key: cord-356279-wbo54x7g authors: Mallay, D. title: Covid-19, éthique et confraternité: un nouveau conflit de valeurs ? date: 2020-07-10 journal: nan DOI: 10.1016/j.npg.2020.07.001 sha: doc_id: 356279 cord_uid: wbo54x7g nan Covid-19, ethics and fraternity: a new conflict of values? Médecin coordonnateur -Centre Hospitalier de Tournus m.coordo@ch-tournus.fr L'épidémie de Covid-19 qui vient de toucher notre pays pose de multiples questions éthiques et déontologiques. Comment les spécialités médicales non rattachées directement aux domaines de la réanimation ou de l'infectiologie ont-elles pu être aussi ignorées pendant la durée de l'épidémie du SARS-CoV2 ? Quel fut l'espace de parole de la gériatrie pourtant aux premières loges des conséquences de cette contagion ? Par voie de conséquences, comment la compassion envers les personnes âgées en situation de fragilité a-t-elle pu s'évanouir dans l'esprit des plus hautes instances de santé française et des collègues réanimateurs ou urgentistes ? Les gériatres, et particulièrement ceux travaillant en EHPAD, ont vu en un trimestre (du 22 mars, date d'entrée dans le confinement -plan d'urgence sanitaire, au 22 juin, date de libération du confinement) [1, 2] leur parole médiatique étouffée. Le champ sur lequel ils ont fondé leurs valeurs, celles du respect de la personne, de ses droits et de la bientraitance (Charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance) [3] , s'est effondré au fil des décisions prises, tant par les spécialistes que par les politiques (trop) à l'écoute de ces derniers. Indéniablement l'épidémie de Covid-19 a bouleversé les visions éthique et déontologique telles que nous les connaissions. L'article de Hazif-Thomas [4] rappelle à juste titre nos devoirs à ce sujet. Mais les orientations administrativo-médicales sélectives jugées en situation aiguë ne nous conduisent-elle pas dans un mur d'inhumanité et dans un clivage entre médecins issus de formations différentes ; l'un et l'autre étant peut-être liés ? Lorsque a débuté ce syndrome viral inconnu de tous, la plupart des services de réanimation, premiers concernés, se sont vus « débordés » par l'ampleur du phénomène et la gravité des patients touchés. Les spécialistes ont immédiatement envisagé une stratégie de prise en charge susceptible de faire bénéficier aux patients de soins particulièrement lourds. Comme le précisait la Docteur Ricard-Hibon [5] , présidente de la Société Française de Médecine d'Urgence (SFMU) dans une tribune, "Dans les situations de crise, nous n'admettons pas tous les patients en réanimation. C'est le cas des personnes avec un projet de vie engagé sur le court terme. Mieux vaut laisser une personne de 80 ans s'éteindre tranquillement que de lui imposer le lourd processus de réanimation ». Cette conception a été largement partagée avec la SFAR (Société française d'anesthésie et de réanimation) ainsi qu'avec la SRLF (Société de réanimation de langue française), qui ont publié des recommandations [6] en ce sens. Les critères de sélection portant essentiellement sur l'état de fragilité de la personne, jugée à l'échelle Clinical Frailty Scale (CFS) [7, 8, 9] basée sur l'âge, l'état cognitif et la comorbidité. Sans remettre en cause leurs compétences et les difficiles décisions que ces réanimateurs ont dû prendre, il semble qu'avec recul ces choix aient été opérés de façon unilatérale. Ils ont exprimé sur la plupart des chaînes d'infos une conception unique (inique ?) de l'épidémie. Ils ont occupé le terrain de l'image de « sauveurs », de combattants du pire, en d'autres termes ont effacé l'existence de leurs collègues et des gériatres en particulier. Comment ces décisions venues d'un seul domaine de la médecine ont-elles pu ignorer les autres ? Comment cette ségrégation manifeste a-t-elle pu être relayée par les médias sans que personne ne s'en offusque ? Alors que la plupart des services de médecine ou de chirurgie étaient « réquisitionnés » pour les patients Covid ; les malades cardiaques, oncologiques, etc. n'existant plus. Quels messages pouvaient apporter les autres spécialistes puisque seules les problématiques de réanimations étaient présentables. Aucun n'a pu parler des limites de ce dictat, écrasés par une pensée dominante et simplificatrice de la médecine, perçue comme une médecine de guerre ! La force médiatique de ce cataclysme a emporté toute notion de justice devant l'accès aux soins ou du moins toute notion essentielle de dialogue entre collègues de disciplines différentes. C'est la capacité d'aspiration des médias qu'il faudra peut-être interroger. L'ignorance d'avis de confrères dans de telles situations est-elle une question déontologique ? Aucun des articles du Code de Déontologie médicale n'existe à ce sujet. La déontologie si elle a prévu le comportement d'un médecin pour son patient dans le cadre de la santé publique, n'a pas prévu l'équilibre nécessaire entre l'ensemble des médecins et encore moins en situation de crise sanitaire ! Peut-être faudra-t-il un jour réfléchir sur une vue systémique de notre profession, balkanisée dans ces circonstances. D'autant que les décisions prises en haut lieu ont immiscé une vision clivante de la société, avec des jeunes qui ont droit de vivre et d'accéder aux soins et les personnes âgées dont la fragilité ne leur permettra pas d'y avoir accès. Il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau. Tout gériatre d'EHPAD savait déjà que les services des urgences agissaient à minima, parfois même déclinant des soins du grand âge. Nous savions que les personnes âgées n'étaient pas les bienvenues aux urgences, mais la situation du Covid-19 a marqué au fer rouge leur interdiction d'y entrer. Est-ce à dire que les questions éthiques n'ont pas été soulevées ? Quelques associations défendant les personnes âgées ont agi auprès du Conseil d'Etat pour dénoncer l'iniquité de ces choix et demander un égal accès aux soins, mais ce dernier les a déboutés sans l'ombre d'un procès lors d'une séance publique du 2 avril [10] , le juge considérant qu'il n'est « pas établi de manière générale » que les hôpitaux refusent « l'admission dans leurs services des personnes résidant en Ehpad » ! Le Conseil National d'Ethique (CCNE) [11] a réitéré, pour sa part, les grands principes de la démarche éthique. Au coeur du problème, sollicité sur la situation des EHPAD, le CCNE s'est réuni le 12 mars. Il a reproduit une copie des règles antérieures « les décisions qui seront prises, quelle qu'en soit la nature, doivent répondre à l'exigence fondamentale du respect de la dignité humaine ». Il propose, sans s'offusquer de la situation des anciens, d'envisager des solutions innovantes permettant d'éviter la rupture du lien intergénérationnel. Mais ces solutions étaient sous la responsabilité du directeur d'établissement, lui-même devant répondre au cadre légal imposé par ses tutelles. Les médecins généralistes n'ont pas été applaudis, pourtant le CNOM (Conseil National de l'Ordre des Médecins) comme les associations de médecins libéraux ont tenté de faire entendre leur voix, les risques qu'ils courraient et les décès que l'on peut aujourd'hui observer [12] . La question posée au gériatre fut alors de choisir entre une approche innovante (hors cadre de la responsabilité) mais humaine ou une approche sanitaire réglementaire mais inhumaine. La crise a accentué logiquement les lieux de fragilité, EHPAD, maisons d'accueil spécialisées (MAS), domicile, etc. Les équipes de soins palliatifs intervenant en EHPAD avaient demandé d'établir la liste des personnes susceptibles de bénéficier de soins de réanimation. Les critères d'acceptation étaient des GIR supérieurs à 4, un âge inférieur à 80 ans, pas de comorbidité… Ainsi aucun des résidents d'EHPAD n'avait de ticket d'entrée aux Centres Hospitaliers [13] ! Puis les politiques entraînés dans ce tsunami médical ont emboîté le pas des spécialistes en fermant ces structures et en laissant les personnes âgées seules en chambre, loin de leurs proches, devant des soignants masqués et les abordant avec une juste distance. Le prix à payer se voit aujourd'hui avec de nombreux syndromes de glissement. Pour évaluer les conséquences de ce confinement le CHU de Grenoble coordonne une étude sur les impacts de la maladie chez les plus de 70 ans. Pourra-t-on mesurer la colère irréparable et la douleur ineffaçable des familles ? Quid de l'image des EHPAD ? Je passe ici sous silence les décès par Covid pour lesquels les familles n'ont même pas pu voir leurs parents. Les propositions de communication en interne sensées répondre à l'isolement ont envisagé le téléphone, puis les tablettes, le Skype, etc. Sans dénier leur rôle, ces outils ont été très utiles à maintenir une relation avec l'extérieur. Mais cela correspond à une ignorance désespérante des tutelles en ce qui concerne la population des EHPAD dont 50 % des résidents ont des troubles cognitifs sévères les rendant incapables de discuter avec un écran dont ils ne comprennent pas le sens. Et que dire des mesures barrières avec les démences dont les seuls modes de communication sont non verbaux tels ceux proposés par Naomi Feil [14] . Ces résidents se sont trouvés privés de contact que ce soit avec les soignants et surtout avec leurs familles. La crise du Covid repose peut-être les questions d'un monde de demain, mais elles ne devront surtout pas oublier les valeurs éthiques et encore moins celles de la déontologie. : l'auteur ne déclare aucun conflit d'intérêts pour cet article. 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions Charte des droits et des libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance Le silence des questions sur la mort des aînés liée au COVID-19 Réanimation et Covid-19 : y a-t-il vraiment des personnes prioritaires ? Préconisations pour l'adaptation de l'offre de soins en anesthésie-réanimation dans le contexte de pandémie de COVID-19 Priorisation des traitements de réanimation pour les patients en état critique, en situation d'épidémie de COVID-19, avec capacités d'accueil de réanimation limitées Validation of the clinical frailty score (CFS) in French language Décision d'admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d'épidémie à Covid-19 Accès aux soins des personnes résidant en EHPAD COVID-19 : Enjeux éthiques face à une pandémie Les médecins en première ligne pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 Avis relatif à la prévention et à la prise en charge des patients à risque de formes graves de COVID-19 ainsi qu'à la priorisation des tests diagnostiques