la translation même tant de fois annoncée, n'en fût longtemps différée encore. Les -âmes d'évangélique simplicité que Rome ne cesse de posséder, redoutaient-elles les honneurs souverains que les autorités d'Italie se proposent de rendre à lk mémoire de Léon XIII, sur le passage de ses restes mortels dans les rues de la Ville où l'armée occupante lui pré- senterait les armes ? Ce serait peut-être exagérer leur dévotion envers ce vénéré pontife qui saura, bien se sauver, lui-même, du péché de compromission italienne et de vanité posthumer que ses contemporains bien inspirés, d'ailléurs, lui voudraient faire commettre. Le pape Léon XIII aurait ainsi ce côté com- mun avec le pape Innocent III qu'il honora d'un tombeau voi- sin du sien, à San Giovanni : la tradition romaine voulant que l'âme de ce pape moyenâgeux attende, au Purgatoire, le Jugé- ment dernier qui achèvera de purifier son grand esprit de ses quelques péchés d'orgueil que tant d'autres petits chrétiens sont incapables de commettre. Quoi qu'il en soit de la légende ancienne, l'histoire contem- poraine est là pour affirmer que la translation des restes de Léon XIII annoncée au 2 mars, date anniversaire de la nais- sance du pontife n'aura peut-être pas encore été accomplie au 2p juillet, date anniversaire de sa mort. Durant ces longs mois d'attente, les journaux de Rome, même les plus anticléricaux qui ne professent pas moins de vénération que les autres envers la haute figure de Léon XIII, auront veillé jour et nuit aux portes de San Pietro, pour éviter toute surprise dont le monde ne serait prévenu que trop tard. Présentement encore se continue, sous le Portail de Bronze, la même permanence des reporters de la Triburia et même de YAvanti qui, plus admirables que les soldats de Pilate dont la consigne fut de trois jours seule- ment sur le tombeau du Christ, y ont pris la leur avant Pâques et n'en auront pas même été relevés à la Trinité. Pour occuper les loisirs de ces braves factionnaires de la Presse internationale et pour faire connaître à leurs nombreux confrères qui fréquentèrent le même corps-de-garde, sur cette même Piazza di San Pietro, bien des détails ignorés sur la maladie et l'agonie de Léon XIII, en 1903, nous avons pensé de demander à Adriano Pierconti quelques extraits du curieux Diario que lui permirent alors de composer les notes mêmes des familiers de VAiiticamera pontificale. Cette rédaction faite au jour le jour, chez Léon XIII lui-même, est l'œuvre d'un véritable et irrécusable témoin. On en jugera par les pages qu'on va lire. 1 Quel personnage autorisé répond au nom d'Adriano Pier- conti ? Quelques mots sur les diaristes divers qué la mort de Léon XIII inspira de si différente manière, nous suffiront, pour accorder à l'auteur de ce Diario l'attention que recommandent ces pages. Quand, exactement à 4 heures de l'après-midi du 20 juil- let 1903, Léon XIII, — en lutte avec la mort depuis dix- sept jours de cette mémorable agonie où le vieillard presque centenaire résista, racine par racine de son héraldique cyprès, à la sape de la terrible bûcheronne qui n'eut cet arbre de vie prodigieuse qu'au dernier coup de la cognée dans le tronc résis- tant encore et qu'au dernier souffle de la rafale dans les bran- ches encore vertes, — quand le pape eùt rendu à son Créateur l'âme sereine qu'il en avait reçue à l'aube du 2 mars 1810, un seul petit nuage blanc montait dans un torride ciel d'été. A cette heure même, le gravQ bourdon de Saint-Pierre annonça à la ville et au monde le départ de celui dont le même bronze avait célébré l'arrivée dans ce palais, Vingt-cinq ans auparavant. Sur l'envolée — 6 — de toutes les autres cloches de Rome disant par mille glas que le pape était mort, la nuée des télégrammes suivit aussitôt la ligne frémissante de ces autres messagers métalliques pour faire son- ner le glas papal jusqu'aux extrémités de la terre. Au concert de vénération universelle qui s'était élevé autour du lit de l'ago- nisant sans discordance de tous les partis unifiés, moins un, — celui de l'anarchie, — devant cette dépouille auguste ' qui se refroidissait, succéda l'assaut des jugements qui survivent aux morts et par lesquels, au dire de Tacite, tout homme laisse au monde la seule chose qui en dure : Unurn solum restât, judi- cium de mortuo quocumque. « Il s'en est allé dans sa majesté lente et s'est perdu dans le mystère, écrivait le sénateur Fogazzaro, le soir de la mort de Léon XIII. Il n'a jamais paru si grand devant le monde étonné, qu'aux dernières heures de sa si longue vie, durant cette agonie sereine et encore agissante où il rappelait l'attitude et la parole finale de Septime Sévère... Léon XIII fut un génie vigoureux et fécond, d'une culture intense et riche. Il ne ramena, pas à la simplicité les formes pesantes et académiques du tradi- tionnel langage des papes ; mais il les soumet à la modernité des sujets et au service d'une pensée prodigieusement active, qui s'exerça sur tous les champs d'action. Sa compréhension de l'esprit moderne, si peu favorisé par la grande majorité des pasteurs catholiques, s'appuya sur son inébranlable foi pour lui inspirer, l'un et l'autre, la résolution magnanime d'ouvrir aux studieux de l'Histoire les Archives vaticanes. Et c'est ce qui grandit ce. pape, de plus mémorable manière que toutes ses Encycliques, quel qu'en soient leur incontestable mérite et le bruit incomparablement plus grand encore qu'elles firent. L'esprit moderne et la foi inébranlable de Léon XIII le gran- dissent aussi dans cet acte qui lui fut strictement personnel, d'instituer la Commission biblique et d'ouvrir lés portes du Vatican à la critique des textes sacrés qui justifierait ainsi l'audace de ses doutes et la solidité de ses affirmations. C'était un solennel hommage aux droits de la science, une glorieuse profession de foi dans l'accord infaillible des vérités de tout ordre. C'était le principe, mal entendu par la plupart, d'un grand et fatal avenir ; une admirable résurrection de la vérité hors des bandelettes qui la lient défaillante; une transforma- tion lente mais immense de l'intelligence du dogme On en ressentira, — qui sait quand, et qu'importe? — les effets, dans la vie, dans le culte et dans la pratique chrétienne. Le phari- saisme en sera supprimé, l'esprit en triomphera de la lettre » Au chroniqueur libéral du Giornale d'Italia firent écho ceux du monde entier, pour un éloge sans réserve du pape et de son pontificat, jusqu'au Matfm lui-même qui disait que, « du- rant les vingt-cinq années qu'il régna sur le monde, Léon XIII n'eut ni une parole de haine, ni un geste de menace. Et c'est pourquoi ce pape restera longtemps dans la mémoire des hom- mes. » Gependant,i au milieu des panégyriques unanimes de la presse mondiale, un dernier hommage manquait à la vertu du pontife défunt. C'était celui que le vice d'un seul se chargerait de rendre à Léon XIII par la plume insolente d'un publiciste français. Ce folliculaire de haut style et de grand vol, à qui l'audace n'avait pas suffi pour franchir une seule fois le seuil d u Vatican, tant que Léon XIII avait vécu, aurait été introduit par un évêque français dans la chambre même du pontife; et voici ce que ce reître de la plume écrivait à un journal pari- sien, après avoir foulé à ses pieds de soudard du reportage ivre ou dément, les tentures funèbres qu'eussent dû lui rendre sacrées les lois inviolables de tout asile où la mort entrant désarma, de tout temps, les plus barbares adversaires : « J'ai vu le pape mort, écrit celui-ci ; et ce qui est demeuré au fond de mes yeux, ce n'est pas l'image.de cette petite chose jaune, perdue et dissoute, sous la grande couverture verte ; ce qui est inoubliable, c'est le désordre sans douleur qui a duré une heure dans le Vatican, comme si la mort avait frappé un jeune souverain à l'improviste. Ce qui est inoubliable, c'est la vision de tous les cardinaux présents, parmi lesquels un seul pleu- rait, la figure perdue dans un mouchoir rouge taché de tabac... A la porte de la salle du Tronetto, la dernière pièce qui me sépare de la chambre du pape, un prélat très grand et de haute mine, m'arrête et me dit : « — Je vous en supplie, n'allez pas plus loin ! » a ...Un dernier effort me donne un pas, et j'aperçois ce qui fut un pape, Est-ce un corps ? Est-ce une chose dissoute, une cire qui fond ? Je ne sais, mais on ne retrouve rien des traits si accusés de Léon XIII. Demain, les pâtes et les fards auront pèut-être restitué la figure ; aujourd'hui la mort a tout pris. Les longues paupières sont dépliées sur le globe des yeux éteints, les sourcils énormes paraissent une seule barre d acier forgé à froid. Le front, où s'est agité un monde de rêves, semble un désert de chairs grises. Le paquet de rides qui est la, fut-il. vraiment le pape de la force et de la volonté ? Le corps se devine, ployé en arc sur le côté. L'ensemble du masque est effrayant d'impersonnalité, il suinte, comme suintent les vieilles statues dans l'humidité des églises. Tel me parait en une vision de deux heures, ce'pape mort avant d e t r e mort ce pon- tife muré vivant dans des organes qui ne fonctionnaient plus. » Et d'autre émotion, pas ombre, sous la plume ou le stylet de ce genre de condottière en retard sur les bravi qui le précédè- rent dans la carrière et qui savent parfois trouver grand le vaincu en le voyant étendu mort à leurs pieds. Pour ce mau- vais fils de l'Eglise en deuil de veuve, il n'y a ni pape ni pere qui tienne, ni larmes de l'assistance qu'il coudoie et enfonce / ' — 8 — pour arriver plus vite au lit funèbre, — s'il y arriva ! — ni, à défaut des vrais sanglots qu'il n'entend pas, ne pouvant les comprendre, les plaintes mêmes des choses, ces lacrimse rerum s'animant et versant leurs ondes larmoyantes sur la ville et le monde, à ce spectacle de grandeur où tous les hommes pleu- rent, — excepté celui-là ! — au départ de celui qui s'en va, comme les patriarches, couronné de sa majestueuse vieillesse du moins, si la majesté du trirègne-vingt fois séculaire ne suffit plus à cette génération arrivante à qui la mort d'un pape ne sert plus que pour une insolence nouvelle. Quelle émotion touchante se dégage de ces télégrammes' innombrables où de simples fidèles offrent à Dieu leur vie, s'il veut encore épargner celle de leur pontife, et comme on lit avec une douce pitié ce fait-divers qu'un correspondant de journal recueille à une porte du Vatican. Là, une pauvre Car- pinétaine arrive à pied, trop tard, pour donner quelques jours encore d'existence au vieillard, au prix des siens et de ceux de son enfant qu'elle a eu l'admirable courage de porter dans ses bras, pour ce sacrifice sublime renouvelé des âges où la foi des simples était simplement héroïque : « De soir venu, écrit le reporter Juliani, après avoir rêvé longtemps, assis sur un des gradins qui mènent à la basilique, j'allai faire une promenade derrière le Vatican en suivant la Via delle Fondamenta. J'ar- rivai à la porte de la Zecca, lorsque je ne fus pas peu surpris d'apercevoir, près de l'entrée par où passent les voitures qui vont à la cour Saint-Damase, une femme dormant paisible- ment. A ses côtés, reposait un enfant. Sur le visage du bébé errait un sourire évangélique. De bruit de mes pas attira l'atten- tion du Suisse de garde. Je vis surgir aussitôt la silhouette du soldat. « — Où allez-vous? me dit-il. « — Je me promène, mon brave ! a — Ah !... Surtout ne réveillez pas le bambinol a — Mais pourquoi cette femme et cet enfant sont-ils là ? « — Da pauvresse est arrivée des environs de Carpineto, ce soir même. Elle avait reçu, il y a quelque temps, un secours du pape et, apprenant que le Saint-Père était dangereusement malade, elle est partie, à pied, emportant son enfant, pour venir voir le pape et le sauver, dit-elle : « Je prierai tant, que a Papa Leone g u é r i r a ! » « — Pauvre femme ! a — Elle est arrivée tard, continua le soldat, et je n'ai pu la faire coucher au Vatican. Mais elle a mangé. J'ai fait venir du lait pour l'enfant, et je veille sur eux. Demain, mes chefs avise- ront. « Je remis quelque monnaie au soldat pour qu'il la donnât, 16 lendemain, à cette malheureuse. De Suisse prit les pièces et ? • l C ' e s t , Sajnt-Père, grâce au perfectionnement d'un nouvel appareil. Je vous le montrerai, quand vous serez guéri. — Bien, bien ! Ce sera le mérite de l'appareil ; mais le meilleur mérite en sera pour la main expérimentéê du profes- seur Mazzoni ! ajouta le pape, jd'un air satisfait et avec un geste qui lui exprimait sa grande sympathie< Sa Sainteté, sitôt l'opération finie, a éprouvé un vrai soula- gement. Contrairement à son habitude, elle n ' a pas refusé de prendre un cordial, et elle exprime sa reconnaissance aux deux médecins qui -luttent valeureusement, depuis plusieurs jours, contre la mort qui menace le chef auguste de l'Eglise... Mercredi, 8 juillet. Le Saint-Père a voulu voir les journaux. On a préparé des e x e m p l a i r e s de VOsservatore Rornano e t de la Voce délia Verita, avec le bulletin médical sensiblement amélioré. Mais le pape, soupçonnant l'optimisme de ce bulletin, a demandé à voir aussi les journaux libéraux. Pour le contenter, on est allé les faire prendre chez Bruschino, le marchand de journaux de la Place Saint-Pierre. Quand ils sont arrivés, Mgr Angeli les a déve- loppés et en a lu, çà et là, des extraits; il les a vite refermés quand il a vu que. le Saint-Père fermait les yeux et montrait une certaine fatigue. Mais, aussitôt se réveillant, le pape lui disait : Allons, allons, continuez! Et Mgr Àngeli de reprendre la lecture. Heureusement, le professeur Lapponi sur- venant a arrêté cette consultation dangereuse... — i 6 — Jeudi, 8 juillet. 7- heures matin. | | | Sa Sainteté, un peu soulagée et ayant exprimé le désir de se lever, le professeur Lapponi y a consenti et,, avec Centra, l'a aidée à descendre du lit et à venir s'allonger sur la chaise longue où, pour l'aider au repos, on lui a placé des coussins sous la tête et sous les bras. Le pape ayant dit, avec un soupir d'aise : « Je me sens mieux ! Hier, j'étais plus a b a t t u ! », le professeur Lapponi l'a prié de prendre quelque fortifiant ; et, de fait, le pape a accepté un café où un jaune d'oeuf était battu. Ensuite, il a exprimé le désir d'être rasé, et Pio Centra a déféré avec sollicitude et délicatesse à la volonté de son maître. Ainsi prêt aux visites, le Saint-Père a fait appeler son confesseur, Mgr Guillaume Pifferi, avec qui il s'est entretenu énviron une demi-heure... 10 heures. — Le Saint-Père, ayant appris que le cardinal Rampolla avait manifesté le désir de lé voir, d ' à fait inviter, le matin, à se rendre auprès de lui. Il s'esf plu à entendre les informations sommaires que l'êminent Secrétaire d'Etat, lui donnait. Sa satisfaction a paru s'accentuer quand le cardinal a signalé les innombrables télégrammes envoyés au Vatican, et les prières ét les vœux que le monde entier formule pour la guérison du pontife. Parlant de sa maladie, le pape en énumé- rait les phases diverses et a exprimé l'espoir de pouvoir sur- monter, avec le secours de Dieu, cette faiblesse qui persiste encore. Ensuite, l'è pape a demandé au cardinal s'il n'avait pas à lui parler d'affaires. A celles que l'Eminence a soumises, le Saint-Père a donné,- avec la plus grande clarté, leurs solu- tions respectives en exprimant, à leur sujet, sa volonté sou- veraine. Avant de congédier fè cardinal, le Saint-Père lui a témoigné le désir de voir, dans la journée même, certains autres cardinaux. 2 heures après-midi. — Les professeurs Lapponi et.Mazzoni se rendent chez le cardinal Rampolla pour s'entendre, avec lui, sur l'assistance d'un autre médecin dont la consultation leur paraît nécessaire. Cette /consultation extraordinaire des deux illustres médecins du Saint-Père leur est inspirée par un scru- pule qui les honore grandement... L'Eminence a répondu : — Messieurs, Sa Sainteté a confiance en vous, confiance / ~ 17 — des plus méritées. Si vous croyez utile de consulter un autre de vos collègues, faites-le. Mais je ne prendrai pas sur moi la responsabilité d'en parler au Saint-Père qui pourrait en être fortement impressionné. Il me semble que vous êtes tout indi- qués pour lui en parler vous-mêmes. Les médecins y ont consenti et le professeur Lapponi s'est chargé d'en faire part au pape. Quant au médecin consul- tant, ils ont dit au cardinal que, parmi les professeur^ de l'Uni- versité de Rome, ils choisiraient, si rien ne s ' y opposait, le docteur Eugène Rossoni, professeur de pathologie spéciale démonstrative et directeur de la clinique médicale. Descendus à l'appartement pontifical, ils sont entrés chez le pape et lui ont dit : — Que. penserait Votre Sainteté si nous en appelions au jugement de quelque médecin célèbre ? — Mais, a répondu le pape qui avait écouté attentive- ment, j ' a i grande confiance dans les deux médecins qui sont à mes côtés et qui me soignent avec une si affectueuse intelli- gence. Ils me suffisent. Je me serais même contenté, comme Ì je l'ai toujours fait, du médecin que je connais depuis si long- temps, (et, de la main, il désignait tout sympathiquement le professeur Lapponi). Mais lui, aussi modeste que brave, il a voulu s'adjoindre un valeureux collègue. Il a bien fait et j e le remercie de cette sollicitude. Mais pourquoi un autre médecin, à présent ? Il y a donc quelque chose de nouveau ? Les médecins lui ayant répondu tranquillement qu'il n ' y avait rien de grave, que les conditions de la maladie restaient les mêmes, mais qu'un autre jugement leur paraissait utile-, spécialement pour se rendre plus exactement compte des phases progressives et de la situation présente,,et pour corro- borer'la cpnfiance qu'ils gardaient, le pape a répliqué : — Je n'insistç pas, si vous le croyez utile. Je vous sais gré', au contraire, de votre pensée. Cette première difficulté vaincue, les médecins ont signalé le nom du professeur Eugène Rossoni. Le pape a répdndu qu'il le connaissait, sinon personnellement, du moins de réputation et qu'il en avait entendu dire du bien. Il a donc approuvé le choix et ajouté : Et vous aussi, professeur Mazzoni, vous'étiez inconnu de moi, lorsque Lapponi vous proposa pour l'ablation de ce * * — i 8 — kyste qui me donnait tant d'ennui ; et tous deux, vous et moi, nous sommes restés contents de nous connaître. N'est-il pas vrai, professeur ? / — On ne peut plus vrai ! a répondu Mazzóni... 4 heures après-midi.'— Arrivent au Vatican les professeurs Mazzoni et Rossoni. Ils montent, p a r l'ascenseur, à l'apparte- ment pontifical où les reçoit leur collègue Lapponi avec qui ils ont un bref entretien ; puis, ils pénétrent dans la chambre de l'auguste vieillard. Présenté p a r ses collègues, le professeur Rossoni a adressé au Souverain Pontife ses hommages et ses encouragements, ajoutant qu'il était très honoré de pouvoir lui faire visite. Le'Saint-Père, toujours dans un état de prostra- tion profonde, mais toujours présent à lui-même et conservant la pleine lucidité de son esprit, a répondu : — J ' a i plaisir à vous voir. Déjà, je vous connaissais de nom ; mais mes deux bons médecins, qui ont toute ma con- . fiance, ont exprimé le désir d'entendre aussi votre avis. Et, à présent, ces messieurs vont vous informer de tout. Mais le professeur Rossoni connaissait déjà assez les phases principales de la maladie, ffit alors a éu lieu la consultation... Au cours de la visite, le pape a demandé au professeur : — N'êtes-vous pas Romain ? , Et, sur la réponse affirmative du docteur, il a continué : — Avez-vous connu le professeur De Matteis? — Non, Saint-Père, je ne me le rappelle pas, répond Ros- soni, après un moment de réflexion. Comme pour expliquer sa demande, le pape a ajouté : Je sais qu'à l'hôpital de Santo Spirito, il y a une Salle De Matteis. Puis, se ressaisissant un instant, comme pour suivre sa mémoire à travers les années passées, il s'est mis à parler d'une . voix lente mais assez intelligible, de sa jeunesse et d'une grave maladie qu'il eut alors et dont il fut guéri par le professeur De Matteis. Au moment de prendre congé, le professeur Rossoni a adressé au vénérable vieillard d'autres paroles de respec- tueuse déférence. Le pape les accueille et, levant les mains en signe de salut, il ajoute : — Merci!... ' 5 heures 30. — Le Saint-Père reçoit les cardinaux Oreglia... di San Stefano, .Délia Volpe, Gotti et Mgr Délia Chiesa, qui restent environ vingt minutes dans la chambre du malade. Sa Sainteté les a tous reconnus et leur a dit : — Merci, merci ! Je suis bien fatigué ! Le cardinal Oreglia a répondu : - _ Courage, Saint-Père ! Nous faisons tous des vœux pour votre guérison. • -er Je vous remercie et je vous bénis tous ! a ajouté encore Léon XIII. 6 heures. — Sa Sainteté reçoit aussi ses neveux, les comtes Camille, Ludovic et Richard. Il s'entretient affectueusement avec eux et leur dit que, hier, il s'est senti plus haletant qu'au- jourd'hui, et il a ajouté : — Mais nous ne sommes pas hors de danger ! Le comte Ludovic Pecci lui apprend qu'une députation de .Carpineto serait venûe lui présenter les souhaits de son village natal. Le pape accueille avec tendresse cette nouvelle preuve d'attachement de ses chers Carpinétains ; il regrette seulement que les prescriptions médicales l'empêchent de recevoir cette députation ; mais il fera envoyer par lettre ses paternels remer- cîments et la bénédiction apostolique. — Et quand, demande le pape, a-t-on su là-bas la nouvelle de ma maladie ? — Samedi, Saint-Père ! répond le comte Ludovic. — C'est curieux. Et pourtant je n ' a i commencé à me trouver mal que dimanche. Ses neveux, pour ne pas le fatiguer par un long entretien, lui résument l'intérêt général qu'indistinctement tout le monde prend à sa santé. Ils citent les principaux articles publiés à sa louange p a r les journaux libéraux et, incidemment, ils mentionnent Enrico Panzacchi comme l'auteur de la très belle c h r o n i q u e Corne muore il Papa q u ' a p u b l i é e , l a veille, le Gior- nale d'Italia. Après diverses autres demandes, Léon XIII con- gédie ses neveux qui, grandement émus, lui baisent la main. Comme ils s'apprêtent à sortir, le pape rappelle le comte Ludo- vic, et lui demande brusquement : — Quand repartirez-vous pour Carpineto ? Le comte Ludovic est reçté un moment interdit. Il savait que c'était une des méthodes habituelles de Léon.XlII. Pour découvrir la vérité, il fait de ces interrogations imprévues qui souvent ont jeté le trouble et la confusion chez les plus habiles. 20 Ce sont des embûches difficiles à éviter. Le comte Ludovic aime le séjour de Carpineto et reste à Rome le moins qu'il peut. Or, p a r la réponse de son neveu, Léon XIII aurait pu apprendre la vérité sur son état réel. Mais le comte, se ravisant, a répondu sans hésiter : — Je repartirai demain matin. — Très bien! ajouta, le pape satisfait. Et vous, Camille, quand irez-vous à Pérouse ? .-—Le plus tôt possible, Saint-Père !... Tout le personnel des télégraphes à Rome doit, pour assurer- la charge exceptionnelle des dépêches, s'imposer un supplé- ment extraordinaire de 4 à 5 heures p a r jour. Le Commandeur Tancredi, ministre des Postes et Télégraphes, a ordonné le rappel de tous les employés en permission, pour faire face au service et pour que le public ne soit pas trop mécontent... Vendredi, 10 juillet. Une animation inaccoutumée s'est produite, cette nuit, autour de la Basilique Vaticane. La foule arrivait, à pied ou en voiture, tout* empressée, et stationnait, longuement sur la Place pour y recueillir-des nouvelles sur Ta santé du pape. L'issue satisfaisante de la visite faite, veré minuit, p a r le pro- fesseur Mazzoni, a été connue aussitôt et a couru de bouche en bouche, comme un trait. Chacun a appris cette nouvelle avec un vif contentement. De nombreuses boutiques sont restées ou- vertes, bien avant dans la nuit, sur la Place Rusticucci et aux alentours. Les personnes qui se rendent au. Portail,de Bronze, par ce besoin intime qu'elles éprouvent toutes de se rapprocher le plus qu'elles peuvent du lieu où se tient renfermé le secret, s'éloignent ensuite lentement et sortent de l'ombre intense de la colonnade pour entrer dans la lumière crue des cafés. Là, restent à veiller, touie la nuit et jusqu'à l'aube, une foule de journalistes et bon nombre de dames aussi... 8 heures matin. — Les professeurs Rossoni, Lapponi et Mazzoni entrent dans la chambre du Saint-Père. Le pape a quitté son lit et reste assis sur sa» chaise longue?. La pâleur du visage et des mains et l'abattement visible de foute la personne contrastent singulièrement avec la vivacité intense du regard. La visite des médecins est longue. Sortis de la chambre du malade, ils se réunissent en consultation qu'ils prolongent jusqu'à 9 heures 50. Ils sont d'aecord à décider, avant dé pro- céder à une plus sûre auscultation, d'enlever le liquide qui s'est de nouveau accumulé dans la plèvre, et qui a rendu plus défavorable l'état du malade. Le professeur Lapponi en 'fait part au pape qui se résigne, de bon gré, et revient se coucher. Le professeur Mazzoni prépare l'appareil Potin et procède vive- ment à l'opération de la thoracentèse, vers la partie postérieure du thorax d'où il a tiré plus d'un litre de liquide. L'opération a duré vingt-cinq m i n u t e s e t le Saint-Père l ' a subie, étendu sur son lit, avec la plus-grande tranquillité. Un soulagement immé- diat s'est produit. Et le malade, qui vient de prendre un bouil- lon avec un jaune d'œuf battu et un peu de Marsala, n'éprou- vant plus aucune douleur, s'assoupit. 11 heures. — La matinée s'est passée sans altération nota- ble. L'amélioration continue. Sa Sainteié, se sentant mieux, s'est levée de son lit et est allée s'aecommpder sur sa chaise longue où elle s'est entretenue avec son confesseur. Ensuite, pour se distraire un peu, Léon XIII a lu quelques odes d'Horace qui, comme on sait, est un de ses auteurs favoris. \ 5 heures, soir! -.- Le Saint-Père reçoit les cardinaux Di Pietro, Macchi, Satolli, et Séraphin Yannutelli, avec lesquels il a échangé dé bienveillantes paroles. Au cardinal Màcchi, qui lui parlait des manifestations d'universelle sympathie et dévo- tion que provoquait la santé du pontife, celui-ci a répondu : —• Tant mieux pour la papauté et pour l'Eglise ! Le publiciste César Sobrero décrit ainsi le travail des jour- nalistes à Rome :