key: cord-326517-7j2os2h9 authors: Gurviez, Patricia; Raffin, Sandrine title: Le marketing social et les nudges, les outils efficaces du changement de comportement date: 2020-11-12 journal: nan DOI: 10.1016/j.cnd.2020.10.003 sha: doc_id: 326517 cord_uid: 7j2os2h9 De nombreux problèmes sociétaux et de santé requièrent des changements de comportement des populations. L’information et l’injonction ne suffisent pas à obtenir de tels changements de manière durable. Le marketing social et les nudges proposent des méthodes alternatives et complémentaires pour changer les comportements en se fondant sur une réflexion et des méthodes rigoureuses issues des sciences sociales. Numerous social and health problems need people changing their behaviours for the better. Information and unction are often not effective to make people change their behaviours. Social marketing and nudges offer complementary alternatives based on rigourous methods and reflection from social sciences. La pandémie de la COVID-19 est venue nous rappeler l'importance de la prévention du surpoids et de l'obésité en pointant la fragilité des personnes atteintes. Les alarmes émises régulièrement par l'OMS attirent également l'attention sur les conséquences négatives de l'épidémie mondiale d'obésité sur le plan économique, social et sanitaire [1] . La progression rapide de l'obésité et la prévalence accrue des maladies cardiométaboliques seraient liées aux modes de vie et de consommation modernes, tels qu'une surconsommation d'aliments trop riches en sucres ou en gras, à des quantités inadaptées ou encore à la sédentarisation accélérée des populations. Cependant, des travaux P. Gurviez, S. Raffin récents, notamment sur le microbiote, démontrent aussi l'importance de l'épigénétique qui entraîne une inégalité des populations face à la surcharge pondérale [2] . Si les causes du surpoids et de l'obésité sont multifactorielles, il reste néanmoins crucial d'agir sur les comportements individuels ou collectifs tant les conséquences sont délétères pour la vie des personnes concernées. Les autorités de santé, et notamment le PNNS en France, se mobilisent depuis bientôt deux décennies pour mettre en place des politiques de prévention nutrition santé, visant à promouvoir des modes de vie plus actifs et des habitudes alimentaires en phase avec les recommandations de santé publique [3] . Or, bien que la progression du surpoids et de l'obésité chez les enfants semble stabilisée [4, 5] , ces chiffres cachent une disparité énorme entre les catégories socioprofessionnelles concernées. Un enfant d'ouvrier a 4 fois plus de chance d'être obèse qu'un enfant de cadre et ces mêmes disparités se constatent aussi chez les adultes. De même, malgré des bandeaux sanitaires présents sous toutes les publicités pour des produits alimentaires manufacturés et la notoriété de la recommandation « Pour votre santé mangez 5 fruits et légumes par jour », la consommation de fruits et légumes ne progresse pas et les catégories modestes sont clairement sous-consommatrices [6] . On le voit bien, l'information ne suffit pas à faire changer les comportements alimentaires. Il en est de même pour le tabac ou pour de nombreuses conduites à risques ou incivilités. Les populations ou groupes de personnes ciblées par les campagnes d'information ont leurs propres systèmes de croyances et de valeurs. Leurs comportements sont le fruit d'interactions complexes impliquant non seulement des facteurs personnels, mais aussi des déterminants environnementaux qu'il est important de comprendre en profondeur avant de tenter de les inciter à adopter le comportement souhaité. Dans de nombreux cas, les arguments d'experts et la maximisation des conséquences néfastes sur la santé sont inutiles, voire peuvent conduire, s'ils sont perçus comme inadéquats, à un rejet et un enracinement encore plus grand du comportement à modifier comme dans le cas du tabac chez les jeunes [7] . La conséquence sera qu'ils seront, certes peut-être, mieux informés, mais on aura échoué à les faire changer de comportement. Face à ce constat, peut-on vraiment changer les comportements individuels ou collectifs ? Les pouvoirs publics, les ONG ou encore les entreprises peuvent-elles influencer les représentations et les normes sociales bien installées dans certaines cultures ou au sein de certains groupes de population qui rendent difficiles les changements de comportement ? Comment s'assurer de l'efficacité des programmes de prévention ? Il Le marketing social : l'efficacité du marketing commercial au service du bien public L'approche du marketing social (ou « social marketing », à ne pas confondre avec le « social media marketing » qui concerne les réseaux sociaux) s'est construite à partir des années 70 sur un postulat simple : appliquer l'efficacité des stratégies et techniques du marketing à la promotion du bien-être collectif et aux problèmes de changements sociaux permettrait de faire avancer les causes sociales beaucoup plus efficacement [9] . Le marketing propose des outils neutres par nature et qui peuvent être utilisés aussi bien pour promouvoir l'achat et la consommation de biens que pour l'adoption de nouveaux comportements. L'une des premières campagnes a été mise en place en Inde à partir de 1985 sous l'égide de l'OMS, c'est la campagne Polioplus qui a permis de comprendre en profondeur les craintes des populations et ainsi de les combattre afin de favoriser la vaccination de millions d'enfants contre la polio [10] . Le marketing social a connu un fort développement international en recherche et dans ses applications sur le terrain. Une définition consensuelle a été élaborée conjointement par l'association internationale de marketing social (ISMA) et les associations régionales (européenne, australienne et nord-américaine) : « le marketing social cherche à développer et à intégrer les concepts issus du marketing, en lien avec d'autres approches, pour influencer les comportements au bénéfice des individus et des communautés, pour accroître le bien social. La pratique du marketing social est guidée par des principes éthiques. Il cherche à intégrer la recherche, les meilleures pratiques, la théorie, la connaissance des insights du public visé et des partenaires, afin de mettre sur pied des programmes de changement social efficaces, équitables et durables, reposant sur l'analyse de la concurrence et la segmentation. » [11] . Cette définition montre comment le marketing social entend poursuivre l'application des techniques éprouvées du marketing classique, comme l'étude de la concurrence ou la segmentation des populations ciblées, pour proposer des interventions efficaces de changement de comportement. Ainsi, un programme destiné à favoriser l'eau comme boisson désaltérante pour les classes populaires américaines, qui n'en boivent quasiment pas, devra d'abord comprendre quels sont les attraits de la concurrence, en l'occurrence les sodas et autres boissons rafraîchissantes sans alcool afin de proposer un bénéfice en lien avec les attentes de la cible [12] . En outre, le marketing social veille à ne pas s'adresser à une population générale et le choix d'un ou plusieurs groupes ciblés procède de l'analyse du contexte. Le coeur du marketing social, c'est l'objectif de changement comportemental de groupes ciblés. Dans la continuité de ces approches comportementales, les nudges ont fait plus récemment leur apparition et se montrent très efficaces dans certains cas. d'inciter les individus à prendre la décision la meilleure pour eux, en s'appuyant sur les découvertes de l'économie comportementale [13, 14] . Pour cette dernière, nos décisions sont prises par notre cerveau selon deux modes de fonctionnement, schématisés par le Système 1 et le Système 2. Le « système 1 » est rapide, intuitif et émotionnel, il permet de prendre de manière automatique la plupart des décisions dans la vie de tous les jours, mais il est à l'origine des biais cognitifs qui produisent des altérations du raisonnement. Le « système 2 » permettrait d'éviter ces biais, car il est réfléchi et logique, mais il est lent et demande de la concentration. Il n'est alors pas étonnant que la plupart des choix comportementaux ordinaires soient sous l'influence de raccourcis cognitifs et de parti-pris, par exemple la règle par défaut qui amènent les individus à avoir une préférence pour des situations déjà connues ou des décisions présélectionnées [15] . Les nudges s'inspirent de l'économie comportementale et des neurosciences. Ils incitent à changer les comportements en travaillant sur l'architecture des choix afin de proposer une solution réflexe et automatique qui coïncide à court terme avec le « meilleur choix » perçu. Puisque de manière inconsciente les individus commettent des erreurs de jugement qui les amènent à privilégier les bénéfices immédiats, il s'agit de travailler sur l'environnement afin d'orienter le choix vers la solution optimale, sans délibération. De nombreuses expériences ont montré qu'à court terme, les changements dans l'architecture de choix pouvaient avoir un impact sur le comportement alimentaire. Appliquant la « loi du moindre effort » dans une cafétéria d'une université américaine, une équipe de chercheurs a ainsi démontré qu'en rapprochant les légumes de quelques centimètres des plateaux des clients, on augmentait leur consommation [16] . L'approche des nudges cherche à obtenir un changement immédiat des comportements par le biais d'une modification subtile de l'environnement à laquelle l'individu doit toujours avoir le choix de se soustraire. Elle entend respecter une forme de libre arbitre. Diminuer la taille des portions d'aliments dont la consommation doit être limitée, c'est un nudge. Interdire ces aliments n'est pas un nudge, puisqu'on supprime le choix. Les comportements alimentaires automatiques, sous influences psychologiques, sociales et culturelles diverses et profondes sont particulièrement difficiles à modifier. Aussi, la combinaison des deux approches --la méthodologie rigoureuse et l'efficacité à long terme du marketing social et la puissance de la modification de l'architecture de choix à court terme peuvent aider à y parvenir. La recherche en marketing social a cherché depuis longtemps à identifier les caractéristiques des interventions les plus efficaces pour changer durablement les comportements [17] [18] [19] . Certains critères ont été établis pour caractériser un programme de marketing social [17] : • un objectif clair de changement de comportement ; • le recours à une recherche formative pour comprendre les cibles en profondeur, tout au long du processus, en amont, pendant et à la fin d'un programme ; • la prise en compte nécessaire de la concurrence face au comportement souhaité ; • la segmentation de la population afin de s'assurer d'une efficacité maximum dans un contexte d'allocation souvent réduite des ressources ; • une proposition d'échange attrayante et motivante pour les cibles ; • l'utilisation des outils du marketing classique, tels que les traditionnels « 4 P » (produit, prix, place et promotion), et pas seulement la communication. L'analyse des résultats d'études empiriques qui visaient à améliorer les comportements alimentaires montrent que celles qui avaient mis en oeuvre l'ensemble de ces critères avaient obtenu des résultats significativement plus importants sur le changement de comportement alimentaire attendu des cibles [20] . autour d'une frustration sur lesquelles l'intervention pourra s'appuyer pour élaborer des solutions concrètes et favoriser l'engagement des groupes-cibles vers la modification de leur comportement. Par exemple, il s'agira de comprendre, au-delà des données brutes, les barrières à la consommation des fruits et légumes par les 18-35 ans, non pas du point de vue des experts scientifiques, mais de leur point de vue, en les considérant comme des experts de leur comportement, de leurs besoins et de leurs attentes. Les réseaux familiaux, sociaux, de voisinage, la communauté dans laquelle les personnes vivent et s'insèrent ou non, sont aussi des facteurs de soutien et d'influence de leurs comportements à intégrer dans la compréhension des modes de vie. Quand on cherche à modifier un comportement, il faut bien souvent d'abord comprendre et analyser un ensemble de comportements et les éléments complexes qui l'influencent, afin d'identifier où, quand et comment il sera le plus efficace d'intervenir. Par exemple, dans le cas de la prévention du surpoids et de l'obésité chez l'enfant, sont à prendre en compte un ensemble de déterminants tels que les modèles culturels locaux ou identitaires, le poids des arbitrages économiques et hédoniques singuliers à la population visée, l'environnement physique et son jeu de contraintes ou encore les freins à l'accès aux activités physiques et sportives locales. Viennent ensuite les pratiques alimentaires des familles et les interactions sociales [21] . On parle de facteurs liés à l'environnement structurel pour déterminer l'influence générale des conditions socio-économiques, culturelles et environnementales dans lesquelles une population vit ; puis il y a les conditions sociales et matérielles, qui sont déterminées par de multiples facteurs comme l'accès au logement, à l'éducation, les conditions d'approvisionnement, etc. De ces constats on peut déduire que les interventions de modifications de comportement peuvent être envisagées selon quatre niveaux d'influence : le premier est le niveau politique pour agir via des changements structurels par des lois, des taxes, des stratégies économiques. Le deuxième concerne l'amélioration des conditions de vie et de travail du groupe d'individus ciblés. Le troisième regroupe les interventions qui visent à renforcer le soutien social et local aux individus et aux familles. Le quatrième est le niveau des actions ciblées cherchant à modifier les attitudes, les représentations et les modes de vie individuels [22] . Cet ensemble de systèmes est également appelé « modèle socio-écologique ou « niche écologique » [23, 24] . L'efficacité d'une intervention est d'autant plus forte lorsqu'elle agit à différent niveaux, celui des individus ou des groupes de personnes, de leur entourage, de leur milieu de vie ou de travail, voire au niveau institutionnel (Fig. 1) . La phase de recherche formative sert également à mettre au jour les forces contraires à la modification d'un comportement alors que celui-ci est plus habituel, plus simple ou plus plaisant. Il faut en tenir compte sous peine d'échec. Proposer de boire de l'eau quand on a soif doit tenir compte de la facilité d'accès, du plaisir procuré et du pouvoir d'attraction des offres concurrentes de cette proposition. En définitive, l'étude préalable permet de bâtir l'hypothèse qu'il sera plus efficace de toucher la population la plus affectée par le désordre engendré par des comportements ineffectifs (comme par exemple des choix d'aliments trop gras et trop sucrés) ou bien de cibler une population dont le changement de comportement peut entraîner d'autres groupes à l'adopter à son tour en modifiant la perception de la norme sociale. Plusieurs grandes théories en psychologie sociale appuient l'hypothèse de l'importance de l'entourage et de l'influence des relations sociales pour apprendre de nouveaux comportements, qu'il s'agisse de la théorie sociocognitive de l'apprentissage social [25] ou de celles des normes sociales [26] . La segmentation est un concept directement inspiré du marketing classique. Pour être efficace, une action ne doit pas chercher à viser tout le monde, mais plutôt à repérer des segments (des groupes) homogènes de la population, selon des critères qui peuvent se fonder sur les données psychographiques, économiques, géographiques, comportementales, etc. en identifiant leurs caractéristiques et leurs attentes relativement communes. Adapté au marketing social, ce concept indique qu'à partir de la recherche préalable, les promoteurs d'une intervention délimitent le ou les groupes-cible qu'elle va accompagner pour gagner en efficacité, plutôt que d'avoir recours à une politique de messages non ciblés qui s'adresse à tous, mais qui n'atteint pas forcément les personnes les plus concernées. L'échange est aussi un concept largement développé en recherche marketing. Il pointe l'importance, face aux forces contraires, de proposer une valeur d'échange que les groupes ciblés trouveront à leur avantage. En particulier, dans les problématiques de santé, on demande souvent aux personnes de choisir une solution plus favorable à long terme, mais moins attrayante à court terme. Cuisiner des produits bruts ou peu transformés est sans doute meilleur pour la santé, mais si le bénéfice apparaît trop faible ou à très (trop) long terme, les personnes qui ont pour habitude de manger des plats tout prêts auront du mal à trouver de la valeur à (é)changer. Une tâche clé en marketing social consiste donc à développer une proposition d'échange qui incorpore les sacrifices (pas seulement financiers) qu'on demande aux personnes de faire en échange des avantages qu'ils obtiendront en modifiant leur comportement. Pour y parvenir, la co-création avec des représentants des groupes ciblés et de toutes les parties prenantes concernées est une piste prometteuse. Elle peut permettre de découvrir des formes de récompense immédiates efficaces, matérielles ou psychologiques comme l'augmentation de la confiance en soi et du sentiment d'auto-efficacité, la reconnaissance par ses pairs, le sentiment de se conformer à une norme sociale, la satisfaction personnelle ou familiale, etc. La théorie de l'autodétermination [27] propose que les individus sont d'autant plus motivés durablement qu'une proposition correspond à la satisfaction de trois besoins psychologiques de base : • un besoin d'autodétermination, qui renvoie au sentiment d'être autonome dans ses choix de comportement ; • un besoin de compétence, qui fait référence à la sensation que peut éprouver l'individu lorsqu'il interagit efficacement avec son comportement et lorsqu'il a le sentiment de pouvoir utiliser ses capacités ; • un besoin d'interaction sociale, lié au fait de se sentir connecté aux autres et d'avoir un sentiment d'appartenance à une communauté de personnes. De manière complémentaire, le modèle COM-B présente le comportement comme une interaction entre trois conditions nécessaires : la capacité (psychologique ou physique d'accomplir le comportement), l'opportunité (offerte par l'environnement) et la motivation (qui facilite ou inhibe le comportement). Là encore, le modèle aide à concevoir le type d'échange qui apporte une valeur aux groupes ciblés, véritable moteur du changement de comportement [28] . Le « mix marketing » ou déploiement des moyens d'action est un concept toujours très utilisé en marketing commercial. Il indique que le marketing doit agir sur toutes les variables qui influencent un marché : le produit lui-même, en le concevant de telle manière qu'il apporte de la valeur à la cible ; son prix, qui doit être cohérent avec sa valeur, en particulier par rapport à la concurrence ; la distribution, c'est-à-dire, les lieux où le produit est disponible (par exemple, le type de magasins aussi bien que la vente par Internet ou directe chez le producteur) et enfin la communication qui doit être capable de véhiculer la valeur de l'offre aux groupes ciblés. C'est ce qu'on traduit en général par les « 4P » en reprenant les termes anglo-saxons de « product », « price », « place » et « promotion ». On peut appliquer cette vision en l'adaptant aux objectifs propres d'une problématique de changement social. Il est important de prendre en compte toutes les composantes de ce « mix marketing » pour différencier le marketing social de la simple campagne de communication qui ne joue que sur le volet de l'information et qui veut s'adresser à une population générale, non ciblée. En marketing social, on parle alors de « produit » pour définir le bénéfice du changement de comportement, mais on inclue également les facilitateurs matériels ou immatériels mis en place ; le « prix » rappelle la nécessaire prise en compte des sacrifices à adopter un nouveau comportement, le prix à payer pour changer ; la « place » permet d'envisager les lieux et moyens de toucher la cible ; la « communication » envisage toutes les actions de communications avec la cible pour encourager et accompagner le changement de comportement. Cet ensemble d'actions a tout à gagner à être d'abord testé à une échelle réduite afin de tirer les leçons d'une phase pilote avant de déployer un programme à un niveau plus vaste. La notion de « Living Lab » (ou laboratoire vivant) a été développée avec pour objectif de mettre en place et de tester une action de progrès social en mobilisant les cibles et les parties prenantes au sein d'un territoire donné. Le « Living Lab » se construit de manière itérative et participative, en utilisant une dynamique de co-design avec des représentants de tous les groupes d'acteurs --cibles et parties prenantes --qui vont avoir un impact sur la réussite de l'objectif. Il est particulièrement efficace pour repérer et trouver les moyens de lever les freins qui naissent pendant cette phase de terrain et qui n'avaient pas pu être identifiés auparavant. Le Living lab est un outil efficace pour développer sur le terrain des actions avec les personnes concernées, pour les enrichir, les tester et les évaluer avant de déployer et de changer d'échelle [29, 30] . Dans le cas de l'utilisation des nudges, ce sont les théories fondées sur les biais cognitifs qui vont appuyer le choix du dispositif. La plupart de nos comportements, notamment routiniers, sont sous l'influence de raccourcis et de partis pris (les biais cognitifs) dont nous ne sommes pas conscients, plutôt que motivés par des intentions conscientes. Repérer les biais qui affectent les comportements en les rendant contraires à l'intérêt des individus et de la société correspond à la mise au jour de ces « insights » comportementaux qui pèsent sur nos comportements de manière souvent implicite et donc difficilement modifiable par l'information. Cette recherche peut se faire par l'observation des comportements à modifier chez les groupes ciblés. On peut ensuite utiliser ces P. Gurviez, S. Raffin biais pour influencer de manière implicite les choix des personnes. La dynamique des nudges peut être utilisée seule ou bien s'intégrer aux outils d'une campagne globale de marketing social. L'institut des rencontres de la forme (IRFO) et des experts de l'éducation nationale, ont utilisé la puissance des nudges pour remettre du mouvement dans les cours de récréation, dans le cadre d'une dispositif déployé dans les écoles de Hauts de France. Plusieurs constats ont guidé la mise en place du nudge : le manque d'activités de beaucoup d'enfants, en particulier chez les filles et dans les familles les plus défavorisées ; l'opportunité du temps que les enfants passent dans la cour, entre les récréations et le temps périscolaire, pour promouvoir des activités physiques (au-delà des plages d'EPS) ; la nécessité de proposer des choses peu coûteuses, car souvent une ville a plusieurs cours d'écoles à aménager, voire beaucoup dans le cas de grandes métropoles. Les sols des cours ont donc été réaménagés et peints avec des tracés de jeux pour donner aux enfants l'envie de bouger de manière autonome et développer ainsi leurs capacités physiques par le jeu. Des marelles, des silhouettes, comme celles de crocodiles qu'il faut éviter en sautant, ont été peintes au sol et des zones pour les cordes à sauter ou des jeux de balle ont été délimités. L'initiative a été couronnée de succès et a ensuite été étendue à un dispositif national. L'un des principes du marketing social est l'évaluation systématique de l'efficacité de l'intervention. Si de nombreuses revues de littérature ont conclu à l'efficacité du marketing social sur le changement de comportement en général 1,2 , trois en particulier se sont attachées à relever le potentiel d'influence sur le comportement alimentaire [20, 31, 32] . Elles confirment le potentiel d'efficacité du marketing social concernant la promotion d'une saine alimentation. Les interventions analysées avaient eu une forte influence sur les connaissances nutritionnelles ainsi que sur des variables psychologiques comme l'auto-efficacité et la perception des bénéfices d'une alimentation plus saine. Les effets étaient moindres, mais néanmoins modérés sur les changements alimentaires. Sur la période 1990-2009, 25 des 27 interventions de marketing social ayant pour objectif un changement de comportement relatif à l'obésité, qu'il concerne l'alimentation ou l'activité physique ou les deux, ont obtenu des résultats positifs [20] . Les dispositifs de nudges, à l'instar des interventions du marketing social, ont suscité de nombreuses recherches destinées à en évaluer l'efficacité. Même s'ils ne sont pas entièrement nouveaux, le fait de les revendiquer sous l'appellation nudge depuis 2008 facilite leur repérage et leur dissémination. De manière générale, l'efficacité des nudges sur les comportements alimentaires s'avère assez souvent efficace à court terme. Changer l'ordre de présentation ou la proximité des produits alimentaires peut amener à favoriser les « bons » choix [33] . Cependant, d'autres études systématiques montrent que les résultats de dispositifs des nudges dans une école ont un impact sur l'attitude, mais pas vraiment sur l'augmentation de la consommation de fruits et légumes par les enfants et leur impact à long terme reste incertain [34, 35] Une importante et récente méta-analyse porte sur 90 articles rapportant 96 recherches sur le terrain s'étant déroulées principalement aux États-Unis Les auteurs ont distingué de manière très large : • les interventions visant un effet cognitif, comme l'information nutritionnelle y compris les dispositifs type Feux verts ou encore Nutri-score ou la mise en avant des aliments plus sains dans les magasins ou les restaurants ; • les interventions s'adressant à l'émotionnel, en jouant sur les bénéfices hédoniques des aliments proposés et ; • les interventions qui cherchent à changer directement les comportements des individus, sans passer par l'influence sur leurs connaissances ou leurs émotions. Cette dernière catégorie correspond à ce que la plupart des recherches étudient sous le terme des nudges comportementaux. L'étude conclue après analyse que les interventions sont plus efficaces pour la réduction les aliments nutritionnellement peu équilibrés que pour l'augmentation d'aliments équilibrés ou la réduction totale des calories. Les nudges orientés vers le changement de comportement ont une efficacité sur les changements plus grande que les deux autres, et les interventions qui s'adressent à l'émotionnel ont un effet plus grand que celles qui apportent simplement de l'information [36] . Faute de recul et de mesure, il est cependant difficile aujourd'hui de se prononcer sur la durabilité des changements de comportement à l'issue des interventions de type nudge. Tant que les dispositifs restent en place, ils peuvent avoir un impact. À l'inverse, ne s'intéressant pas à la motivation et à l'engagement et se focalisant avant tout sur les individus sans tenir compte de l'influence du contexte, leur effet risque de ne durer que le temps de leur mise en place. Faut-il continuer à opposer, comme on le voit parfois, les deux approches ou bien n'est-il pas temps de mobiliser toutes les ressources disponibles pour lutter contre les conséquences dramatiques sanitaires et sociales du surpoids et de l'obésité ? Le marketing social apporte une méthodologie éprouvée, un cadre conceptuel qui englobe les influences sociales et qui donne un rôle actif aux populations concernées ainsi que de nombreux exemples d'actions qui ont eu un impact sur les comportements concernant l'alimentation et bien d'autres grands défis. Il faut cependant être conscient que le principal défaut du marketing social, c'est son nom, dans un contexte culturel ou le terme « marketing » véhicule des connotations négatives, pour le grand public comme pour les décideurs publics. L'approche des nudges s'appuie sur des courants de recherche solide, l'économie comportementale et les neurosciences. La reconnaissance de l'économie comportementale au travers de trois prix Nobel d'économie (Kahneman, Thaler et Duflo) et son succès auprès des gouvernements plaide en sa faveur, même si les critiques portant sur la manipulation, l'individualisme ou le court terme restent importantes. Les évolutions qui sont recommandées lors des évaluations de l'efficacité des nudges dans les pays où ils sont devenus partie intégrante de l'action publique plaident pour un rapprochement des deux approches [37] . En réalité, ces deux approches sont fondamentalement complémentaires, car elle proposent une méthode comportementale globale pour apporter des solutions efficaces et pragmatiques aux grands défis auxquels nos sociétés doivent faire face. Il est temps de leur donner plus de place dans les interventions de santé publique, notamment s'agissant des comportements alimentaires pour lesquels nos politiques publiques peinent à obtenir des résultats probants comme en témoignent la progression inexorable du surpoids et de l'obésité malgré des années d'information et d'éducation nutritionnelle. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. Consideration of the evidence on childhood obesity for the Commission on Ending Childhood Obesity. Geneva, Switzerland: WHO Effects of short chain fatty acid producing bacteria on epigenetic regulation of FFAR3 in type 2 diabetes and obesity Programme national nutrition santé 2019-2023. Ministère des Solidarités et de la Santé La santé des enfants de grande section de maternelle en Une situation contrastée selon l'origine sociale Étude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition (ESTEBAN 2014-2016) Estimating the pathways of an antitobacco campaign Agir sur les comportements nutritionnels. Réglementation, marketing & influence de communications de santé. Montrouge: Coll. expertise collective Social marketing: an approach to planned social change Rotary's PolioPlus program: lessons learned, transition planning, and legacy Asociacion Latinoamerica de mercadeo social. Global consensus on social marketing principles, concepts and techniques About drink up partnership for a healthier America Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision Advances in prospect theory: cumulative representation of uncertainty Système 1/système 2 : les deux vitesses de la pensée Nudge to nobesity I: minor changes in accessibility decrease food intake Commercial marketing and social change The big pocket guide to social marketing What are the key criteria that act as the predictors of success in a social marketing campaign. Huddersfield Eating for the better: a social marketing review Environmental and societal factors affect food choice and physical activity: rationale, influences, and leverage points Toward an experimental ecology of human development Policies and strategies to promote social equity in health. Background document to WHO -strategy paper for Ecological models of health behavior Social foundations of thought and action: a social cognitive theory The social norms approach: theory, research and annotated bibliography Facilitating health behaviour change and its maintenance: interventions based on self-determination theory The behaviour change wheel: a new method for characterising and designing behaviour change interventions Accelerating global supply chains with IT-innovation: ITAIDE tools and methods Managing the challenges of becoming an open innovation company A systematic review of social marketing effectiveness The effectiveness of social marketing in global health: a systematic review Nudging consumers towards healthier choices: a systematic review of positional influences on food choice Choice architecture interventions for increased vegetable intake and behaviour change in a school setting: a systematic review Nudge'' interventions for improving children's dietary behaviors in the home: a systematic review Which healthy eating nudges work best? A meta-analysis of field experiments EAST: four simple ways to apply behavioural insights. London: The behavioural insights team