key: cord-327836-6o66a4i5 authors: Zuily, S; Dufrost, V; Wahl, D title: Thrombose artérielle et veineuse au cours du COVID-19 date: 2020-08-07 journal: Arch Mal Coeur Vaiss Pratique DOI: 10.1016/j.amcp.2020.08.003 sha: doc_id: 327836 cord_uid: 6o66a4i5 nan Encadré : S. Zuily, V. Dufrost, D. Wahl Université de Lorraine, Inserm, DCAC et CHRU de Nancy, Service de Médecine Vasculaire et Centre de Compétences Régional Maladies Rares Vasculaires, Institut Lorrain Louis Mathieu, rue du Morvan, 54511 Vandoeuvre-Lès-Nancy cedex, France s.zuily@chru-nancy.fr Dès le début du mois de mars 2020, la problématique de la thrombose veineuse au cours COVID-19 s'est rapidement imposée comme un défi médical majeur puisqu'un taux significatif de patients thrombosaient dont certains malgré une anticoagulation préventive bien conduite. En parallèle, le taux de syndrome coronaire aigu (SCA) pris en charge en urgence diminuait. Les mois d'avril et mai ont été cruciaux pour initier une dynamique de recherche sur cette problématique brulante. Des propositions thérapeutiques émanant de groupes d'experts ou de sociétés savantes ont vu le jour en se basant sur une approche empirique basée sur les observations de terrain et l'urgence d'apporter une réponse aux patients les plus graves. Par la suite, des essais thérapeutiques ont été initiés et sont toujours en cours pour essayer de répondre rapidement à la question des meilleures stratégies antithrombotiques au cours du COVID-19. Cette revue synthétique a pour objet de décrire les connaissances actualisées concernant la problématique de la thrombose au cours du COVID-19. Mortalité des formes graves cinq fois supérieure si embolie pulmonaire. Une incidence élevée des événements thrombo-emboliques veineux (ETEV) a été démontrée au cours du COVID-19. Cette incidence est corrélée à la gravité de la maladie. Alors que les estimations de la fréquence des patients atteints en ville moins connue (proportion tout à fait inhabituelle d'un tiers des morts subites extrahospitalières liées aux ETEV [1]), celles concernant les patients hospitalisés révèlent les chiffres suivants : Entre 6 et 14 % [2, 3] chez les patients présentant un COVID-19 nécessitant une hospitalisation et entre 17 % et 50 % [2] [3] [4] [5] [6] [7] chez les patients les plus graves hospitalisés en réanimation. Ces discordances peuvent être expliquées par des populations de risque variable (suspects ou non d'embolie pulmonaire), voire des designs différents (dépistage systématique chez des patients consécutifs versus populations sélectionnées). Retenons en pratique courante 5 à 10 % en secteur conventionnel et 25 %, voire plus pour les cas de COVID-19 graves nécessitant une réanimation. Il est important de noter que jusqu'à un tiers de ces ETEV sont diagnostiqués à l'admission et que les patients admis en réanimation avec une embolie pulmonaire (EP) ont cinq fois plus de chance de mourir que ceux n'ayant pas de thrombose [8] . Il s'agit donc d'un facteur pronostic majeur. Ces thromboses se révèlent principalement par des EP même si les thromboses veineuses profondes (TVP) sont également fréquentes. La raison d'une proportion accrue d'EP est expliquée d'une part par la présence conjointe des facteurs de risque composant la triade de Virchow (stase en lien avec l'alitement et l'obésité ; atteinte pariétale due à l'inflammation endothéliale, les cathéters… ; hypercoagulabilité du fait du sepsis) fréquents au cours du COVID-19 et d'autre part, par une activation endothéliale et une inflammation thrombogène (augmentation du facteur won Willebrand, du facteur VIII) dues au virus lui-même in situ sur les sites pulmonaires infectés induisant des thromboses veineuses pulmonaires micro-et macrovasculaires de proche en proche [9] . Les TVP des membres inférieurs sont quant à elles souvent identifiées chez les patients alités, en réanimation, avec des cathéters veineux (centraux, de dialyse, d'ECMO) et souvent mobilisés en décubitus ventral pour favoriser leur oxygénation, ce qui altère le retour veineux et augmente ainsi la stase. Des astreintes hospitalières dédiées ont été créées en urgence durant le pic de la pandémie pour répondre à la demande de doppler veineux de dépistage chez ces patients les plus sévères. A ce sujet, en ce qui concerne la place de l'imagerie, certains auteurs ont proposé le recours à un scanner avec injection de produit de contraste systématique même en l'absence de symptômes évocateurs d'EP. Alors que chez les patients présentant une forme modérée et hospitalisés en secteur conventionnel, cela est discutable (avec une fréquence de 5 à 10 %, jusqu'à 20 angioscanners seraient nécessaires pour identifier une seule EP), l'intérêt de cette approche pourrait être rentable chez les patients les plus graves (4 angioscanners pour identifier une EP). Attention, ce type de dépistage n'est pertinent qu'en hospitalisation et il a été souligné l'absence d'intérêt d'un dépistage systématique des ETEV non guidé par des signes et symptômes (même en cas de modifications biologiques, notamment des D-dimères) par doppler ou angioscanner chez les patients ambulatoires [10] . De plus, afin de réduire l'exposition des soignants aux patients COVID-19, une suspicion d'EP doit faire réaliser un angioscanner et non une échographie-doppler veineuse en première intention. L'atteinte myocardique confirmée par l'élévation des troponines ou un ECG / échocardiographie anormaux est associée aux formes sévères de COVID-19. Elle peut être due à des myocardites ou d'authentiques SCA par thromboses coronaires ou ruptures de plaques. Parmi les facteurs de risque de SCA, retenons la combinaison d'une inflammation vasculaire à un syndrome de réponse inflammatoire systémique [11] , l'hypercoagulabilité liée aux thromboses veineuses et artérielles également, l'isolement social induisant une diminution de l'activité physique et des changements d'alimentation, l'accès rendu plus difficile aux médicaments antithrombotiques en ville et enfin, d'éventuelles interactions médicamenteuses avec les antiviraux [12] . Cependant, de manière surprenante et en contraste avec les arguments théoriques soutenant une incidence augmentée de SCA, les constatations de terrain confirment que le taux d'incidence des patients atteints de SCA a chuté dans de nombreux pays [13, 14] . Les hypothèses les plus plausibles pour expliquer cette chute du nombre de patients hospitalisés pour un SCA sont : la peur de la contagion (évitement des hôpitaux), le mode de vie plus détendu (diminution du stress ou de pratiques sportives intensives), la diminution de la pollution et le seuil de douleur plus élevé chez les patients infectés [12] . Il a été décrit des différences entre les SCA des patients COVID-19 de ceux sans infection virale : plus de charge thrombotique, de choc cardiogénique, d'arrêt cardiaque préhospitalier, d'embolisation distale post stenting, de dysfonction ventriculaire gauche et moins de TIMI3 en post procédure ou de résolution significative (> 70 %) du ST [15] . Même si les caractéristiques des patients COVID-19 semblent différentes, l'absence de données scientifiques incite à adopter les mêmes attitudes médicamenteuses qu'avec les patients sans COVID-19. Certains auteurs ont souligné l'intérêt d'une fibrinolyse au lieu d'une coronarographie avec angioplastie pour limiter l'exposition prolongée des cardiologues interventionnels aux patients infectés durant les procédures invasives ; cependant, la coronarographie reste l'examen de première ligne dans les régions où il est rapidement accessible [16] . Enfin, il ne faut pas méconnaitre les diagnostics différentiels qui peuvent mimer un SCA parmi lesquels figurent la myocardite, le Takotsubo ou l'angor spastique. En ce qui concerne les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, la fréquence moyenne mesurée était de 5 % au cours du COVID-19 [17] . De la même manière que pour les SCA, l'incidence des nouveaux cas a chuté et l'absence de données scientifiques incite à adopter les mêmes attitudes médicamenteuses qu'avec les patients sans COVID-19. Les D-dimères ont très tôt été identifiés comme des facteurs prédictifs de la mortalité [18] . L'augmentation très élevée des D-dimères au cours du COVID-19 peut être expliquée par divers mécanismes : âge avancé, inflammation majeure, agression pulmonaire aiguë avec dépôts intraalvéolaires de fibrine probablement à l'origine d'une production de D-dimères in situ [19] . Cette augmentation n'est pas spécifique du COVID-19 car les taux élevés de D-dimères sont similaires au cours de pneumonies compliquées de sepsis et induites par d'autres pathogènes. Même s'il est admis que les D-dimères sont utiles pour identifier les patients à risque de COVID-19 grave, voire de mortalité [18] , ils ne peuvent pas être utilisés à des fins d'exclusion diagnostique de l'EP car leurs valeurs sont très variables selon les méthodes utilisées et leur valeur prédictive négative aux seuils habituels (seuil à 500, seuil ajusté à l'âge ou à la probabilité clinique comme dans les algorithmes YEARS ou PEG-eD) est très mauvaise. Des études sont en cours pour construire un algorithme décisionnel à l'aide des D-dimères spécifiquement pour les patients COVID-19. De plus, il n'est pas recommandé d'utiliser les D-dimères en pratique courante pour « suivre » un éventuel état d'hypercoagulabilité ou décider d'un traitement [10] . En parallèle des D-dimères, il a été identifié une proportion accrue d'anticorps antiphospholipides [20] reconnus pour augmenter le risque de thrombose. Cependant, il est bien connu que la positivité de ces anticorps est fréquente au cours de certaines infections virales qui, en activant le système immunitaire, peuvent faire émerger des anticorps transitoires et non pathogènes [21] . Une étude récente semble confirmer cette théorie vis-à-vis des anticorps antiphospholipides au cours du COVID-19 [22] . L'ensemble des propositions thérapeutiques suivantes sont issues de consensus d'experts non fondés sur les preuves [10, 11, 23, 24] . Plusieurs scénarios peuvent se rencontrer :  Situation 1 : en cas de COVID-19 chez un patient ambulatoire, les propositions thérapeutiques de la Société française de médecine vasculaire suggèrent d'initier pendant 7 à 14 jours (durée supplémentaire à discuter au cas par cas) un traitement prophylactique par HBPM à dose conventionnelle ou par Fondaparinux chez les patients avec une réduction significative de la mobilité et avec un facteur de risque additionnel ou plus parmi : âge supérieur à 70 ans, obésité, cancer actif, chirurgie récente de moins de trois mois, antécédent de maladie thrombo-embolique veineuse [10] . Les patients suspects de COVID-19 mais non confirmé peuvent bénéficier de la même prise en charge.  Situation 2 : en cas de suspicion d'ETEV et dans l'attente de l'examen de confirmation, les patients peuvent être traités par anticoagulant si la probabilité clinique d'ETEV est élevée (score de Wells ou de Genève).  Situation 3 : chez les patients hospitalisés, compte tenu d'ETEV symptomatiques malgré une thromboprophylaxie à posologie conventionnelle (cause de décès à la Pitié-Salpêtrière du premier patient français infecté), il a été suggéré d'augmenter de manière empirique les doses. Ainsi, le choix de la meilleure posologie de thromboprophylaxie fait débat. Un consensus international a identifié que la majorité des experts était en faveur d'une posologie conventionnelle d'HBPM en secteur (63 %) ou en réanimation (54 %) et une minorité en faveur de posologies majorées (environ 30 %), voire curatives en prévention primaire (moins de 16 %) [11] . Par conséquent, de nombreux essais thérapeutiques ont débuté -dont en France l'essai thérapeutique COVI-DOSE [NCT04373707]pour répondre à cette question cruciale de la meilleure posologie de thromboprophylaxie chez les patients hospitalisés. En France, le Groupe d'Intérêt pour l'Hémostase Périopératoire a fait des propositions thérapeutiques dont le rapport bénéfices-risques devra être validé par les essais en cours [23] . [24] . Un traitement par AOD pourra être relayé une fois la phase inflammatoire passée.  Situation 6 : chez un patient traité au long cours par anticoagulant oral (antivitamines K ou AOD) et hospitalisé pour un COVID-19 grave, un relai par HBPM sera proposé durant la période critique [24] . En cas de COVID-19 non grave, l'anticoagulant oral pourra être poursuivi à l'identique.  Situation 7 : chez un patient traité au long cours par inhibiteurs des fonctions plaquettaires, ces traitements ne doivent pas être interrompus en cas de COVID-19 [10] . Acute Pulmonary Embolism Associated with COVID-19 Pneumonia Detected by Pulmonary CT Angiography Acute Pulmonary Embolism in COVID-19 Patients on CT Angiography and Relationship to D-Dimer Levels Pulmonary Embolism in Patients With COVID-19: Awareness of an Increased Prevalence Incidence of venous thromboembolism in hospitalized patients with COVID-19 Incidence of thrombotic complications in critically ill ICU patients with COVID-19 High incidence of venous thromboembolic events in anticoagulated severe COVID-19 patients Confirmation of the high cumulative incidence of thrombotic complications in critically ill ICU patients with COVID-19: An updated analysis Pulmonary Vascular Endothelialitis, Thrombosis, and Angiogenesis in Covid-19 Proposal of the French Society of Vascular Medicine for the prevention, diagnosis and treatment of venous thromboembolic disease in outpatients with COVID-19 COVID-19 and Thrombotic or Thromboembolic Disease: Implications for Prevention, Antithrombotic Therapy, and Follow-Up: JACC Stateof-the-Art Review Decreased myocardial infarction admissions during COVID times: what can we learn? Reduction of hospitalizations for myocardial infarction in Italy in the COVID-19 era Decline of acute coronary syndrome admissions in Austria since the outbreak of COVID-19: the pandemic response causes cardiac collateral damage Changes in characteristics and management among patients with ST-elevation myocardial infarction due to COVID-19 infection Management of Acute Myocardial Infarction During the COVID-19 Pandemic Acute cerebrovascular disease following COVID-19: a single center, retrospective, observational study Clinical course and risk factors for mortality of adult inpatients with COVID-19 in Wuhan, China: a retrospective cohort study Re The source of elevated plasma D-dimer levels in COVID-19 infection Lupus anticoagulant is frequent in patients with Covid-19 Risk of developing antiphospholipid antibodies following viral infection: a systematic review and meta-analysis Antiphospholipid antibodies in patients with COVID-19: A relevant observation? Prevention of thrombotic risk in hospitalized patients with COVID-19 and hemostasis monitoring Prevention, Diagnosis, and Treatment of VTE in Patients With Coronavirus Disease 2019: CHEST Guideline and Expert Panel Report