key: cord-254998-cklhrh3s authors: Desjeux, Cyril title: COVID-19: handicaps, perte d’autonomie et aides humaines date: 2020-06-25 journal: Alter DOI: 10.1016/j.alter.2020.06.015 sha: doc_id: 254998 cord_uid: cklhrh3s nan Dans le cadre d'un soutien accordé par la Fondation de France, Handéo 1 a mis en place une veille sur la situation actuelle pour réaliser une synthèse des retours d'expérience de la période de confinement dans le secteur du domicile. Cette veille prend la forme d'un suivi de l'actualité dans les médias et sur les réseaux sociaux ainsi que la réalisation d'entretiens téléphoniques informels avec des acteurs du secteur (directeurs de SAAD, auxiliaires de vie sociale, personnes en situation de handicapdéficiences visuelle, motrice et intellectuelle -personnes âgées de plus de 65 ans et proches aidants de personnes polyhandicapées, autistes, cérébrolésées ou avec des troubles psychiques). Les éléments que je vais présenter concernent principalement la période de 12 mars au 1 er mai 2020. Elle cible plus particulièrement la question des gestes barrières et l'utilisation des équipements de protection individuelle par les professionnels du domicile et les personnes accompagnées. Entre les personnes directement concernées et les proches aidants, on peut estimer (dans une interprétation très extensive des chiffres) à un tiers de la population, le nombre de personnes concernées par le handicap ou la perte d'autonomie à domicile (Ville, Ravaud, Letourmy, 2003 ; Soullier, 2012 ; DREES, 2016 ; BVA, 2017) . Pourtant les seules données chiffrées disponibles relatives à l'épidémie de la COVID19 pendant la période de confinement concernent les hôpitaux, et dans un second temps les établissements médico-sociaux. On peut également rappeler que plus d'un million de personnes qui vivent chez elles ont besoin de l'aide d'un tiers pour 250 000 aides à domicile . Pourtant, les différents 1 Handéo est un outil collaboratif et participatif, à disposition de ses membres : Fédération des APAJH, APF France handicap, NEXEM, UNAFTC, Mutuelle Intégrance, FISAF, FFAIMC, Trisomie 21 France, UNAFAM, Autisme France, UNAPEDA, Fondation OVE, UNAPEI, Fédérations des PEP, UNA, FEDESAP, Groupe Apicil et FEHAP. Le projet de l'association Handéo s'inscrit dans la continuité et dans l'esprit de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ainsi que dans le cadre de la mise en oeuvre de la déclaration des droits de l'homme et la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Les membres d'Handéo entendent rendre effectif l'accès de toutes les personnes au droit de vivre dans la société avec les mêmes libertés de choix pour chacun et l'accès aux droits à la participation, à la mobilité personnelle et à l'accessibilité. L'action de Handéo vise plus particulièrement les personnes en situation de handicap, quels que soient leur âge et la cause du handicap, ainsi que les proches aidants. protocoles proposés pour les gestes barrières concernent principalement les établissements et le secteur sanitaire, non le domicile. En résumé, les retours d'expérience de Handéo témoignent notamment des inégalités qui peuvent exister face à la pandémie et aux politiques de confinement (et aussi de déconfinement 2 ). Ils témoignent également des lignes de force concernant les capacités d'adaptation et organisation de certaines personnes, structures ou coopérations. Il y a donc la fois des aspects négatifs, mais aussi positifs dans ce qui peut être mis en lumière avec cette crise. Comme tout phénomène social, que l'on peut qualifier de total au sens de Marcel Mauss, il porte en lui un certain nombre d'ambivalences. Une seconde ambivalence qui est encore plus mise en lumière est sans doute la tension qui peut exister entre la notion de « protection » et de « libre choix ». Les retours d'expériences que j'ai pu avoir montrent que l'un des enjeux est aussi d'acculturer les acteurs du domicile à un accompagnement qui permette de poursuivre l'objectif normatif d'autonomie des personnes, tout en assurant les normes hygiénistes. Il est question de normes ici, car aussi bien la question de l'autonomie que de l'hygiène relève de règles qui prescrivent, autorisent ou interdisent certaines manières de faire et d'être en fonction des situations, elles-mêmes dépendantes des acteurs (humain et inerte comme les surfaces ou les objets) qui les composent, de leurs intérêts, de leurs ressources et de leurs contraintes (Crozier, 1981 (Crozier, [1977 ). Au regard de cette approche, une des difficultés est que l'information produite n'est pas toujours adaptée aux spécificités de l'environnement de travail du domicile qui est différent d'un bloc opératoire, d'un service hospitalier ou d'un établissement d'hébergement médico-social. Par exemple, dans un bloc opératoire, les gants seront mis par un tiers, pas dans les autres situations. Autres exemples, le niveau d'exigence de l'efficacité d'un masque, mais également l'amplitude de l'intervalle de confiance 3 avec l'application des règles d'usage seront différents selon la situation. Selon que l'on doit réaliser une opération chirurgicale ou sortir dans la rue pour aller faire ses courses, le niveau de protection attendu ne sera pas le même. Une autre difficulté concerne les informations qui ne sont pas non plus toujours adaptées à la spécifié du public accompagné par les professionnels du domicile : il est parfois en très grande dépendance, avec des troubles du comportement sévères, avec des troubles mnésiques importants, en incapacité de voir ce qu'il touche, de comprendre ce qui est dit si la bouche est masquée, etc. Une troisième ambivalence que vient exacerber cette crise est la tension entre « protection » et « qualité de la relation ». Pour certaines personnes le touché, le contact visuel, les gestes infraverbaux sont nécessaires à l'accompagnement. Quand on met une combinaison de protection intégrale, cette relation est altérée, voire le lien de confiance peut être rompu. L'intervalle de confiance de la mesure du risque sanitaire par rapport à la situation a également son importance dans cette ambivalence, car elle demande de trouver un ajustement au regard des possibilités et de l'objectif de l'action. Par exemple, une application des normes hygiénistes optimale voudrait que l'ensemble des équipements de protection individuelle soit porté à domicile, mais si la personne ne montre aucun signe d'infection, est-ce nécessaire ? Certaines personnes pourront argumenter le risque que la personne puisse être asymptomatique. Mais porter des lunettes ou une visière de protection est-il vraiment utile pour intervenir auprès d'une personne sans symptôme ? On pourrait objecter que la personne pourrait éternuer ou que, pour certaines situation de handicap, le comportement n'est pas prévisible, ou au contraire, qu'il l'est (par exemple, la personne peut cracher au visage à cause d'un trouble cognitif). Dans cette équation constitué par cet intervalle de confiance, le risque est structuré de plusieurs composantes : il y a le risque sanitaire de la COVID 19 dont la connaissance sur les modes de transmission a évolué et évolue encore (même si l'on a identifié assez rapidement que les principaux risques étaient les gouttelettes et les mains comme support du virus), mais il y a aussi les autres maladies qui peuvent exister parallèlement. Il comprend également une dimension symbolique qui est notre rapport à la maladie et plus largement à l'hygiène en général. La mesure du risque passe aussi par la manière dont on se perçoit, dont on perçoit ces pratiques et dont perçoit celle de l'autre, notamment dans la capacité à appliquer les gestes barrières, à utiliser correctement les équipements de protection ou à pouvoir (ou non) être porteur de la maladie. Enfin, il comporte également une composante juridique et socioéconomique au regard du droit du travail (vis-à-vis de la prise en compte des risques professionnels par l'employeur) ou de la Cour de justice de la République (concernant la gestion de la pandémie par le gouvernement), ainsi que de l'impact de la pandémie sur les différentes dimensions sociales dont la solidarité (effets du confinement, de l'hospitalisation ou de la réanimation sur les personnes), l'économie (variation de l'activité des services, salaire des intervenants, coût de la prestation), l'écologie (recyclage des équipements de protection), l'emploi (maintien ou non de son travail, modalité pour se rendre au travail), la famille (risque de contamination des proches, garde d'enfant, scolarité à domicile). Concernant l'angle sanitaire, les études scientifiques sur les épidémies précédentes (notamment SRAS ou Ebola) montrent que deux facteurs contributifs de transmission incluent : un approvisionnement insuffisant en équipement de protection d'une part, et un manque de respect du protocole d'enfilage et de retrait de ces équipements d'autre part. Aussi, l'un des deux risques professionnels d'infection le plus important est probablement associé à l'auto-contamination par des professionnels qui retirent de manière inappropriée l'équipement de protection individuelle (masque, blouse, lunette, charlotte, gants) . Dans ce sens, plusieurs services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) ont fait remonter tout au long de la période de confinement des difficultés d'accès aux matériels (masques, gants et gels hydroalcooliques), car ils n'ont pas été identifiés comme soignants, même s'ils avaient été identifiés comme des « professionnels prioritaires » dans un des arrêtés du gouvernement 4 . Ce manque de matériel a exposé plus particulièrement ces professionnels et également les personnes auprès de qui ils interviennent. Il a amplifié aussi les difficultés de ressources humaines, puisque les services ont été confrontés à des personnels qui exerçaient leur « droit de retrait » au regard du manque d'équipement et de leur perception du risque de contamination. On peut noter qu'une des complexités pour les directeurs de SAAD a été l'attente de protocoles et de lignes de conduite nationales. Ces documents ont fini par sortir, parfois tardivement (plus d'un mois après le début de l'annonce du confinement) 5 et souvent remis en question par les fédérations de l'aide à domicile (Rabeux, 2020) . Le silence de la Haute Autorité de Santé durant tout le mois de mars et avril a également interpellé plusieurs acteurs 6 . Ce temps de latence ou l'inadaptation des documents ont pu limiter la possibilité, pour les directions de SAAD, de donner des lignes claires aux intervenants à domicile. Les services ont dû ainsi accroître leur capacité de « bricolage » organisationnel : ils ont dû continuer à absorber les problèmes du secteur tout en faisant face au droit de retrait des intervenants. Aussi, une partie des services a fonctionné en effectif réduit. Cela a augmenté la charge de travail des intervenants qui restait actifs et cela a aussi obligé à inventer de nouvelles solutions. Ces solutions ont notamment demandé de pouvoir s'approprier les gestes barrières et l'usage des équipements de protection lorsque ces professionnels y ont eu accès. Or ces professionnels n'ont pas toujours été formés à la technicité de ces gestes 7 . Par exemple : -se laver les mains est un geste très important des protocoles hygiénistes. Il s'agit d'un acte qui demande également un apprentissage si l'on veut pouvoir se débarrasser correctement des résidus de virus qui peuvent s'y trouver. Il demande d'être méticuleux pour couvrir toutes les parties de la mains (paume, dos de la main, doigts, ongles, poignets, etc.) et il doit aussi durer suffisamment longtemps (au moins 30 secondes, voire 1 minute selon les protocoles) ; -pour un usage optimal, le masque de protection n'est efficace que s'il est bien porté : mis dans le bon sens, mis correctement sur le nez, couvrant bien le menton, n'est pas porté en continu, n'est pas régulièrement touché ou manipulé pendant qu'il est porté, etc. En outre, il peut être difficile de s'y retrouver entre les différentes catégories de masques qui ont également des normes et des critères d'efficacités différents. Par exemple, le pourcentage d'efficacité d'un masque FFP est évalué sur la base d'une médiane de 0,6 micromètre (de la taille de particule aérienne) alors que les masques chirurgicaux ou de la norme AFNOR sont évalué sur une base de 3 micromètres (un peu plus petit que des gouttelettes). Ces normes sont d'autant plus complexes que leur situation d'usage fait varier le degré de flexibilité que l'on peut avoir avec ces critères d'efficacité ou le respect des bons gestes. Par exemple, le niveau d'exigence, ou plus exactement l'intervalle de confiance, n'est pas le même en milieu hospitalier ou pour le grand public car les risques de contamination à la COVID19, mais également à d'autres virus ou bactéries, sont différents. En outre, pour le grand public, le port du masque ne vise qu'à protéger de la COVID-19 ; -l'usage de gants est également complexe. Il faut notamment éviter de les porter en continu car il donne un faux sentiment de sécurité. Mal utilisés, ils peuvent être plus problématiques que s'ils ne sont pas utilisés (on peut toucher plus de surface ou plus facilement son visage). En outre, les enlever est une procédure particulièrement délicate car il faut arriver à les retourner en les enlevant tout en évitant le plus possible de toucher la partie extérieure du gant (la partie qui a pu être en contact avec des particules contaminées) ; -utiliser une surblouse demande aussi une certaine technicité, en particulier pour la retirer : il est important de ne pas toucher la partie extérieure qui a pu être en contact avec le virus, tout en arrivant à former progressivement une boule avec la blouse pour ensuite la jeter ; -tous ces équipements s'inscrivent dans un processus plus large de protection. Aussi, ils demandent d'être organisés et mis dans le bon ordre si l'on veut respecter les normes hygiénistes. Tout commence par se laver les mains. Dans un second temps, le masque et, si besoin, la protection pour les cheveux peuvent être mis, puis la blouse et les lunettes. Si des gants doivent être mis, il faudra se relaver les mains au préalable. Pour retirer tous ces équipements, on commence par ôter les gants et la blouse. Ensuite, il faut se laver les mains, puis retirer les lunettes par les branches, le masque par la lanière et la charlotte. Puis se relaver les mains ; -enfin il y a les règles relatives au déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI) qui sont également à connaître pour jeter l'équipement de protection. Plusieurs difficultés ont été mentionnées concernant l'application ou l'appropriation des gestes barrières ou des équipements de protection. Par exemple : -les personnes déficientes visuelles peuvent avoir besoin qu'on leur prenne le coude pour être guidées. Aussi, il peut paraître préférable d'éviter d'éternuer dans ce coude. Ils ne peuvent pas non plus visualiser si la distance physique est respectée (au moins de 1 ou 2 mètre selon les pays ou la situation) ; -certaines personnes, ne pouvant pas utiliser leur bras, ne peuvent pas mettre leur masque seules. Si la pose est faite par un professionnel, il n'est plus possible de respecter la distance physique recommandée. D'autres ne peuvent pas du tout mettre de masque car ils ont un respirateur buccal ou des troubles cognitifs ; -d'autres personnes, notamment déficientes intellectuelles ou avec des troubles de la mémoire, montrent également une difficulté à comprendre et retenir les messages. Les effets mentionnés par les personnes ou les proches peuvent être, par exemple une difficulté à s'approprier seul, les gestes barrières ; -etc. L'exemple de l'attestation de sortie montre que ces difficultés n'ont pas toujours été anticipées au moment du confinement. Un des signaux forts dans ce sens concerne les différentes versions qui ont pu se succéder sur plusieurs semaines pour les personnes qui pouvaient ne pas bénéficier d'ordinateur, pour celles qui avaient besoin de document en facile à lire et à comprendre (FALC), pour aménager les sorties des personnes qui pouvaient justifier de leur handicap, etc. Cet exemple contraste avec la multitude de documents qui ont pu être publiés simultanément par le gouvernement pour préparer la sortie du confinement, notamment pour essayer de prendre en compte les spécificités des différentes situations. Mais l'expérience du confinement des personnes en situation de handicap ne témoigne pas uniquement de difficultés. Certaines personnes en situation de handicap ont montré également une capacité à intégrer plus facilement la situation de pandémie et ses contraintes. Cette capacité peut s'expliquer par une « vulnérabilité » qui préexistait à la COVID-19, c'est-à-dire un environnement perpétuellement incertain et potentiellement dangereux (que l'on soit en période de crise ou non). Pour certains, n'importe quelle maladie respiratoire comporte un risque d'aggravation. D'autres personnes ont décrit leur handicap comme une ressource, notamment lorsqu'il implique une distance physique. Il s'agit de certaines personnes Asperger par exemple. D'autres encore ont pu assimiler le confinement des personnes valides à leur situation de handicap, expliquant l'absence de nouveauté de cette mesure dans leur expérience de la vie en général. Cependant, cet « avantage » pour certaines situations n'est pas à comprendre comme un aplanissement des inégalités. Il ne faudrait pas laisser à penser que -finalement -valides et non valides se retrouvent à vivre « la même chose », notamment avec le confinement. Il me semble plus tôt, au regard des témoignages que j'ai pu entendre, que l'on déplace le curseur. Par exemple, c'est plus difficile pour tout le monde d'accéder à la santé, mais c'est encore et toujours plus difficile pour les personnes en situation de handicap. De même la limitation à la vie sociale ne me parait pas être assimilable selon qu'elle est liée à une décision étatique (le confinement) ou à une situation (le handicap). Elle n'est pas assimilable notamment au regard des représentations que les handicaps peuvent véhiculer. On peut aussi dire qu'il y a une asymétrie temporelle dans la manière de faire l'expérience de ces limitations et de les incorporer ou non à un ensemble d'autres contraintes. Un autre exemple qui montre que ces ressources ne doivent pas être assimilées à un aplanissement des contraintes est la situation de certaines personnes vivant avec un handicap qui s'étaient déjà appropriées les « gestes barrières » : éviter les personnes malades, maintenir une distance raisonnable, demander aux intervenants de se protéger le visage et/ou les mains, de bien se laver les mains, de tousser dans le coude, etc. Cependant, le contexte dans la pandémie a pu amplifier la charge mentale de ces personnes et un sentiment de stress. Des stratégies d'adaptation ont pu ainsi être mises en place pour réguler ses émotions : éviter d'écouter en permanence les informations, vérifier les sources, garder un contact social au moins par téléphone ou internet, prendre de la distance avec les réseaux sociaux, maintenir un mode de vie sain et équilibré, etc. Cette gestion des émotions n'a d'ailleurs pas uniquement porté sur soi. Certaines personnes en situation de handicap ont dit se retrouver à devoir aussi moduler celles des aides à domicile qui peuvent intervenir chez elles. Certaines de leurs auxiliaires ou assistantes de vie ont eu peur ou, au contraire, ont été dans une certaine insouciance en ne mesurant pas les risques de transmission et toute la chaîne de conséquences humaines et organisationnelles d'un risque de contamination. Plusieurs acteurs s'accordent pour dire que les professionnels du domicile ont participé à éviter un engorgement plus important des hôpitaux. Ils ont aussi contribué à consolider les effets du confinement dans sa fonction de régulation de l'épidémie. C'est un discours politique, mais d'un point de vue sanitaire, on peut considérer que l'argument est également valable. En effet l'engorgement des hôpitaux aurait pu être d'autant plus important que certaines personnes myopathes, polyhandicapées, avec des troubles du comportement ou avec des risques de complication nécessitent de mobiliser beaucoup plus de professionnels que d'autres lors d'une hospitalisation. La sortie de confinement ne change d'ailleurs rien à cette fonction régulatrice toujours nécessaire tant que le virus circule. On peut également rappeler que pour le domicile, dans le contexte du confinement, les aides à domicile ont pu être les seules personnes à voir, à échanger et à pouvoir répondre aux interrogations et aux inquiétudes des personnes accompagnées et de leurs proches aidants. Ceci a été vrai pendant le confinement, mais l'a encore été par la suite puisque certaines familles ont continué à limiter un maximum les contacts avec l'extérieur (par peur de la maladie ou à cause d'un manque d'offres scolaires ou médico-sociales). Les familles ou personnes que j'ai pu avoir en contact ont commencé à montrer des signes d'ouverture progressifs, mais en décalage d'au moins un mois par rapport au déconfinement de la population globale, et de manière encore timorée (avec des conséquences grandissantes sur leur santé et l'épuisement des proches aidants). Parallèlement au rôle d'apaisement que certains professionnels du domicile avaient avec les personnes qu'elles accompagnaient, elles pouvaient également avoir à jouer ce rôle auprès de leur propre famille et entourage. Ces derniers pouvaient aussi être inquiets des modes de contamination ou que le virus entre dans la maison à cause du métier de leur proche qui intervient auprès de personnes, parfois perçues « à risque ». Les professionnels du domicile doivent donc se protéger, protéger les personnes qu'elles accompagnent et protéger leurs proches ainsi que les rassurer et les soigner. Une tension a pu ainsi apparaître entre le rôle qu'ils considèrent devoir jouer, celui que le service leur demande, les attendus de la personne et des proches aidants accompagnés et les attentes de la famille du professionnel à domicile. Cette dernière catégorie d'acteurs me semble d'autant plus importante à considérer qu'ils sont le plus souvent absents des analyses des enquêtes de terrain qui portent sur l'aide à domicile 8 . Ce qui ressort de ce retour d'expérience, c'est une responsabilité partagée encore plus forte que d'ordinaire. Elle est amplifiée, car ces professionnels sont déjà dans une posture et une présence qui est socialement peu visible, souvent qualifiée de « discrète » (Molinier, 2010) , et qui est déjà très exigeante (Desjeux, 2019) . Exigeante, car elle demande de pouvoir mettre à distance ses intérêts individuels au profit du collectif et de l'attention que l'on porte à l'autre. Exigeante, car ces professionnels ont une responsabilité morale à l'égard de l'autre. Et dans le contexte de la COVID-19, on voit très bien cette responsabilité également portée par l'autre vis-à-vis du professionnel. Et en même temps, ces professionnels peuvent avoir aussi une forme de responsabilité à l'égard de cette responsabilité. Il y a quelque chose de récursif (Lévinas, 1981) . On a pu voir cette responsabilité partagée, notamment quand elle avait dû mal à se mettre en place. Par exemple, plusieurs bénéficiaires de service ont dit que ce n'était pas à eux de fournir les masques. Dans une dynamique partagée de la responsabilité, la question aurait sans doute moins été de savoir qui doit fournir les masques que d'en avoir (quelle que soit la personne qui devrait les fournir). Cette posture est exigeante car elle demande au professionnel du domicile de reconnaître qu'il ne dispose pas toujours des mêmes ressources et des mêmes contraintes que l'autre pour construire cette responsabilité morale, et réciproquement. Exigeante car cela ne veut pas dire non plus que ces professionnels renoncent à leur identité, à leurs aspirations et à leurs besoins pour se fondre dans ceux de la personne qu'elles accompagnent. Cela veut dire qu'elles construisent leurs attentes et les traduisent autrement. C'est compliqué comme posture, car cela veut dire que l'on ne fait pas le prima du soi ou de l'autre, mais que l'on envisage en premier la relation qui nous lie à autrui en prenant en compte nos différences, nos altérités. Exigeante, car elle implique aussi de pouvoir se soucier de l'autre, de prendre soin de l'autre sans forcément être animé par un sentiment d'amour ou d'amitié. Si je disais que cette responsabilité et cette exigence sont encore plus fortes avec la COVID19, c'est que le risque de la transmission ajoute une charge mentale à celle déjà présente. Cette charge mentale n'est pas uniquement symbolique. Elle est aussi concrète : mettre en pratique les gestes barrières et utiliser des équipements de protection prend du temps ; temps qui vient réduire le plan d'aide qui est souvent déjà très contraint dans le planning d'organisation des interventions et pour les personnes elles-mêmes. Parallèlement, dans le contexte de cette pandémie, la sollicitation intense des professionnels à domicile contraste avec certaines manières dont le grand public envisage le confinement et le fait vivre. Ce confinement qui nous enjoint et nous impose de ne « rien faire » en dehors de chez soi permet aussi de mettre en lumière l'importance de ce « rien ». Ce « rien » n'est pas un acte passif, mais un acte d'alliance et de lien avec le monde social qui nous entoure. Il montre que les temps constitués de « rien » ont de la valeur, puisqu'il s'agit également d'une forme de soin actif qui a pour fonction de réguler et de réduire le nombre de personnes contaminées, et ainsi éviter l'engorgement des hôpitaux et des unités de réanimation. Ce « rien » est donc bien composé de pratiques et d'un ensemble de significations qui comptent. Cette expérience du « rien » peut aussi nous être utile pour la suite et repenser la place que l'on souhaite donner aux aides à domicile quand elles reprendront leur travail invisible « d'ordinarisation ». Qu'elles travaillent dans un service prestataire ou directement pour un particulier employeur, elles participent à créer, transformer ou réinventer un ordinaire, une vie quotidienne, des routines et des habitudes de vie. Cette expérience du « rien » confirme qu'être dans un travail invisible et une présence sociale discrète est un exercice exigeant dont beaucoup d'entre nous ont pu faire l'expérience. D'ailleurs, au regard du durcissement des mesures de confinement à partir du 17 mars et de sa durée, on voit comme il a été difficile pour certaines personnes de se soumettre ou de se conformer à toute cette exigence. Cette responsabilité partagée a été en partie structurée par le manque d'équipement qui a obligé les professionnels du domicile à limiter les prestations de confort pour freiner la propagation du virus, ou à réduire les aides dans les actes essentiels de la vie quotidienne (toilette, lever, transfert, habillement, etc.) pour limiter les contacts directs avec les personnes accompagnées. Un certain nombre d'interventions ont néanmoins été réalisées par les SAAD, y compris chez des personnes malades de la COVID-19 à domicile, qui sortaient d'hospitalisation ou de service de rééducation. Or pour certains actes, il est impossible de respecter la distance d'un mètre. Plusieurs actes les amènent à être en contact avec des fluides corporels (mucosités, urines etc.). Le matériel technique ou médical a besoin d'être désinfecté (fauteuil manuel ou électrique, masques de ventilation, poches à urines, etc.). On peut aussi rappeler que des précautions sont à prendre avec l'ensemble des objets du quotidien qui peuvent être fréquemment touchés avec les mains. C'est par exemple, les poignées de portes, le téléphone, les placards, les appareils électroménagers, les interrupteurs, les différentes télécommandes ou objets connectés, etc. Concernant sur les surfaces inertes, le risque réel de contamination est discuté. Les dernières études semblent dire que c'est peu probable. Pourtant, les protocoles restent inchangés. En outre, pendant la période de confinement, on peut aussi rappeler que -quel que soit l'état de la connaissance -il n'y avait pas que la COVID-19, mais aussi la grippe ou la gastroentérite (qui peuvent être aussi très dangereuses pour certaines personnes accompagnées). Ce manque d'équipement pendant la période du confinement s'explique aussi par le rôle des professionnels du domicile qui se heurtent aussi à tout un système de contraintes dense et hérité de l'histoire des politiques du secteur de l'aide à domicile. Par exemple, depuis plusieurs années, ce secteur est confronté à des difficultés financières qui s'aggravent, à un turn-over important des salariés, à des difficultés de remplacement, de recrutement, et d'attractivité des métiers, à des salariés souvent issus des couches sociales les moins favorisées, etc. Ce manque de reconnaissance s'est exprimé par des moyens matériels très limités, en particulier en début de confinement. Par la suite, c'est apparu de manière plus ou moins inégalitaire selon les services et les territoires. Plusieurs services ont néanmoins expliqué compenser ce manque, en partie, grâce à un travail en partenariat qu'ils avaient mis en place au préalable et aussi grâce à leur implication dans la dynamique du réseau territorial. Certains prestataires d'aides techniques ou des établissements médico-sociaux qui ont réduit leur activité ont pu faire des dons de masques. Il a pu s'agir également d'entreprises privées, de mairies, de Conseils Départementaux, de certaines ARS, etc. Des particuliers ont également proposé leur aide pour coudre des masques en tissu. Ce système D peut rassurer les intervenants sur le moment, mais il fragilise en même temps le service au niveau juridique concernant sa prise en compte des risques professionnels. On peut également rappeler que certains SAAD ont dit avoir anticipé la pandémie (en achetant des masques et du gel dès la contamination en Italie). Paradoxalement, au moment de la phase de déconfinement un communiqué de presse du secrétariat d'état chargé des personnes handicapées laisse entendre une mise en retrait des SAAD : « La reprise des soins s'accompagnera de la reprise des aides à domicile. Ainsi les services à domicile (SAAD) reprendront contact avec les personnes qu'ils accompagnent pour recommencer leurs activités, avec les mesures de protection adaptées » 9 . Or malgré le manque d'équipement, la peur de la maladie ou l'annulation des interventions par certaines familles, les services ont continué à être sur le front. En réalité, les SAAD auront été traversés par une double dynamique pendant la phase de confinement : une hausse des demandes dans certains secteurs produisant un appel d'air et une interruption de certaines interventions. Par ailleurs, un appel d'air a été visible avec le retour à domicile de plusieurs personnes en situation de handicap ou de personnes âgées dépendantes. Certaines parce qu'elles se trouvaient dans des lieux d'accueil temporaire, d'autres parce que les familles ont jugé le domicile plus sécurisé que le collectif de l'établissement, d'autres encore parce qu'elles ont été infectées par le coronavirus ou sont sorties d'hospitalisation, y compris du secteur psychiatrique (qui s'est retrouvé à devoir libérer des lits). Enfin, entre le droit de retrait, l'arrêt des interventions par les familles et l'arrêt des interventions dites de confort (ménage, repassage, course, etc.), certains services ont déclaré voir leur activité baisser de 20 % (pour les services les plus orientés vers l'accompagnement des personnes en situation de handicap et/ou âgées) à 70% (pour les services qui avaient une activité importante de prestation de confort et moins spécialisés dans l'accompagnement des personnes en situation de handicap). Cette dynamique est venue déséquilibrer l'activité des services. Aussi, des collaborations entre les services ont pu se mettre en place pour répondre à cet effet à l'échelle intercommunale ou départementale, par exemple la plateforme Solidarité-Domicile. Il s'agissait notamment de faciliter les mises à disposition, les remplacements entre les services, la coordination avec les sorties d'hospitalisation, l'aide à l'appropriation des gestes barrières par des professionnels de santé, etc. Des solutions ont également dû être recherchées pour le transport (prêt de véhicule, conduite des intervenants non-véhiculés chez les personnes, etc.), le portage de repas, la gestion des temps de surveillance ou la garde d'enfants. Concernant spécifiquement la garde d'enfant, des mesures ont été prises par le gouvernement comme l'indique la note du ministère des Solidarité et de la Santé du 13 mars 2020 « coronavirus (COVID -19) ». Cette note vise explicitement les « auxiliaires de vie des personnes handicapées et âgées ». Or, certains SAAD ont rapporté rencontrer des difficultés pour bénéficier de ces aménagements. Certains salariés en emploi direct ont également été en difficulté sur certains territoires qui n'ont pas reconnu ces professionnels comme « prioritaires » car ne travaillant pas dans un « établissement médical » ou « médico-social » ou un « service à domicile ». Ce manque de reconnaissance historique du secteur de l'aide à domicile s'exprime également aujourd'hui par un besoin d'acculturation aux gestes qui permettront le bon usage de ces moyens et qui limiteront les risques de transmission. Un des enseignements de cette première période de confinement concerne bien évidement la place des professionnels du domicile dans le système de santé, celle des proches aidants ainsi qu'une meilleure prise en compte des dynamiques de care. Mais cette période interroge aussi sur le fait que ces gestes de protection ne semblent pas avoir été envisagés pour des contextes de grippe ou gastroentérite. On peut ainsi s'étonner du caractère « nouveau » que laisse à penser cette pandémie. Lyon : Fondation April HANDÉO'SCOPE -Baromètre annuel 2015 « triptyque Handicap -Aides humaines -Domicile Enquête Care Entre nous. Essais sur le penser-à-l'autre Au-delà de la féminité et du maternel, le travail du care Aide à domicile. Les injonctions contradictoires font courir le risque d'un arrêt des interventions. Hospimedia L'aide humaine auprès des adultes à domicile : l'implication des proches et des professionnels Personal protective equipment for preventing highly infectious diseases due to exposure to contaminated body fluids in healthcare staff Équipement de protection individuelle pour prévenir les maladies hautement infectieuses dues à l'exposition à des fluides corporels contaminés chez le personnel de santé Les désignations du handicap. Des incapacités déclarées à la reconnaissance administrative