WP 2012-02 French Annex EUROPEAN UNIVERSITY INSTITUTE, FLORENCE DEPARTMENT OF LAW French Version of Chapter 4 of Law Working Paper 2012/02: Un développement durable sans justice « écologique » ? SOPHIE LAVALLEE EUI Working Paper LAW 2012/02 (French version) This text may be downloaded for personal research purposes only. Any additional reproduction for other purposes, whether in hard copy or electronically, requires the consent of the author(s), editor(s). If cited or quoted, reference should be made to the full name of the author(s), editor(s), the title, the working paper or other series, the year, and the publisher. ISSN 1725-6739 © 2012 Sophie Lavallée Printed in Italy European University Institute Badia Fiesolana I – 50014 San Domenico di Fiesole (FI) Italy www.eui.eu cadmus.eui.eu 1 Un développement durable sans justice « écologique » ? La polysémie du terme «développement durable» rappelle l’histoire enfantine de Lewis Carrolls, Through the looking glass and what Alice found there, où une scène illustre le pouvoir de la sémantique: « When I use a word», Humpty Dumpty said, «It means just what I choose it to mean – neither more nor less». «The question is», said Alice, «whether you can make words mean so many different things». «The question is», said Humpty Dumpty, «which is to be Master – that’s all». 1 Introduction Être coupé du monde naturel est une caractéristique dominante de la modernité. Il n’est pas étonnant que cette «déconnection» se reflète dans les processus de production du droit et dans la production du droit elle-même. Des concepts tels que le développement durable n’y échappent pas. En effet, le débat contemporain au sujet du développement durable porte sur la transition vers la durabilité de notre développement et non vers la durabilité de l’environnement.2 Dès lors, qu'elle ait lieu au niveau international, national ou local, la discussion fait référence à un concept fondamental qui fait partie de la sphère du développement durable et qui est l’un des concepts permettant de réconcilier ses dimensions sociales et environnementales: la justice environnementale. Ce concept permet d’aller au-delà de l’intégration des considérations environnementales dans les régimes, politiques publiques et décisions en matière de développement économique, en se souciant des effets qu’elles peuvent avoir sur l’équité entre les générations actuelles et entre les générations actuelles et futures, suivant ainsi le principe 3 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement.3 Ce concept de justice environnementale a fait couler beaucoup d’encre chez les juristes du droit international de l’environnement4, et du droit interne de l’environnement dans certaines juridictions, notamment aux États-Unis où le mouvement de la 1 L. Carroll, Through the looking-glass and what Alice found there, Londres, Macmillan and Co., 1927, à la p. 125. 2 K. Bosselmann, The Principle of Sustainability: Transforming Law and Governance, Aldershot, Ashgate Publ., 2008 3 Conférence de Rio sur l’environnement et le développement, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 13 juin 1992, Doc off AG NU, Doc NU A/CONF.151/26 (vol. 1). 4 Voir notamment : D. Barstow Magraw, « Legal Treatment of Developing Countries: Differential, Contextual, and Absolute Norms », (1990) 1 Colo. J. Int’l Envtl. L. & Pol’y 69; D. Borione and J. Ripert, « Exercising Common but Differentiated Responsibility », dans I. M. Mintzer and J. Amber Leonard, dir, Negotiating The Climate Convention: The Inside Story of the Rio Convention, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, à la p. 77; A. Magrethe Halvorssen, Equality among Unequals in International Environmental Law: Differential treatment for Developing Countries, Boulder, Westview Press, 1999; D. French, « Developing States and International Environmental Law: The Importance of Differentiated Responsibilities », (2000) 49 The International and Comparative Law Quarterly 35; L.. Rajamani, Differential Treatment in International Environmental Law, Oxford, Oxford University Press, 2006; U. Beyerlin, « Bridging the North-South Divide in International Environmental Law » (2006) 66 Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht 259; A. M. Halvorssen, « Common, but Differentiated Commitments in the Future Climate Chang Regime – Amending the Kyoto Protocol to include Annex C and the Annex X Mitigation Fund », (2007) 18 Colo. J. Int’l Envtl. L. & Pol’y 247; C. Okereke, Global Justice and Neoliberal Environmental Governance: Ethics, Sustainable Development and International Co-operation, Londres, Routledge, 2008; S. Lavallée, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées à Rio, Kyoto et Copenhague. Essai sur la responsabilité de protéger le climat », Études internationales, Vol. XLI, no 1, Mars 2010, 51-78 ; S. Lavallée et K. Bartenstein, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées au regard du développement durable», Colloque « Équité et environnement – Quel(s) modèle(s) de justice environnementale?», Actes du colloque international annuel de la Société française pour le droit de l’environnement, 3 et 4 décembre 2010 (à paraître) ; K. Bartenstein, « De Stockholm à Copenhague : genèse et évolution des responsabilités communes mais différenciées dans le droit international de l’environnement », (2011) 56 :1 RD McGill 177. Sophie Lavallée 2 justice environnementale est né de la lutte pour les droits civiques du mouvement noir, dans les années soixante, afin de remédier à la répartition inéquitable des activités polluantes sur le territoire américain. Les travaux menés par des universitaires, dont le plus connu est le professeur Robert D. Bullard, ont permis de démontrer que l'inégalité sociale et l'inégalité environnementale étaient souvent liées.5 Ce concept de justice environnementale semble avoir de nombreuses origines, de nombreux courants y ayant contribué.6 L’un d’entre eux est attribué aux mouvements de travailleurs qui, dans les années 1960, ont réclamé que les lieux de travail soient exempts de risques, notamment ceux liés à l’utilisation de produits toxiques. Ainsi, le concept de la justice environnementale engloberait la sécurité des travailleurs comme une de ses composantes.7 Le concept de justice environnementale porte en lui-même l’idée d’équité sociale et la préoccupation pour les inégalités, comme ces passages l’expliquent bien: «L'opération innovatrice au niveau conceptuel a été de penser l'environnement non seulement en termes de préservation, mais aussi au plan des droits et de la justice. L'idée centrale en a été que tous les citoyens ont également le droit à un environnement sain, toute structure ou tout processus orientant la dégradation ou les risques environnementaux vers les secteurs vulnérables de la population étant injuste du point de vue social et économique. Cette dégradation, dans les cas où il est impossible de l'éviter, doit être répartie d'une manière équitable entre les différents secteurs de la société. Dans cette perspective, le mouvement contre la destruction et la dégradation environnementales est devenu synonyme d'un espace de lutte démocratique et d'affirmation de l'universalité des droits de l'homme».8 Le concept de justice environnementale a également fait son entrée sur la scène internationale, peu après le mouvement pour un Nouvel Ordre Économique International.9 La théorie originale qu’Édith Brown Weiss10 a développée, et qui s’est retrouvée, en substance, au principe 3 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement en est d’ailleurs une bonne illustration. Suivant ce principe, « le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures ». Bien que le concept d’équité ait plusieurs significations, et que et la nature précise du concept demeure obscure, nous savons qu’il s’agit d’un terme qui est souvent utilisé comme synonyme de justice («fairness») et cette équité a à la fois des dimensions procédurales et substantives. La dimension procédurale s’intéresse au processus décisionnel alors que la dimension substantive vise la justice distributive. Elles sont interreliées, suivant l'hypothèse que des démarches plus justes mènent à des résultats plus justes. Le concept de la justice environnementale est intimement lié aux 5 R. Doyle Bullard, « Environmental Justice in the Twenty-first Century », dans R. Doyle Bullard, dir, The Quest for Environmental Justice: Human Rights and the Politics of pollution, San Francisco, Sierra Club Books, 2005, à la p. 19; B. E. Hill, Environmental Justice: Legal Theory and Practice, Washington, Environmental Law Institute, 2009; R. Doyle Bullard et al, Toxic Wastes and Race at Twenty: 1987-2007 Grassroots Struggles to Dismantle Environmental Racism in the United States, Cleveland, United Church of Christ, 2007; L. W. Cole et S. R. Foster, From the Ground Up : Environmental Racism and the Rise of the Environmental Justice Movement, New York, New York University Press, 2001. 6 Cole, supra note 5. 7 Cette idée que les risques environnementaux sont injustement distribués aux États-Unis s’est peu à peu confirmée grâce à des dizaines d'études qui ont donné naissance au concept de « racisme environnemental » : Bullard, supra note 5. Lorsqu’en 1994, le Président Clinton a signé une ordonnance exécutive sur la justice environnementale, le phénomène du racisme environnemental a acquis une reconnaissance qui a donné un formidable élan aux communautés d'activistes à travers le pays, et leur a fourni un leitmotiv sans précédent pour lutter pour leurs communautés, leur qualité de vie, leur santé et pour « la justice environnementale » : Executive Order 12898 of February 16, 1994 : Federal Actions to Address Environmental Justice in Minority Populations and Low- Income Populations, 59(32) Federal Register 7,629. 8 Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, Chantier : Justice environnementale, dette écologique et développement durable, en ligne : socioeco.org : http://jades.socioeco.org/fr/documents.php, (Consulté le 2 septembre 2011). 9 C-E. Côté, « De Genève à Doha : genèse et évolution du traitement spécial et différencié des pays en développement dans le droit de l'OMC », (2011) 56:1 RD McGill 115. 10 E. Brown-Weiss, In Fairness to Future Generations: International Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity, Dobbs Ferry, Transitional Publishers, Inc., 1989. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 3 concepts d’équité inter et intragénérationnelle puisqu’il cherche à assurer l’équité procédurale et la justice distributive. La dimension procédurale cherche à mettre en place un processus décisionnel fondé sur des critères appropriés ainsi que sur un processus qui implique la participation de ceux qui sont affectés par la décision afin que le résultat obtenu traite tous les groupes concernés équitablement. Dans sa dimension substantive, l’équité rejoint la catégorie des droits de l’homme, le droit de vivre dans un environnement sain. Bien que la littérature soit abondante sur le concept de justice environnementale, beaucoup reste à faire avant qu’il ne se traduise véritablement en droit international, régional et national. Plusieurs enjeux environnementaux d’importance, comme celui sur les changements climatiques11, commande que cette réflexion sur la contribution du droit dans l’établissement d’une plus grande justice environnementale se poursuive, et que le concept de justice environnementale devienne un cadre conceptuel qui s’impose aux négociateurs de régimes environnementaux internationaux et au législateur national afin qu’ils ne négligent pas les questions d’équité sociale. Plusieurs auteurs sont toutefois d’avis que ce cadre conceptuel ne peut pas se développer indépendamment d’une réflexion profonde sur la durabilité du milieu naturel «non humain» et sur la justice «écologique».12 Un développement durable est-il possible sans justice» pour le monde naturel, c’est-à-dire sans justice «écologique» ? Cette question commande de définir d’abord les termes de développement durable et de justice écologique (1). Par la suite, nous tenterons d’imaginer comment la justice écologique pourrait intégrer le droit afin de donner une orientation plus claire au décideur que celle que la conception libérale dominante du développement durable lui donne actuellement (2). Un développement durable sans durabilité écologique. Bien que le développement durable soit désormais considéré par la communauté internationale comme un cadre général13 visant à améliorer la qualité de vie partout dans le monde, et qu’il soit présenté par plusieurs comme l’approche la plus prometteuse pour le maintien d'une planète en bonne santé, des désaccords importants subsistent quant à sa signification précise et quant à ses implications. Le débat oppose les partisans d’une conception faible du développement durable à ceux pour qui seule une conception forte est viable (1.1). Ces derniers proposent que le principe de durabilité soit considéré comme le noyau central du développement durable (1.2). 11 L. Rajamani, « The Principle of Common but Differentiated Responsibility and the Balance of Commitments under the Climate Regime », (2000) 9 RECIELL. 120; B. Müller, Equity in Climate Change: The Great Divide, Oxford, Oxford Institute for Energy Studies, 2002; Halvorssen, supra note 4; Lavallée, supra note 4 12 J. Baird Callicott, « The Case Against Moral Pluralism », (1990) 12:2 Environmental Ethics 99; P.Taylor, « From Environmental to Ecological Human Rights : A New Dynamic in International Law ? », (1998) 10:2 Geo. Int'l Envtl. L. Rev. 309; C. D. Stone, « Should Trees Have Standing ? », (1972) 45 S. Cal. L. Rev. 45; H. Jonas, The Imperative of Responsibility : In Search of an Ethics for the Technological Age, Chicago, University of Chicago Press, 1984. 13 Dans l’Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c Slovaquie), [1997] CIJ rec 92, [Affaire Gabcikovo-Nagymaros], tout en reconnaissant le développement durable comme un « concept », la majorité des juges a indiqué qu’il a un intérêt considérable mais n’a pas procédé à une analyse détaillée de sa normativité. La dissidence du juge Weeramantry (pp. 85-86) présente, certes, un autre point de vue sur la normativité du concept, en affirmant qu’il est davantage qu’un simple concept et que c’est un principe de valeur normative qui fait partie du droit moderne. Cela ne permet toutefois pas pour autant d’inférer qu’il a acquis le statut d’un principe juridique du droit international coutumier dans l’ordre juridique international. Néanmoins, le consensus politique autour du concept du développement durable ne fait pas de doute, les États l’ayant exprimé, en cinq ans plus tard, lors du Sommet de la Terre de Rio. Sophie Lavallée 4 Les conceptions forte et faible du développement durable L’histoire du développement durable nous enseigne que c’est la conception faible de ce concept qui fait aujourd’hui l’objet d’un consensus, et que le principe de durabilité, qui en était autrefois le noyau, a été relégué aux oubliettes. La conception du développement durable a évolué, depuis que le forestier en chef de Saxe, Hans Carl Von Carlowitz, a proposé, dans la Sylvicultura Oeconomica14, que la foresterie de l’époque «soit fondée sur le concept de «Nachhakltogkeit», signifiant «durabilité», en Allemand.15 Cette évolution a été particulièrement importante, ces trente dernières années, grâce aux nombreuses tentatives qui ont été faites pour tenir compte des préoccupations relatives au développement économique, à la protection de l'environnement et au développement social. Le droit n’a pas échappé à ces tentatives, tant et si bien que le développement durable est devenu, du moins en droit de l’environnement, l’approche dominante, depuis que la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED ou Commission Brundtland) a rappelé qu’il fallait désormais considérer le développement comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de répondre à leurs propres besoins.»16 Ce faisant, la Commission Brundtland proposait au monde entier le vaste dessein de s’engager sur la voie du développement durable en cherchant à atteindre une équité à l’intérieur des générations présentes et entre les générations présentes et futures. Ce vaste dessein a été présenté sous le vocable de justice «environnementale», en droit international. Là où le bât blesse, c’est que ce concept de justice environnementale est intrinsèquement anthropocentrique car il cherche à véhiculer, notamment «dans» et «par» le droit, une équité entre les êtres humains vivant aujourd’hui, et entre eux et ceux de demain, mais qu’il néglige de considérer la justice envers le monde naturel non humain.17 Pourtant, la durabilité, telle qu’initialement envisagée par Hans Von Carlowitz, et trois cents ans plus tard, par les rédacteurs de la Charte de la Terre de 1982, visait avant tout la durabilité du monde naturel, étant entendu que l’homme fait aussi partie intégrante de ce milieu naturel.18 Cette conception forte («Strong Sustainability») du développement durable a toutefois peu à peu perdu du chemin au profit de la conception faible («Weak Sustainability») mise de l’avant dans le Rapport Brundtland et a fait l’objet d’un consensus de la communauté internationale qui a pris la forme des 27 principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, en 1992. 19 Parce que la Commission mondiale sur l’environnement et le développement était d’abord et avant tout préoccupée par la pauvreté dans le monde, elle a mis l’accent sur la justice environnementale et a appelé le monde à concilier la protection de l’environnement et le développement économique, dans l’intérêt des générations actuelles et futures : 14 H.C. Von Carlowitz, Sylvicultura oeconomica, Anweisung zur wilden BaumZucht, Leipitz, rep. Freiberg, TU Bergakademie Freiberg und Akademische Buchlandlung, 2000), 1713. 15 K. Bartenstein, « Les origines du concept de développement durable », (2005) 3 Revue juridique de l’environnement 289; U. Grober, « Tiefe Wurzeln: eine kleine Begriffsgeschichte von «sustainable development» - Nachhaltigkeit », (2002) 3 Natur und Kultur 1. 16 Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), Our Common Future, Oxford, Oxford University Press, 1987, ajoute ceci (Chapitre 2): « It contains within it two key concepts : the concept of 'needs', in particular the essential needs of the world's poor, to which overriding priority should be given; and the idea of limitations imposed by the state of technology and social organization on the environment's ability to meet present and future needs ». 17 Bosselmann, supra note 2. 18 Le préambule de la charte et son texte introductif reconnaissent clairement et explicitement « l’importance suprême de la protection des systèmes naturels », du maintien de l’équilibre et de la qualité de la nature et « de la conservation des ressources naturelles »…« dans l’intérêt des générations présentes et à venir ». De plus, dans la Charte de la Terre, les Nations Unies se disent conscientes dans le préambule que a) « L’humanité fait partie de la nature et la vie dépend du fonctionnement ininterrompu des systèmes naturels qui sont la source d’énergie et de matières nutritives». Charte mondiale de la nature, Doc off AG NU, Doc NU A/RES/37/7 (1982) [Charte mondiale de la nature]. 19 Déclaration de Rio, supra note 3. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 5 «La terre est une; le monde, lui ne l’est pas. Nous n’avons qu’une seule et unique biosphère pour nous faire vivre. Et pourtant, chaque communauté, chaque pays poursuit son petit bonhomme de chemin, soucieux de survivre et de prospérer, sans tenir compte des éventuelles conséquences de ses actes sur autrui. D’aucuns consomment les ressources de la planète à un rythme qui entame l’héritage des générations à venir. D’autres bien plus nombreux consomment peu, trop peu, et connaissent une vie marquée par la faim et la misère noire, la maladie et la mort prématurée.» «Un monde où la pauvreté et l’injustice sont endémiques sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres». La conception du développement durable du Rapport Brundtland met donc l’accent sur les concepts d’équité intragénérationnelle et intergénérationelle et ne hiérarchise pas les trois piliers du développement durable que sont le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement, mais commande plutôt la recherche d’un équilibre entre eux, dont la finalité est la satisfaction des besoins humains actuels et futurs. Cette finalité fait d’ailleurs dire à certains, dont le sociologue Jean-Guy Vaillancourt, que le développement durable est : «(…) une espèce de couvre-lit, mi-scientifique et mi-idéologique, que tous essaient de tirer de leur côté. C’est un cri de ralliement pour ceux qui sont intéressés à travailler au développement et à la protection de l’environnement, à l’harmonisation de l’économie et de l’écologie dans une perspective de justice et d’équité sociale. C’est une formule de compromis qui a émergé graduellement entre 1970 et 1987 entre les militants verts, d’une part, et les partisans du développement dans les pays pauvres mais aussi ailleurs dans le monde, d’autre part».20 Dans l’opinion séparée qu’il signe dans l’affaire du barrage Gabçikovo-Nagymaros, le juge Weeramantry réfère à la réconciliation, qui pourrait s'appliquer dans une situation de recoupement ou de conflit entre des normes contradictoires et de l'importance d'éviter «l'anarchie normative».21 Cette idée n’est pas sans rappeler celle de Vaughn Lowe qui explique que cette conception du développement durable permet d'éviter les conflits et qu’en ce sens, il est un méta-principe qui permet de statuer sur d'autres règles et principes juridiques.22 Pour lui, le développement durable est une notion juridique qui exerce une sorte de normativité interstitielle dans le raisonnement du décideur, l’enjoignant en quelque sorte à équilibrer les diverses dimensions du développement durable, dans un contexte donné.23 La question qui se pose face à une telle conception est celle de savoir si la recherche d’un tel compromis, qui n’est pas a priori orientée vers la durabilité écologique, peut donner une véritable orientation au décideur ou doit-il constamment répondre à la question de Wilfred Beckerman : «How Would you Like your 'Sustainability', Sir? Weak or Strong?» 24 Cette question pose celle de savoir quels devraient être les objectifs de nos politiques environnementales. Devrait-on protéger l'environnement à tout prix, ou seulement dans la mesure où cela permet de combler les besoins des hommes aujourd’hui et ceux de demain? Doit-on le protéger dans la mesure seulement où les avantages environnementaux de cette protection en dépassent les coûts économiques ? Comment le droit qui encadre les processus décisionnels doit-il tenir compte de la valeur des coûts et des avantages futurs d’une réglementation ou d’un régime juridique par rapport à ceux qu’ils présentent aujourd'hui? Comment doivent-ils tenir compte des risques incertains par rapport aux risques certains? Est-ce que le «développement durable» peut l’aider à répondre à ces questions ?25 Une critique récurrente concerne la généralité du concept du 20 J-G. Vaillancourt, « Penser et concrétiser le développement durable », (1995) 15 Ecodécision 24, à la p. 25. 21 Affaire Gabcikovo-Nagymaros, supra note 13, à la p. 90 (opinion du juge Weeramantry). 22 V. Lowe, « Sustainable Development and Unsustainable Arguments », dans A. Boyle et D. Freestone, dir, International Law and Sustainable Development: Past Achievements and Future Challenges, Oxford, Oxford University Press, 2001, à la p. 31. 23 Ibid p. 31. 24 W. Beckerman, « How Would you Like your 'Sustainability', Sir? Weak or Strong? A Reply to my Critics » (1995) 4:2 Environmental Values 169. 25 Bosselmann, supra note 2; D. Bodansky, The Art and Craft of International Environmental Law Boston, Harvard University Press, 2010. Sophie Lavallée 6 développement durable formulé dans le Rapport Brundtland, et détaillé dans les principes de la Déclaration de Rio, en 1992. Selon plusieurs, le flou qui l’entoure en fait un concept insignifiant qui ne peut pas fournir une orientation suffisamment claire au décideur. Pire, ce concept est un véhicule puissant pour les théories économiques libérales et néo-libérales qui privilégient des politiques publiques fondées sur des analyses économiques en termes de coûts et de bénéfices, et non sur des valeurs telles que celles que sous-tendent la justice environnementale et la justice écologique. Dans son ouvrage The Art and Craft of the International Environmental Law, Daniel Bodansky explique la différence qui existe entre les conceptions écocentriques et anthropocentriques- utilitaristes de la protection de l’environnement. Sa caricature montre un bûcheron avec une scie qui trouve un arbre qui porte un écriteau sur lequel on peut lire «the very last tree», et qui se dit «the very last chair». Il y a un monde qui sépare ce bûcheron et la personne qui trouve qu’il est problématique de couper des arbres en milieu sauvage parce que cela entraîne la destruction de forêts anciennes. Pour le premier, tant et aussi longtemps que les arbres restent en quantité suffisante pour satisfaire les besoins de l’homme, il n’y a pas de problème.26 C’est cette approche qui est privilégiée dans le Rapport Brundtland et la Déclaration de Rio qui proposent à nos sociétés occidentales de faire leurs analyses en termes de compromis et de recherche d’un équilibre entre les coûts et les avantages afin d’obtenir un résultat optimal pour l’homme. Ces approches économiques de la protection de l’environnement sont d’ailleurs encouragées par le droit dans plusieurs pays, notamment dans ce qu’on appelle les processus de réglementation intelligente, dont l’application est prônée par l’OCDE.27 Ce processus relègue toutefois le plus souvent aux oubliettes le cœur même du développement durable : le principe de durabilité. Le principe de durabilité relégué aux oubliettes Le principe de durabilité est souvent le grand oublié lorsqu’on évoque actuellement le développement durable. En effet, les auteurs évoquant le développement durable font référence à ses principes structurants : le principe d’intégration de l’environnement au développement (principe 4 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement), l’équité intergénérationelle (principe 3 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement) et l’équité intragénérationnelle (principe 3 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement). Ils font également état de ses principes opérants, c’est- à-dire à ceux qui permettent de mettre en œuvre les principes structurants : le pollueur-payeur, la prévention, la précaution, les responsabilités communes mais différenciées. Ils négligent toutefois souvent de mentionner, parmi les principes structurants du développement durable, celui de la durabilité. Dans un texte sur les principes du droit international de l’environnement, Philip Sands évoque, quant à lui, parmi les principes-clés du développement durable, le non-épuisement des ressources naturelles renouvelables (non-exhaustion of renewable natural resources).28 Malgré le quasi-silence du droit contemporain à son sujet, le principe de durabilité existe depuis des siècles et n’a jamais eu aucun autre objet que la protection de la base des ressources 26 Ibid à la p. 59. 27 Organisation de Coopération et de Développement Économiques, Analyse de l'impact de la réglementation: meilleures pratiques dans les pays de l'OCDE, Paris, OCDE, 1997; J. H. Guth, « Resolving the Paradoxes of Discounting in Environmental Decisions », (2009) 18 Transnat'l L. & Contemp. Probs. 95; P. Issalys, « L’analyse d’impact des lois et règlements : impératif d’efficacité ou condition de légitimité ? », dans S. Beaulac, M. Devinat, dir, Interpretatio non cessat : Mélanges en L’honneur de Pierre-André Côté, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, à la p. 133; M. J. Trebilcock, « The Consumer Interest and Regulatory Reform » dans G. Bruce Doern, dir, The Regulatory Process in Canada, Toronto, Macmillan, 1978, 94. 28 P. Sands, « International Law in the Field of Sustainable Development », (1995) 65:5 British Yearbook of International Law 303, à la p. 338. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 7 naturelles.29 Alors que cet objet a été élargi à travers le temps et qu’il est passé des ressources locales dans les temps anciens aux écosystèmes, dans la période récente, le principe de la durabilité écologique n'a jamais changé. Klaus Bosselmann est convaincant lorsqu’il écrit que ce noyau qu’est la «durabilité» ne peut pas être différent de ce que signifie le mot «durable» dans le contexte du «développement» et que le fait que les aspects économiques et sociaux soient inclus dans le concept de «développement durable» ne puisse pas, par conséquent, créer un écart par rapport au cœur écologique. Selon lui, c’est au contraire seulement à cause de ce noyau qu’il est possible de relier les composantes sociales et économiques du développement à un point de référence central. Le développement n’est durable que s’il tend à préserver l'intégrité et la pérennité des systèmes écologiques, et il est non durable et insoutenable s’il tend à faire autrement. Autrement dit, «No economic prosperity without social justice and no social justice without economic prosperity, and both within the limits of ecological sustainability. As a norm this can be formulated as the obligation to promote long-term economic prosperity and social justice within the limits of ecological sustainability.»30 Gerd Winter explique à juste titre que le potentiel dynamique des principes est fondé sur leur statut quelque peu insaisissable derrière la scène.31 Bosselmann fait, quant à lui, la démonstration que le développement durable fournit des indications suffisamment précises pour en faire une norme au caractère déterminé et prescriptif. Il reconnaît que cette conclusion est encore ouverte au débat mais ajoute qu’on peut soutenir qu’il s’agit d’un principe juridique en émergence. Selon lui, le développement durable a les caractéristiques d’un principe juridique mais n'a pas encore été reconnu comme tel par le droit international.32 La dégradation de l’environnement dépend du progrès technologique et de l’organisation sociale.33 Par conséquent, l’environnement est au centre des politiques et des débats contemporains en matière de justice distributive, qu’il s’agisse d’en distribuer les ressources, les moyens de les exploiter ou même de s’en protéger. Comment le principe de durabilité peut- il être considéré comme une question de justice alors qu’il s’intéresse aux processus écologiques et à la capacité de charge de nos écosystèmes et non pas aux relations qu’entretiennent les hommes entre eux ? Parce que son application se faisant dans un contexte qui implique des choix entre des besoins concurrents, des questions de justice distributive se posent inévitablement et le droit a alors un rôle à jouer pour déterminer dans quelle mesure et comment les systèmes écologiques doivent être maintenus. Pour de nombreux éthiciens de l’environnement34, deux relations sont donc à considérer lorsqu’on appréhende les questions qui se posent en matière de protection de l’environnement: 1) La justice relative à la distribution de l’environnement entre les personnes qu’on désigne sous le vocable de justice «environnementale». 2) La justice entre les humains et le reste du monde naturel que l’on désigne sous le vocable de justice «écologique». La justice «écologique» est un concept qui a été élaboré par certains courants de la discipline de l’éthique environnementale et que les juristes ont peu exploré. La littérature juridique a plutôt été 29 U. Grober, « Tiefe Wurzeln: eine kleine Begriffsgeschichte von «sustainable development» - Nachhaltigkeit », (2002) 3 Natur und Kultur 1 30 Bosselmann, supra note 2, à la p. 53. 31 G. Winter, « The Legal Nature of Environmental Principles in International, EC and German Law », dans R. Macrory, dir, Principles of European Environmental Law, Groningen, Europa Law Publishing, à la p. 25. 32 Bosselmann, supra note 2, aux p. 53 et 56; « With respect to the concept of sustainable development, the principle provides important guidance to make the concept operable. Whether this amounts to determinable legal content, making sustainable development a legal principle, is a matter of debate. In what follows, I will argue in favour of a legal principle, but one that has not yet been recognized as such by international law ». 33 Rapport Brundtland, supra note 16, Chapitre 2 - « Towards Sustainable Development ». 34 A. Dobson, (1996), « Environmental Sustainability: An Analysis and Typology », Environmental Politics 5, 401; A. Johnson, « Barriers to Fair Treatment of Non Human Life », dans D. Cooper et J. Palmer, dir, Just Environments – Intergenerational, International and Inter-Species Issues, Londres, Routledge, 1995, à la p. 165; V W. Ruttan, « Sustainability is Not Enough », (1988) 3 American Journal of Alternative Agriculture 128. Sophie Lavallée 8 influencée par les théories classiques de la justice qui la conceptualisent comme une notion qui s’intéresse à la distribution équitable des biens et des charges entre des personnes et non entre des personnes et le milieu naturel. C’est d’ailleurs pourquoi l’expression «justice environnementale», appropriée pour décrire les problèmes de répartition sociale en matière d’environnement, a eu plus d’écho chez les juristes de l’environnement que celle de la «justice écologique». Les développements dans le domaine de l'éco-justice peuvent globalement être catégorisés selon deux approches: l'approche libérale et l’approche écologique. L’approche libérale est celle qui correspond à la théorie de John Rawls, pour qui la relation homme-nature n’est pas une question de justice mais plutôt une question d’éthique et de morale. Cette conception libérale des questions environnementales permet de les considérer comme des idéaux qui peuvent concourir démocratiquement contre d’autres idéaux.35 Rawls a toujours été clair sur cette exclusion. Selon lui, le monde naturel et notre relation avec lui n'est pas une question constitutionnelle indispensable ou une question fondamentale de justice. Bien qu'il ait reconnu des «devoirs» à l’égard du monde naturel, il les décrit comme des «devoirs de compassion et d'humanité», plutôt que les devoirs de justice.36 Les écologistes, au contraire, tentent d'introduire le respect pour les «non-humains» dans la notion de justice, en faisant évoluer le cadre juridique constitutionnel pour garantir une véritable prise en compte des préoccupations liées à l’état de la nature.37 L'approche écologique du développement durable critique la croissance économique et promeut la durabilité écologique tandis que l’approche environnementale du développement durable assume le bien-fondé ou la nécessité de la croissance économique et l'égale importance de la durabilité environnementale, de la justice sociale et de la prospérité économique. Cette dernière approche est celle qui a été mise de l’avant à Rio. Elle s’éloigne clairement du Rapport publié par le Club de Rome, vingt ans plus tôt, qui prônait une Halte à la croissance.38 Elle s’éloigne évidemment aussi du principe premier de la Déclaration de Stockholm, qui appelait la communauté internationale à reconnaître le droit de l’homme à l’environnement. En effet, l’approche environnementale considère que le respect de l’homme pour le milieu naturel non-humain ne doit pas être considéré comme une question relevant de la justice mais bien comme une question relevant de l’éthique et de la morale. Selon cette conception, le décideur n’a pas à considérer le droit fondamental de la nature. Il ne doit considérer l’environnement que comme un intérêt à prendre en compte dans l’équilibre des intérêts ou des préférences divergentes. Contrairement à cette dernière conception libérale qui influence depuis plusieurs années la production du droit au plan international et national, certains écologistes tentent de définir l’objectif des politiques non pas en termes d’équilibre mais en terme d’absolu, allant même jusqu’à proposer le terme de justice écologique. Pour ces derniers, il faut privilégier les approches qui visent la prévention de la pollution et la préservation des espèces par le moyen d’instruments juridiques qui donnent une place centrale au principe de durabilité. Selon eux, la réalisation du développement durable exige que les ressources naturelles soient utilisées d'une manière écologiquement durable. Pour ce faire, le droit ne peut pas seulement mettre en place des institutions et des réglementations ponctuelles mais doit assurer une place élevée au principe de durabilité dans la hiérarchie des normes juridiques, en reconnaissant des droits à la nature. En effet, en pensant à la nature en termes de droits, on tente de concevoir la protection de l’environnement en termes «absolus»39 puisque le 35 Bosselmann, supra note 2, à la p. 93. 36 J. Rawls, Political Liberalism, Oxford, Oxford University Press, 1993, à la p. 246 : « status of the natural world and our proper relation to it is not a constitutional essential or a basic question of justice ». 37 B. Almond, « Rights and Justice in Environmental Debate », dans D. Cooper et J. Palmer, dir, Just Environments – Intergenerational, International and Inter-Species Issues, Londres, Routledge, 1995, à la p. 6; C. D. Stone, Earth and Other Ethics: The Case for Moral Pluralism, New York, Harper and Row, 1987; K. Bosselmann, When Two World Collide: Ecology and Society, Auckland, RSVP, 1995; J. Baird Callicott, « The Case Against Moral Pluralism », (1990) 12:2 Environmental Ethics 99. 38 D. H. Meadows et al, The Limits to Growth, Universe books, 1972. 39 Pour emprunter l’expression de Daniel Bodansky dans The Art and Craft of International Environmental Law. Harvard University Press, 2010, pp. 59-60. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 9 principal avantage des droits fondamentaux est de placer les droits de la nature au sommet de la pyramide du droit positif. En lui conférant une place de choix dans la hiérarchie des normes juridiques, on ne reste plus sur le terrain des préférences qui peuvent être modifiées au gré de la politique. On se retrouve sur le terrain des droits qu’il faut maintenant confronter et équilibrer, les uns et les autres, ce qui est un défi plus important. Un développement durable sans justice écologique La reconnaissance progressive du droit de l’homme à l’environnement En 1972, la Déclaration de Stockholm invitait la communauté internationale à reconnaître le lien qui existe entre les droits de l’homme et un environnement sain mais n’allait pas jusqu’à reconnaître des droits à la nature : Principe 1. L'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien- être. Il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures. A cet égard, les politiques qui encouragent ou qui perpétuent l'apartheid, la ségrégation raciale, la discrimination, les formes, coloniales et autres, d'oppression et de domination étrangères sont condamnées et doivent être éliminées. Ce principe premier de la Déclaration de Stockholm affirmait qu’un environnement sain est nécessaire à la jouissance des autres droits de l’homme.40 Bien que la Déclaration de Stockholm soit un instrument international n’ayant pas formellement de caractère obligatoire selon l’article 38.1 du Statut de la Cour internationale de justice, sa portée est considérable puisque le lien fondamental qu’elle dessine entre l’environnement et les droits et libertés de l’homme, fournit alors une motivation philosophique et juridique à l’élaboration du droit de l’homme à l’environnement.41 Depuis 1972, on assiste au développement de ce qu’il est convenu d’appeler «le droit à un environnement sain ou de qualité». Ce droit, expliquait Kiss, soutient le même objectif principal que le droit de l’environnement, soit « la protection des humains par un milieu de vie adéquat »42. Ce qui les distingue, c’est que le droit de l’environnement – désigné comme l’ensemble des législations en matière d’environnement – est opéré par les pouvoirs publics, alors que le droit à l’environnement est un droit fondamental de l’homme à qui il appartient de le faire valoir face à l’État, aux entreprises et aux particuliers qui ne le respecteraient pas. Le droit à l’environnement rejoint ainsi les droits fondamentaux de la personne et plusieurs fondent leur espoir dans ses possibilités d’assurer la protection de l’environnement, allant même jusqu’à affirmer qu’il est le moyen le plus sûr pour y arriver, à condition de garantir des droits procéduraux adéquats aux individus pour lui conférer une efficacité réelle. C’est d’abord au plan international que certains ont plaidé en faveur de la reconnaissance d’un droit à l’environnement comme droit découlant d’une troisième génération des droits de l’homme. Il est vrai que depuis ses débuts, le droit international de l’environnement n’a pas réussi à imposer de limites universelles aux pratiques environnementales qui doivent être respectées dans chacun des États43 . C’est 40 S. A. Atapattu, « The Right to a Healthy Life or the Right to Die Polluted?: The Emergence of a Human Right to a Healty Environment under International Law », (2002) 16:1 Tulane Environmental Law Journal 65, à la p. 67. 41 A. Mararewicz, La protection internationale du droit à l’environnement, dans P. Kromarek, dir, Environnement et droits de l’homme, Paris, UNESCO, 1987, aux p. 80 et 81. 42 A. Kiss, « Définition et nature juridique d’un droit de l’homme à l’environnement », dans P. Kromarek, dir, Environnement et droits de l’homme, Paris, UNESCO, 1987, à la p. 17; «Quel droit à l’environnement? Historique et développement». dans P. Kromarek (dir.), Environnement et droits de l’homme, Paris, UNESCO, 1987, p. 17; A. Tremblay, « Regard sur l’évolution du concept de droit à l’environnement », (2005) 18 R.J.E.U.L 5 43 Parmi ces derniers, Grandbois et Bérard dénoncent que cette « opposition constante des grandes entreprises à toute idée d’universalisation des normes environnementales ait confiné le droit international de l’environnement aux engagements les plus souples », M. Grandbois et M-H Bérard, « La reconnaissance internationale des droits Sophie Lavallée 10 notamment pour cette raison que plusieurs environnementalistes ont commencé à réclamer, parallèlement au droit de l’environnement classique dont l’efficacité repose sur l’action administrative et étatique, la reconnaissance d’un droit à l’environnement, différent, dont l’efficacité reposerait sur l’individu, qui en serait le titulaire mais qui serait également débiteur de certains devoirs à son égard. La Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, définissent l’essentiel des droits civils et politiques, droits de première génération pour lesquels les révolutionnaires français et américains se sont battus : droit à la vie et à la sécurité de sa personne, liberté d’aller et venir, liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de presse et de religion, droit à une défense pleine et entière, présomption d’innocence, égalité de tous devant la loi. Ces « droits-libertés », opposables à l’État, sont directement «justiciables» pour les individus devant les tribunaux de droit commun ou devant des instances internationales, telles que le Comité des droits de l’homme créé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 1966. Alors que les droits de l’homme des deux premières générations sont reconnus dans les instruments universels des droits de l’homme que sont la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et les deux Pactes de 1966, les nouveaux droits au développement, à la paix ou à l’environnement, qui sont apparus dans la littérature juridique internationale il y a une vingtaine d’années,44 ne le sont pas. En effet, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948, ne reconnaît pas expressément le droit de l’homme à l’environnement, même si elle reconnaît dans son préambule le caractère fondamental de la «dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables», qu’elle proclame à son article 3 que «tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne»45 et à son article 25 que «toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille». Dans ce contexte, comme l’explique Déjeant-Pons, la «santé n’est pas perçue comme conditionnée par le cadre et le milieu de vie de l’homme»46, mais par «l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que (…) les services sociaux nécessaires».47 En 1966, les droits de l’homme connaissent une évolution importante grâce aux Pactes internationaux adoptés sous l’égide des Nations Unies, l’un pour protéger les droits civils et politiques, l’autre pour protéger les droits économiques, sociaux et culturels. Le petit nombre de communications individuelles qui ont été présentées au Comité des droits de l’homme en invoquant qu’une atteinte à l’environnement a entraîné une violation de l’un des droits de l’homme protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment le droit à la vie, est surprenant. En effet, le droit à la vie, droit civil et politique, est évidemment le plus fondamental de tous les droits de l’homme. Il s’agit d’un droit inhérent à la personne qui précède le droit positif48, d’une norme erga omnes opposable à tous les acteurs et qui relève des normes du jus cogens pour lesquelles « aucune dérogation n’est permise ».49 Prévu à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il constitue l’assise de tous les autres droits fondamentaux et « doit être protégé par la loi et nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». Une atteinte à (Contd.) environnementaux : le droit de l’environnement en quête d’effectivité », (2003) 44 :3 Les Cahiers de droit 427, à la p. 429. 44 D. Rousseau, « Les droits de l'homme de la troisième génération » dans Louis Favoreu et al, Droit constitutionnel et droits de l'homme : rapports français au IIe Congrès mondial de l'Association internationale de droit constitutionnel, Paris-Aix-en- Provence, Paris, Economica, 1987, à la p. 125. 45 Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés AG 217(III), Doc off AG NU, 3e sess, supp n° 13, Doc NU A/810 (1948). 46 M. Dejeant-Pons, « L’insertion du droit de l’homme à un environnement dans les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme », (1991) 3 Revue universelle des droits de l'homme, 461, à la p. 462. 47 Déclaration universelle des droits de l’homme, supra note 49, art. 25. 48 P. Steichen, « Évolution du droit à la qualité de vie, de la protection de la santé à la promotion du bien-être », (2000) 3 RJE 361. 49 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 RTNU 331, à l’art. 52. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 11 l’environnement peut causer une atteinte à la vie des gens.50 Tel est l’argument qu’un groupe de 129 citoyens canadiens a soumis au moyen d’une communication individuelle logée contre le Canada devant le Comité des droits de l’homme, le 11 avril 1980. Alléguant que des déchets radioactifs, d’abord produits par une société d’État fédérale et ensuite entreposés à proximité de leurs résidences lors d’une opération de décontamination entreprise par l’Agence de contrôle de l’énergie atomique, menaçaient leur droit à la vie et celui des générations futures, ces citoyens demandaient au Comité des droits de l’homme d’ordonner au gouvernement canadien d’enlever tous les déchets radioactifs de la région de Port Hope, en Ontario. Après avoir reconnu que la communication soulevait des questions sérieuses en regard de l’obligation du gouvernement du Canada de protéger la vie humaine, droit garanti par l’article 6(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme, bien que reconnaissant l’intérêt pour agir de l’auteur de la communication, la déclare inadmissible puisqu’il n’a pas épuisé ses recours en droit interne et qu’il n’a pas démontré que s’il les intentait, ces recours internes seraient déraisonnablement prolongés.51 Plusieurs textes internationaux de droit mou (soft law) ont été adoptés à la suite de la Conférence de Stockholm. En 1980, la Stratégie mondiale de la conservation de l’UICN, du PNUE et du WWF, réitère les incantations de la Déclaration de Stockholm, en clamant que l’homme doit maintenir les processus écologiques essentiels maintenant la vie, préserver la diversité biologique et veiller à l’utilisation durable des espèces et des écosystèmes.52 En 1982, la Charte mondiale de la nature, texte de principe adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, énonce que «Toute personne aura la possibilité, en conformité avec la législation de son pays, de participer, individuellement ou avec d’autres personnes, à l’élaboration des décisions qui concernent directement son environnement et, au cas où celui-ci subirait des dommages ou des dégradations, elle aura accès à des moyens de recours pour en obtenir réparation.»53 Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels a été adopté et ouvert à la signature et à la ratification par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966, après près de deux décennies de débats sur le texte. Le Pacte est entré en vigueur dix ans plus tard, soit le 3 janvier 1976 et 160 États, dont le Canada54, l’avaient ratifié, en date du 6 avril 2009. Ce Pacte a été adopté et ouvert à la signature et à la ratification par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966, après près de deux décennies de débats sur le texte. Le Pacte est entré en vigueur dix ans plus tard, soit le 3 janvier 1976 et 154 États l’avaient ratifié le 1er septembre 2005.55 Le respect des droits de l’homme par les États parties au Pacte fait l’objet de suivis par le Comité des 50 B. G. Ramcharan, The Right to life, (1983) 30 NILR 297, à la p. 310, citant A.A Cancado Trindade, « The parallel evolutions of international human rights protection and of environmental protection and the absence of restrictions upon the exercise of recognized human rights », (1991) 13 Revista del Instituto interamericano de Derechos Humanos 50, Conseil économique et social, Commission des droits de l’homme, Examen des faits nouveaux intervenus dans les domaines dont la Sous-Commission s’est déjà occupée, Droit de l’homme et environnement, Rapport final établi par Mme Fatma Zohra Ksentini, Rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/1994/9, 26 juillet 1994, version française, p. 51. 51 Communication no 67/1980, EHP v. Canada, CCPR/C/17/D/67/1980, par. 8: « The Committee observes that the present communication raises serious issues, with regard to the obligation of States Parties to protect human life (article 6 (1))». Le Comité reconnaît l’intérêt pour agir de l’auteur de la communication puisqu’il allègue subir lui- même une violation de son droit à la vie, et précise qu’il n’a pas à se pencher sur l’intérêt qu’il a d’agir dans l’intérêt des générations futures mais qu’il considère que si le Comité faisait droit à la communication de l’auteur, cette décision protègerait évidemment les générations futures aussi. 52 UICN/PNUE/WWF, Stratégie mondiale de la conservation, Gland, UICN/PNUE/WWF, 1980 : la conservation des ressources vivantes au service du développement durable, Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources, Programme des Nations Unies pour l'environnement et Fonds mondial pour la nature, Gland, Suisse; Dejeant-Pons, supra note 50, à la p.461. 53 Charte mondiale de la nature, supra note 18, principe 23. 54 Le Canada a ratifié le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le 19 mai 1976. Voir l’état des ratifications, en ligne : Treaties.un.org http://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&id=321&chapter=4&lang=fr. 55 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993 RTNU 3 (entrée en vigueur : 3 janvier 1976). Sophie Lavallée 12 droits économiques, sociaux et culturels, organe subsidiaire du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), qui fait des recommandations à la suite de l’examen des rapports soumis par les États parties au Pacte « sur les mesures qu’ils auront adoptées et sur les progrès accomplis en vue d’assurer le respect des droits reconnus dans le Pacte. »56 Le Pacte prévoit, à son article 12 « le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’elle soit capable d’atteindre ». Jusqu’à tout récemment, aucun mécanisme de contrôle des dispositions de ce Pacte n’était accessible aux particuliers. Par conséquent, cette disposition n’a pas été invoquée par un particulier pour faire valoir le droit à l’environnement. Toutefois, cette situation pourra être modifiée prochainement si le Protocole facultatif 57 au Pacte entre en vigueur, ce qui instaurera la possibilité de communications individuelles. Un particulier ou un groupe de particuliers pourra se plaindre, par voie de communication au Comité, qu’une situation de pollution non réglée par les autorités nationales, porte atteinte à sa santé. Pour que sa communication soit recevable, le particulier devra avoir épuisé ses recours en droit interne. De plus, la dégradation de l’environnement devra être d’un niveau tel qu’elle portera atteinte à la santé. Ceci posera évidemment une difficulté de preuve plus importante que dans les cas d’une atteinte environnementale où aucune atteinte à un droit de l’homme n’est invoquée. En effet, le particulier devra faire la démonstration, dans sa communication, du lien de causalité entre l’atteinte environnementale et l’atteinte à la santé de l’homme, entraînant une violation de son droit à la santé. Seul l’avenir nous dira si le Comité fera une interprétation restrictive du droit à la santé ou lui donnera, au contraire, une interprétation libérale qui favorisera une évolution significative de ce droit garantit par le Pacte. Deux conventions internationales reconnaissent également le droit à l’environnement, dans des contextes particuliers. La Convention relative aux droits de l’enfant58, adoptée le 20 novembre 1989 et à laquelle le Canada est partie, protège, à son article 24, le droit à l’environnement afin de garantir le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible mais il n’existe pas de procédure de plainte individuelle devant le comité des droits de l’enfant. La Convention 169 du 27 juin 1989 sur les peuples indigènes et tribaux dans des pays indépendants,59 adoptée par l’Organisation internationale du travail le 27 juin 1989 et entrée en vigueur le 5 septembre 1991, fait également référence au droit à l’environnement en imposant aux États de prendre des mesures spéciales pour sauvegarder l’environnement de ces peuples, à son article 4, premier alinéa. Au plan régional, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 198160, est le premier traité international sur les droits de l’homme qui a énoncé expressément, à son article 24, que « [t]ous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ». Ce texte est intéressant non seulement parce qu’il origine du Tiers-Monde et qu’il est le premier texte à avoir reconnu un caractère obligatoire au droit à l’environnement mais parce qu’il le garantit de manière collective, pour des «peuples» et non seulement pour des individus. La Commission africaine des droits de l’homme a eu à se pencher sur diverses communications61 contre le Zaïre et a conclu que le manquement du gouvernement zaïrois à fournir les services de base tels que l’accès à une eau potable constituait une violation de 56 Ibid article 16 § 1 er . 57 Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le 10 décembre 2008, Doc.A/63/435; C.N.869.2009.TREATIES-34 (non encore en vigueur). 58 Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, 157(entrée en vigueur : 2 septembre 1990). 59 Convention (No 169) concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, 27 juin 1989, 1650 RTNU 383 (entrée en vigueur : 5 septembre 1991). Le Canada n’a pas ratifié cette dernière convention puisqu’il craignait qu’elle puisse contribuer à la reconnaissance du droit à l’autodétermination des populations autochtones en droit international : Jill Wherret, Les peuples autochtones et le référendum de 1995 au Québec : les questions qui se posent, gouvernement du Canada, février 1996, [en ligne] : parl.qc.ca http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/bp412-f.htm. 60 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 27 juin 1981, 1520 RTNU 217 (entrée en vigueur : 21 octobre 1986). 61 Communications 25/89, 47/90, 56/91 et 100/93. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 13 l’article 16 garantissant le droit fondamental à la santé.62 Le système interaméricain des droits de l’homme comprend, quant à lui, trois niveaux d’engagements. 63 Le premier est le système le moins exigeant64, soit la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’Homme de 1948 qui lie65 les 35 États de l’Organisation des États américains (O.É.A.) et qui est appliquée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme ne disposant que d’un pouvoir moral à la suite de pétitions qui lui sont adressées par des particuliers.66 Les deux autres niveaux d’engagements sont plus exigeants : le système édifié à partir de la Convention américaine relative aux droits de l’homme de San José, de 1969 67 qui permet des plaintes individuelles et des plaintes étatiques à la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui agit, cette fois, comme médiateur, et le système renforcé du Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, traitant des droits économiques, sociaux et culturels adopté à San Salvador (Protocole de San Salvador), le 14 novembre 1988. Ce protocole énonce le droit à un environnement salubre à son article 11, lequel consacre un caractère fortement anthropocentrique au droit garanti puisqu’il lie le droit à l’environnement à la santé.68 Les requêtes individuelles prévues aux articles 44 à 51 et 61 à 69 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme ne peuvent pas être utilisées pour faire valoir le droit à l’environnement puisque seule les violations de l’article 8 a)69 ou de l’article 1370 , rendent possible le recours à la Commission interaméricaine des droits de l’homme et, le cas échéant, à la Cour interaméricaine des droits de l’homme.71 La Commission interaméricaine des droits de l’homme a toutefois quand même eu à se pencher sur les liens existants entre la destruction de l’environnement et d’autres droits garantis par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, dont le droit à la vie, notamment en réponse à une requête logée par des autochtones Yanomani du Brésil. Dans cette affaire, la requête alléguait que le gouvernement du Brésil avait violé le droit des Yanomani à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de la personne, garanti par l’article I de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, leur droit de résidence et de mouvement garanti par l’article VIII et leur droit à la santé garanti par l’article XI. Cette requête alléguait qu’en construisant la route transamazonienne qui traverse leur territoire, le gouvernement du Brésil avait violé le droit à la vie puisqu’il avait délogé les autochtones de leurs 62 Dans cette affaire, il faut remarquer que le droit à l’environnement n’a pas été plaidé bien que l’article 24 de la Charte africaine des droits de l’homme le garantisse. 63 J-M Arbour et G. Parent, Droit international public, 5 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006. 64 Il est d’ailleurs notable que les États-Unis et le Canada n’aient adhéré qu’à cette Déclaration et non aux deux Protocoles qui composent le système interaméricain des droits de l’homme : « Améliorer le rôle du Canada dans l’OEA : L’adhésion du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l’Homme », Rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, mai 2003 (communiqué du comité sénatorial permanent disponible enligne : http://www.parl.gc.ca/37/2/parlbus/commbus/senate/com-f/huma-f/press-f/28may03-f.htm). 65 Dans son avis consultatif du 14 juillet 1989, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’Homme avait une valeur normative et qu’elle faisait partie du droit interaméricain : Interpretation of the American Declaration of the Rights and Duties of Man Within the Framework of Article 64 of the American Convention on Human Rights, OC-10/89, 14 juillet 1989. 66 Art. 18 du Statut de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, approuvé par la Résolution N1 447 (IX- O/79) adoptée par l'Assemblée générale de l'OEA à sa neuvième session ordinaire tenue a La Paz, Bolivie en octobre 1979 et art. 23 et 24 du Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, adopté par la Commission lors de sa 109e session extraordinaire, tenue du 4 au 8 décembre 2000 et modifié par la suite à quelques reprises. Voir généralement : Arbour, supra note 67, aux p. 460 et ss. 67 Convention américaine relative aux droits de l’homme, 22 novembre 1969, 1144 RTNU 310 (entrée en vigueur 18 juillet 1978. En septembre 2011, elle lie 23 États, à l’exception notable du Canada et des États-Unis. 68 Article 11. Le droit à un environnement salubre 1. Chacun a le droit de vivre dans un environnement salubre et de bénéficier des équipements collectifs essentiels. 2. Les États parties encourageront la protection, la préservation et l’amélioration de l’environnement. 69 Le droit des travailleurs d’organiser des syndicats (Liberté syndicale). 70 Le droit à l’éducation. 71 Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, 17 novembre 1988, OAS Treaty Series 69 (entrée en vigueur : 16 novembre 1999), à l’article 19 (6). Sophie Lavallée 14 terres ancestrales, autorisé l’exploitation des ressources naturelles, notamment les richesses du sous-sol de leur territoire, et permis à de nouveaux venus de pénétrer massivement en territoire autochtone et d’y propager des maladies, et qu’il n’avait pas mis à leur disposition les soins médicaux nécessaires.72 La Cour a statué qu’il y avait infraction au droit à la vie, à la liberté, à la sécurité personnelle, à la résidence, au déplacement et à la préservation de la santé et du bien- être garantis par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. De plus, en 2005, la canadienne Sheila Watt-Cloutier et l’ONG EarthJustice ont soumis une pétition à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, invoquant que le refus des États-Unis de ratifier le Protocole de Kyoto portait atteinte au mode de vie des Inuits et contrevenait à différents instruments internationaux et instruments constitutifs du Système interaméricain des droits de l’homme, dont l’article XIII de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme qui proclame que « Toute personne a le droit de prendre part à la vie cultu- relle de la communauté, de jouir des arts et de bénéficier des résultats du progrès intellectuel et notamment des découvertes scientifiques » et l’article XI de la Déclaration américaine qui reconnait le droit à la santé. La Commission leur a répondu, sur le fondement de l’article 26 de son Règlement de procédure73, qu’il lui était impossible d’examiner la pétition puisque les informations qu’elle contenait ne lui permettaient pas de déterminer si les faits allégués pouvaient constituer une violation des droits garantis par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. En 2007, Mme Watt-Cloutier et EarthJustice ont demandé à la Commission une « audience » pour faire cette démonstration au moyen de témoignages. La Commission a accepté d’entendre ces témoignages, qui ont eu lieu le 1er mars 2007. Depuis cette date, elle n’a donné suite d’aucune façon à cette procédure. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, adoptée dans les années 1950, ne reconnaît évidemment pas de droit à l’environnement et ses protocoles, adoptés par la suite, n’en prévoient pas non plus. Statuant qu’elle était incompétente ratione materiae dans certaines affaires74 où les requérants invoquaient une violation du droit à la vie garantit à l’article 2, dans un contexte de protection de l’environnement, la Cour de Strasbourg a tout de même contribué indirectement à affermir la reconnaissance d’un droit à l’environnement dans les États membres, en se penchant sur des allégations d’atteintes au droit à la vie privée dans des affaires dont le nombre, important, fait en sorte qu’il est impossible de les résumer ici mais dont certaines ont fait l’objet d’une interprétation progressiste de la Cour.75 Considérant l’ensemble ces déclarations de principes internationales, conventions internationales, régionales et de la jurisprudence reconnaissant le droit à l’environnement, on peut affirmer que depuis la fin des années 1960, on assiste à une évolution, lente mais certaine, du droit à l’environnement. Cette évolution a été saluée par certains juristes, mais a été décriée par d’autres. En effet, le recours aux droits de l’homme, pour donner un nouveau souffle au droit de l’environnement et permettre à ce volet du développement durable d’être équilibré dans un meilleur rapport de force avec le développement économique, est l’objet d’un débat de forme et de fond récurrent, depuis une vingtaine d’années déjà. Ce sont essentiellement des raisons politiques et juridiques qui ont fait dire à certains qu’un conflit potentiel existait entre les générations des droits économiques, sociaux et culturels et les droits de troisième génération, dits de solidarité.76 Quand on y regarde toutefois de plus près, on se rend bien compte que les droits de deuxième et de troisième génération font partie d’un «processus régulateur élargi» qui «ne repose pas vraiment 72 Décision 7615 (Brésil), INTER-AM. C.H.R., 1985, March 5, 1985, 1984-1985 Annual Report 24, OEA/Ser.L/V/11.6, Doc. 10, rev. 1 (1985), art, 24, 31. 73 Règlement de procédure de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, en ligne : Commissioninteraméricaine des Droits de l’Homme : http://www.cidh.oas.org/Basicos/French/u.reglement.cidh.htm. 74 Dr S c/RFA, 5 août 1960 (essais nucléaires); X et Y c/RFA, 13 mai 1976 (usage d’un marais pour des fins militaires); X c/RU, 12 juillet 1978 (dommages dûs à une campagne de vaccination). 75 Jurisprudence de la CEDH : De Sadeleer, Prieur, Francesco, Bosselmann. 76 L. Lamarche, Perspectives occidentales du droit international des droits économiques de la personne, Collection de droit international, Bruxelles, Éditions Bruylant, 1995, à la p. 144. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 15 sur la détermination de l’absence ou du degré de juridicité de quelque droit»77, ce qui permet de conclure, comme Lamarche, qu’il est vain de «s’acharner sur les délimitations des frontières générationnelles des droits. Tous les droits évoluent dans un contexte global qui détermine leur juridicité. C’est le propre des droits- tension auxquels réfère Atias.» 78 En effet, dans la mesure où l’on sait garder à l’esprit la distinction fondamentale entre le droit tel qu’il est (lex lata) et le droit tel qu’il devrait idéalement être (de lege ferenda), on conviendra qu’il n’y a pas d’objection décisive à parler de droit de la troisième génération si l’on entend par cette catégorie des droits en formation ou en devenir. Le secret des droits de l’homme, comme l’affirmait le président français François Mitterand, « c’est la démocratie ».79 N’est-il pas vrai que la promotion et la protection d’une génération de droits de l’homme ne doivent jamais dispenser un État de travailler à la promotion et à la protection des autres? Tous les droits de l’homme sont en effet interdépendants et indivisibles80 et la doctrine moderne des internationalistes distingue non pas seulement deux temps ou deux générations dans l’évolution des droits de l’homme, mais bien trois, mettant ainsi en lumière le fait que le catalogue des droits de l’homme est évolutif, qu’il n’est jamais déterminé une fois pour toute, et qu’il reste toujours ouvert pour répondre aux besoins contemporains, notamment en matière de protection environnementale. La nécessité de reconnaître un droit à l’environnement pour faire contrepoids au pouvoir économique81 a d’ailleurs été ciblée dans toutes les propositions qui ont été formulées relativement à l’identité des droits de troisième génération.82 Cela n’est pas étonnant puisque le droit à l’environnement contiendrait tous les éléments d’un tel droit, dans ses dimensions individuelles et collectives. Il est, en effet, opposable à l’État mais il a aussi besoin de ce dernier pour en assurer la réalisation.83 Le débat sur l’opportunité d’un droit à l’environnement porte sur plusieurs autres questions que nous regroupons comme suit : Peut-on en assurer la mise en œuvre en recourant simplement aux droits de l’homme existants tels que le droit à la vie ou à la vie privée ou le droit à la santé ou encore en tablant sur les droits procéduraux dont disposent chaque individu pour assurer la protection de l’environnement ? En bref, ces questions tournent autour d’une question fondamentale : A-t-on besoin d’un nouveau droit de l’homme pour assurer le droit à l’environnement? Pourquoi reconnaître un droit de l’homme à l’environnement? Comment définir l’environnement et encore plus un nouveau droit à l’environnement et quel doit en être le contenu? Ainsi, ce que l'on peut appeler le débat sur le droit de l’homme à l’environnement est en réalité un débat sur de nombreux aspects concernant un éventuel droit à un environnement sain, à savoir sur l'opportunité même d'un tel droit, son éventuelle existence telle qu'elle ressort des instruments et actes internationaux, les possibilités d'assurer ce droit sans qu'il soit formulé de façon expresse mais en passant plutôt par d'autres droits de l’homme bien établis comme le droit à la vie ou à la santé ou encore, en passant par des droits procéduraux. 77 Ibid. 78 Ibid aux pp. 145-146; C. Atias, «Quelle positivité? Quelle notion de droit?», (1982) 27 Archives de philosophie du droit, 209, à la p. 233. 79 Cité dans Rousseau, supra note 48, à la p. 136. 80 Le droit onusien pose, en effet, le principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme entre eux. Ce principe a été reconnu par la Proclamation de Téhéran de 1968, qui considère tous les droits de l’homme égaux en valeur et en importance. Vasak rappelle que, lors de cette proclamation, « sur le terrain, l’indivisibilité des droits de l’homme était fort théorique et ressemblait davantage à une pétition de principe qu’à la constatation de la réalité quotidienne. », Karel Vasak, « Les différentes catégories des droits de l’homme », dans André Lapeyre, François De Tinguy, Karel Vasak, dir, Les dimensions universelles des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1990, à la p. 297. 81 Déclaration de Rio, supra note 3, principe 4 : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément ». 82 A. Rosas, « So-called rights of the thirsd generation », dans A. Eide, C. Krause, A. Rosas, dir, Economic, Social and Cultural rights: A Textbook, Dordrecht, Martinius Nijhoff, 1995, aux pp. 257-269; Vasak, supra note 84. 83 Vasak, supra note 84. Sophie Lavallée 16 Le débat sur l’anthropocentrisme du droit à l’environnement et les possibilités de reformuler la justice à la lumière du principe de durabilité Dans le contexte de l'opportunité de reconnaître un droit à l’environnement comme droit de l’homme, le problème de l'anthropocentrisme des droits de l'homme et la conformité de l’approche des droits de l'homme avec les besoins de la préservation de l'environnement, est omniprésent, notamment quant à la définition d’un tel droit. Plusieurs auteurs sont préoccupés par le caractère anthropocentrique inhérent des droits de l’homme. Ils croient que leur existence même renforce l’idée que l'environnement n'existe que pour le bénéficie de l’être humain et n’a aucune valeur intrinsèque. Ils sont même d’avis que les droits de l’homme aboutissent à la création d'une hiérarchie, selon laquelle on donne à l'humanité une position de supériorité et qu’on distingue son importance des autres membres de la communauté naturelle.84 Plus spécifiquement, les objectifs et les normes des droits de l’homme sont centrés sur l'homme, la survie de l’humanité et l'utilisation continue des ressources alors que ce sont ces objectifs, utilisés en droit de l’environnement, qui ont conduit à la dégradation de l’environnement. Deuxièmement, cette approche anthropocentrique prive l'environnement d'une protection directe. Il faut une atteinte bien importante à l’environnement avant que celle-ci ne vienne affecter le droit à la santé, par exemple. En ce sens, la dégradation de l'environnement en elle- même n'est pas une cause suffisante pour se plaindre juridiquement parlant, cette dégradation doit être liée au bien-être humain et il n'y a pas non plus de reconnaissance que la nature est, en fait, la victime de la dégradation. Enfin, la protection de l'environnement dépend toujours du fait qu’un être humain se voit affecté dans ses droits et qu’il emprunte la voie des mécanismes procéduraux reconnus par le droit pour condamner cette violation aux droits de l’homme et le dédommagement lui reviendra. Il ne sera pas nécessairement utilisé au bénéfice de l’environnement. Traditionnellement, les relations juridiques - y compris celles que l’on qualifie de questions liées à la justice - sont perçues uniquement comme des relations entre des personnes. Selon cette conception de la justice, les gens n'ont aucune obligation légale envers la nature, et la nature n'a pas de droits envers les personnes. En effet, de tout temps, le droit a eu pour objet principal de régir les relations entre les hommes, et non pas entre l’homme et la nature. Son essence même est donc anthropocentrique puisque, même lorsqu’il s’agit de réglementer la chasse, la pêche ou l’exploitation forestière, la finalité de la norme juridique repose avant tout sur la défense des intérêts des chasseurs, pêcheurs ou exploitants contre des abus éventuels. Il n’est alors nullement question d’assurer d’abord la protection des espèces sauvages et encore moins les relations écologiques qui n’ont aucune valeur marchande. Le droit n’appréhende d’ailleurs que les éléments corporels comme l’eau, l’air, le sol, les animaux et les plantes auxquels il confère des qualifications purement anthropocentriques fondées sur les concepts d’appropriation et de souveraineté : res communes, res propriae, res nullius. L’être humain se retrouve donc, a priori, libre de détruire et d’altérer ce qu’il possède et, a fortiori, ce qui n’appartient à personne. Ce droit de détruire n’a, en définitive, qu’une limite : la protection d’autres intérêts humains. Or, la destruction des espèces et des écosystèmes qui constituent la biodiversité n’affecte pas toujours un intérêt humain protégé par le droit.85 Le dommage est d’abord causé à la nature et, de façon indirecte et difficilement évaluable en argent, à l’homme. L’État peut toujours édicter des lois de protection de la nature, mais si elles se trouveront détournées de leur fonction première qui est, par essence, la protection d’intérêts humains, le problème de la légitimité de leur usage se posera tôt ou tard. Cette problématique de la légitimité est à l’origine de toutes les critiques qu’a suscitée l’idée de reconnaître le droit à l’environnement comme un droit de la troisième génération des droits de l’homme. En effet, une vue d’ensemble des théories éthiques du droit de l’environnement révèle 84 P. W. Birnie et A. E. Boyle, International Law and the Environnent, Oxford, Oxford University Press, 2002, aux p. 257-258. 85M-A Sanson-Hermitte et B. Edelman, L’homme, la nature et le droit, Paris, C. Bourgois, 1988; M. Rémond- Gouilloud, Du droit de détruire: essai sur le droit de l’environnement (les voies du droit), Paris, Presses Universitaires de France, 1989. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 17 un discours qui est traversé par deux courants qui s’opposent : celui de l’anthropocentrisme qui conçoit la nature comme objet, et celui de la deep ecology ou écologie profonde qui conçoit au contraire la nature en tant que sujet. Le courant anthropocentrique a pour origine la pensée de Descartes pour qui l’homme doit devenir maître et possesseur de la nature et qui a donné forme aux sociétés modernes occidentales pendant le Siècle des lumières, avec dans son sillage la Révolution française et Jean-Jacques Rousseau pour qui la nature doit être maîtrisée, cultivée, humanisée. Le fait que l’homme soit la seule entité à disposer de la conscience le rend souverain et fait de lui la mesure de toutes choses. Un tel humanisme fait en sorte que «la nature n’a de valeur éthique que d’un point de vue instrumental».86 Dans cette conception anthropocentrique, la seule raison valable de restreindre l’action humaine existe lorsque le dommage à la nature menace l’homme lui-même.87 Il n’est pas rare que cette conception soit dénoncée comme étant à l’origine des nombreux problèmes environnementaux qui nous assaillent et il n’est pas étonnant qu’elle soit à l’origine du développement de son antithèse, la deep ecology, telle que désignée par les anglo- saxons. Selon l’écologie profonde, qui oppose l’écocentrisme à l’anthropocentrisme de l’écologie superficielle (shallow ecology), l’homme ne se situe pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrit au contraire dans le tout qu’est l’écosphère. Cette deep ecology, selon l’expression mise de l’avant, en 1973, par le Norvégien Arne Naess88, est en somme un courant environnementaliste qui sacralise la nature et remet en cause la position centrale que l’homme y occupe. La fin poursuivie par ce courant conteste l’anthropocentrisme : la nature n’est plus la servante de l’homme mais c’est plutôt lui qui doit s’y soumettre. S’appuyant sur la notion d’égalité biocentrique, l’écologie profonde considère que l’égalitarisme moral entre l’homme et l’animal mène à la conclusion que toutes les entités constitutives de la nature ont un égal droit à l’existence. Toutes ces entités constituent précisément ce que nous désignons par le terme «nature» et aucune d’elles ne peut s’en faire maître. Exprimant cette conception de la nature, le chimiste James Lovelock émet l’hypothèse Gaϊa selon laquelle la nature est une entité autonome douée d’une volonté immanente et qui ne peut pas être soumise au commandement de l’espèce humaine.89 Fervent adepte de la philosophie environnementale, Edgar Morin estime quant à lui que «nous pouvons affirmer que dorénavant nous ne pouvons concevoir qu’une nature à double pilotage : la nature doit être pilotée par l’homme, mais celui-ci doit être piloté par la nature.»90 Cette égalité ontologique ne permet pas à l’être humain, partie constitutive de la nature, d’en soumettre les autres entités à sa volonté destructrice. En définitive, «la destruction écologique est la destruction philosophique de la nature par l’anthropocentrisme naturel»91, ce qui rejoint ceux pour qui l’homme fait partie intégrante de l’écosystème.92 De la deep ecology découlent trois conséquences importantes. La première veut que le respect pour l’environnement se concrétise par une planification des naissances humaines qui limite fortement la population mondiale93 rejoignant ainsi les conceptions des malthusiens94 et de 86 S. Gutwirth, « Trente ans de théorie du droit de l’environnement », (2001) 26 Environnement et société 1, aux pp. 5-8 87 Ibid à la p. 8. 88 A. Naess, « The Shallow and the deep. Long-Ranged Ecology Movement », (1973) 16 Inquiry 95. Sur le movement de l’écologie profonde, voir également A. Naess, « A defence of the Deep Ecology Movement », (1984) 6 Environmental Ethics 265; et J. Hofbeck, « La "deep ecology" : un essai d’évaluation éthique», dans J. A. Prades, J-G Vaillancourt et R. Tessier, dir, Environnement et développement : questions éthiques et problèmes socio-politiques, Montréal, Fides, 1991, aux p. 165-181 89 J. E. Lovelock, Les âges de Gaϊa, Paris, O. Jacob, 1990. 90 E. Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF Editeur, 1974, p.77. 91 P. Perrin, Deep Ecology et Environmental philosophy : du sophisme au contrôle autoritaire de la population, Institut économique Molinari, 21 septembre 2004. 92 L’Assemblée Générale des Nations Unies affirme que « l’humanité fait partie de la nature et la vie dépend du fonctionnement ininterrompu des systèmes naturels qui sont la source d’énergie et de matières nutritives», Charte mondiale de la nature, supra note 18, préambule. 93 B. Devall et G. Session, Deep Ecology, Layton, Gibbs Smith, 1985, à la p. 166. 94 Dans son Essai sur le principe de population publié en 1789, l’économiste britannique Thomas Malthus soutenait l’idée selon laquelle la population mondiale augmentait plus rapidement que la capacité de production agricole et prévoyait que ce déséquilibre conduirait l’humanité vers une crise, les ressources alimentaires ne suffisant plus à répondre à la demande. Bien que cette crise ne se soit pas concrétisée, le terme malthusianisme est encore utilisé aujourd’hui pour exprimer les craintes Sophie Lavallée 18 Lovelock pour qui «s’il n’y avait que 500 millions d’humains, pratiquement rien de ce que nous faisons actuellement à l’environnement ne perturberait Gaϊa »95 La seconde plaide en faveur de la reconnaissance de droits aux arbres et aux ressources naturelles en général et considère l’environnement comme un tout («environment as a whole»).96 Selon Christopher D. Stone, le fait de reconnaître de tels droits aux éléments de la nature n’a rien de révolutionnaire si on considère qu’à une certaine époque, les esclaves et les femmes n’en avaient pas non plus et qu’il était alors impensable d’imaginer qu’ils en auraient. La proposition de Stone a d’ailleurs été suivie par les trois juges dissidents sur les sept juges de la Cour suprême des États-Unis dans Sierra Club c. Morton.97 Enfin, la troisième conséquence de la deep ecology est l’opposition marquée aux droits de l’homme pour garantir la protection de l’environnement. Plusieurs se demandent effectivement si les droits de l’homme offrent bien un cadre adéquat pour y parvenir. Pour eux, les droits de l’homme protègent les intérêts de l’être humain et instrumentalisent ainsi l’environnement. La nature est un objet de l’homme qui peut revendiquer sa protection à l’égard de la communauté internationale, de l’État et des autres citoyens. Pour eux, «si la construction d’un droit à l’environnement apporte quelque chose de bon à l’environnement, c’est purement accidentel et pas parce qu’on donne à l’environnement quelque valeur intrinsèque.»98 Si l’affirmation d’un droit à l’environnement s’accompagne de mesures étatiques qui permettent à l’individu d’imposer des limites aux atteintes portées à l’environnement, ces limites peuvent répondre aux aspirations humaines de vivre dans un environnement de qualité. D’ailleurs, cette possibilité, pour l’individu, de faire valoir ses attentes en matière de protection de l’environnement, rejoint les concepts de développement durable (tel que conceptualisé par le Rapport Brundtland et la Déclaration de Rio), de responsabilité envers les générations futures et de l’intérêt commun de l’humanité, concepts clés du droit de l’environnement contemporain. Les arguments des tenants de la deep ecology ont certes trouvé un certain succès auprès de nombreux groupes de pression verts et ont trouvé écho dans les préoccupations d’une partie de la communauté scientifique pour qui notre modèle de développement économique est accompagné d’une empreinte écologique excessive, rejoignant ainsi les enseignements d’Halte à la croissance de 1972 du Club de Rome dont la modélisation a mis en relation le caractère limité des ressources naturelles et notre modèle de croissance économique illimitée. L’histoire nous enseigne toutefois que le droit international de l’environnement s’est plutôt construit autour de concepts tels que l’intra- et l’intergénérationalité, de l’environnement comme patrimoine commun de l’humanité dans certains textes99 et plus fortement encore, du développement durable, défini par la Commission Brundtland (1987) comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».100 Toutefois, nous avons oublié ainsi que par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (1991) qui l’exprime comme « le fait d'améliorer les conditions d'existence des communautés, tout en restant dans les limites de la capacité de support des écosystèmes ».101 En effet, depuis le Sommet de la Terre de Rio, il existe un large consensus international sur la nécessité de promouvoir un développement durable qui permette l’intégration des préoccupations environnementales dans les processus productifs et dans l’ensemble des comportements individuels.102 Ainsi conceptualisé, le développement durable est un concept qui (Contd.) relatives à l’équilibre entre la population et les ressources naturelles. Selon Malthus, l’humanité doit composer avec la capacité de charge de son environnement naturel et prendre les décisions nécessaires pour en assurer la pérennité. 95 Lovelock, supra note 93 p. 214. 96 Stone, supra note 12; C. D. Stone, Should Trees Have Standing?: And Other Essays on Law, Morals & the Environment : 25th Anniversary ed., Dobbs Ferry, Oceana, 1996. 97 Sierra Club v. Morton, 45 U.S. 727 (1972). Décision rendue le 19 avril 1972. 98 Gutwirth, supra note 90, à la p. 8. 99 L’Accord du 5 décembre 1979 proclame la «lune et les autres corps célestes». Patrimoine commun de l’humanité. Accord régissant les activités des États sur les Lune et les autres corps célestes, 5 décembre 1979, 1363 RTNU 3; La Convention des Nations unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982, 1834 RTNU 3 (entrée en vigueur : 16 novembre 1994) en fait de même pour les ressources minérales des grands fonds marins. 100 Rapport Brundtland, supra note 16.. 101 IUCN/UNEP/WWF, Caring for the Earth: a strategy for sustainable living, Gland, IUCN/UNEP/WWF, 1991. 102 Parmi les principes qui sont énoncés dans la Déclaration de Rio, le principe 8 prévoit que pour « parvenir à un développement durable et à une meilleure qualité de vie pour tous les peuples, les États devraient réduire et éliminer Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 19 permet de formuler des politiques publiques103 de développement économique qui considèrent, sur le même pied, l’équité sociale et la protection de l’environnement, s’écartant ainsi de la conception radicale de la deep ecology.104 Les écologistes sont d’avis que plutôt que d'ajouter simplement des devoirs aux droits de l’homme, les réalités écologiques nous invitent à redéfinir les droits eux-mêmes pour garantir des droits à la nature. Dans la mesure où ses tenants n’ont pas connu le succès escompté, l’écologie profonde, qui propose une critique radicale de la Déclaration universelle des droits de l’homme puisqu’elle fait de l’homme la source et le destinataire de toutes les valeurs morales, politiques et écologiques, a été affaiblie d’autant et on peut penser que ce courant n’a pas, aujourd’hui, la force idéologique pour s’opposer efficacement à la reconnaissance d’un droit de l’homme à l’environnement. La deep ecology nous conduit toutefois à remettre en question notre conception du «développement durable» et à nous interroger sur l’adéquation des instruments juridiques existants, et de ceux qui seront adoptés, pour mettre en œuvre le principe de durabilité. En effet, le principe de durabilité doit modifier notre conception de la justice. Les libéraux démocrates comme Rawls et ceux qui l’ont suivi ont tenté d'étendre une théorie libérale de la justice afin d'y inclure les préoccupations environnementales. Ils sont d’avis que l'écologisme et le libéralisme démocratique sont compatibles. La préoccupation centrale des libéraux est de concilier le libéralisme avec l'individu, l’individualisme, la neutralité de l'État et un engagement en faveur de bonnes pratiques environnementales. La quadrature du cercle, en somme ! Leur objectif est de considérer les questions environnementales à travers le paradigme du libéralisme, plutôt que de le remplacer. Cela résulte en un «verdissement» éventuel au sein des politiques publiques, qui dépend de majorités démocratiques, plutôt que d'un engagement fort de l'État en faveur de l'écologisme. Ils ne sont pas en faveur de la reconnaissance d’un droit à l’environnement et encore moins en faveur de la reconnaissance de droits à la nature. Selon les tenants de la reconnaissance d’un droit de l’homme à l’environnement, la nature n’a peut-être pas de droits, mais les hommes ont des devoirs d’un niveau élevé envers elle et, en dernière instance, envers eux-mêmes. Et certains vont même jusqu’à défendre l’idée, comme Dinah Shelton et Alexandre Kiss l’ont fait, que ce n’est pas parce que le droit de l’environnement est anthropocentrique en soi que l’environnement ne peut pas être protégé et un droit de l’homme à l’environnement, formulé. Selon leur position, il est même possible de formuler ce droit de façon à protéger ce qu’on appelle le « dommage écologique », accompagné d’un élargissement de l’intérêt pour agir aux organismes environnementaux non gouvernementaux, assorti de moyens financiers comblés par des fonds environnementaux financés en partie par les dédommagements obtenus par des recours et la reconnaissance de droits procéduraux pour que l’individu puisse faire valoir ce droit de façon effective, en justice.»105 Bien que ces modalités du droit à l’environnement n’aillent pas, pour le moment, aussi loin que les théories de ceux pour qui, comme Stone, il (Contd.) les modes de production et de consommation non viables ». Par ailleurs, le chapitre 4 de l’Agenda 21 précise que des progrès peuvent être faits dans ce domaine en renforçant les tendances et orientations positives dans le cadre d'un processus visant à modifier sensiblement les modes de consommation des entreprises industrielles, des gouvernements, des ménages et des particuliers, afin d'utiliser les ressources de la manière la plus rationnelle et de réduire au minimum le gaspillage, Déclaration de Rio, supra note 3. 103 Vaillancourt, supra note 22, p. 24-27. 104 « Dans sa courte carrière comprenant à peine quelques décennies, le mouvement écologiste semble prendre une direction fondamentale qui s’écarte de plus en plus définitivement de l’écologisme profond. Gagné de manière très générale aux thèses qui ont été popularisées par la Commission des Nations Unies pour l’environnement et le développement, le mouvement écologiste s’oriente vers la recherche de la réconciliation entre les exigences du développement économique et celles de la sauvegarde de l’environnement», J. A. Prades, Éthique de l'environnement et du développement, Paris, Presses Universitaires de France, 1995. 105 A. Kiss et D. Shelton, International Environmental Law, 3e édition, New York, Transnational Publishers inc., 2004, à la p. 665 : « The third possibility is to formulate a new human right to an environment is not defined in purely anthropocentric terms, an environment that is safe not only for humans, but one that is ecologically-balanced and sustainable in the long-term ». Sophie Lavallée 20 faudrait reconnaître des droits aux arbres106, les dispositions qui les consacrent et l’interprétation progressiste que pourrait en faire les tribunaux pourrait tout de même contribuer à une meilleure protection de la capacité de charge de nos écosystèmes, comme le principe de durabilité véhiculé dans la Charte mondiale de la nature de 1982 le commande ? Conclusion Concept systémique, le développement durable, défini en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (Rapport Brundtland, 1987) a fait l'objet d'un consensus à l'échelle internationale qui a pris la forme des principes de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, en 1992. Signe manifeste de l’importance de ce concept en droit international, le préambule de l’Accord de Marrakech créant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) réfère au développement durable. Le développement durable est un concept qui est certes rassembleur, en dépit ou en raison du flou conceptuel qui le caractérise. Une panoplie de courants conceptuels peuvent en effet être identifiés, tant dans les traités et la soft law (« source » du droit qui joue un rôle primordial dans la réception juridique du concept) que dans les travaux doctrinaux. Nous avons expliqué qu’il est toutefois possible de distinguer deux courants majeurs, dont l’un correspond à une conception anthropocentrique (Rapport Brundtland, 1987 ; Déclaration de Rio, 1992), appelé aussi durabilité faible (Weak Sustainability), tandis que l’autre correspond à une conception écocentrique (Charte mondiale de la nature de 1982), appelé aussi durabilité forte (Strong Sustainability). Selon la conception faible ou anthropocentrique, le développement durable permet de concilier les trois intérêts - économiques, écologiques et sociaux - perçus comme antinomiques. Cette conception tolère, dans des proportions variables selon les sous-courants, des développements considérés comme non durables, chacun des trois intérêts étant jugés d’égale valeur pour l’homme. Selon la conception forte ou écocentrique, le développement n’est durable que si, dans la poursuite des intérêts sociaux par le recours aux moyens économiques, les limites écologiques sont respectées. Selon cette conception, le respect des limites écologiques est central pour le maintien de notre cadre de vie. De plus, l’économie n’étant pas une fin en soi, elle doit servir le bien-être de tous les humains. S’il est vrai que le modèle anthropocentrique du développement durable, tel qu’il a été popularisé par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, en 1987, dans Our Common Future (Rapport Brundtland), ne hiérarchise pas les trois volets de ce concept – économie, environnement, social - et que les instruments juridiques qui permettent de l’opérationnaliser penchent conséquemment trop souvent en faveur des intérêts économiques, nous ne pensons pas qu’il faille pour autant mettre de côté le concept lui-même mais plutôt qu’il faille impérativement travailler à construire un droit «du développement durable» qui mette de l’avant la conception forte du développement durable en redonnant au principe de durabilité la place centrale qui lui revient. La durabilité n’est-elle pas «l'une des idées les plus anciennes de l'héritage humain ?»107 La formulation d’un droit fondamental «à la durabilité» plus éthique et plus collectif, garanti non seulement à titre individuel mais pour des peuples entiers, devrait être considéré, à l’exemple de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et en s’inspirant pour ce faire de la Charte de la Terre de 2000. D’une part, si seule la dimension individuelle des droits de la personne peut être protégée, cela peut être un facteur de régression sociale puisque dans cette perspective, le pouvoir «judiciaire» ou un comité des droits de l’homme peut empêcher l’État de violer le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité mais il ne peut pas améliorer le sort des démunis ou de l’environnement. En effet, les droits individuels de la personne ne peuvent 106 Stone, supra note 12. 107 Opinion séparée du juge Christopher Weeramantry dans l’Affaire Gabcikovo-Nagymaros, supra note 13. Un Développement Durable sans Justice « Ecologique » ? 21 qu’empêcher le pire mais ne sont gage d’aucun progrès social : «S’ils sont parfois des instruments de libération, les droits individuels de la personne peuvent aussi, dans d’autres circonstances, être des instruments de domination dont savent se servir habilement ceux qui sont déjà en position de force afin de favoriser la régression sociale. L’apologie des Chartes est en réalité un discours à double signification. D’un côté, elle veut prévenir l’intolérable pour la personne, comme la torture, de l’autre elle est l’alibi en or d’un libéralisme économique qui se satisfait pleinement de l’inaction gouvernementale. »108 D’autre part, la reconnaissance d’un droit à la durabilité, fondé sur le dommage écologique et la reconnaissance de la valeur de la «communauté de vie» sur terre, comme le fait la Charte de la Terre de 2000, pourrait permettre de faire contrepoids aux droits économiques tels que le droit à la propriété, et ainsi devenir un facteur de progrès pour le monde vivant humain et non humain. Sa reconnaissance nécessiterait toutefois une redéfinition des rapports entre l’individu, la société et l’État, et une redéfinition de nos rapports avec la nature qui met directement en cause le libéralisme individualiste de nos sociétés. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que les pays occidentaux, qui ont beaucoup de difficulté à souscrire aux idéaux véhiculés par les droits économiques et sociaux de la deuxième génération des droits de l’homme, soient plutôt silencieux sur la garantie d’un droit «à l’environnement»,même anthropocentrique. Il faut bien reconnaître que le droit à l’environnement s’inscrit dans la logique de la démocratie participative, condition d’opérationnalisation du développement durable109 et que si la majorité des États sont d’accord avec le concept affirmé à Rio de Janeiro en 1992110, il y a toutefois encore beaucoup de chemin à parcourir avant que des politiques économiques conséquentes ne soient élaborées. Cela ne doit pas surprendre puisque le développement durable implique pour le Nord l’élimination des moyens de production et de consommation non durables et, pour le Sud, la promotion de politiques démographiques appropriées. Il semble qu’il soit maintenant temps de regarder le chemin parcouru, de réfléchir aux actions à prendre et de prendre conscience que, plutôt que de garantir un droit de l’homme à l’environnement, anthropocentrique, il est nécessaire de garantir un droit fondamental à la durabilité pour assurer le bien-être de toutes les espèces vivantes, humaines ou non-humaines. Ce droit, finalisé, tendra enfin à une transformation des modèles qui gouvernent nos sociétés. Une telle avancée, transversale, pourrait embrasser les différentes branches du droit international, les droits régionaux et nationaux. C’est à cette condition seulement que le concept du développement durable pourrait être un concept global et intégrateur car le développement ne peut plus être poursuivi indépendamment de la préservation de la base des ressources naturelles, au risque de se retrouver bientôt dans un monde sans être humain ou sans ressources naturelles. 108 H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel, 4e édition, Cowansville, Yvon Blais, 2002, aux p.880-881. 109 Commission des droits de l’homme, « Promotion et protection des droits de l’homme, science et environnement », dans Les droits de l’homme et l’environnement en tant qu’éléments du développement durable, Rapport du secrétaire général, ECOSOC, E/CN.4/2004/87, 6 février 2004. Voir généralement Michel Prieur, Droit de l’homme à l’environnement et développement durable, 2005, en ligne : francophonie-durable.org http://www.francophonie-durable.org/documents/colloque-ouaga-a5-prieur.pdf. 110 Déclaration de Rio, supra note 3, Principe 4 : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément ».