Miranda, 13 | 2016 Miranda Revue pluridisciplinaire du monde anglophone / Multidisciplinary peer-reviewed journal on the English- speaking world  13 | 2016 Thomas Spence and his Legacy: Bicentennial Perspectives Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen to Me (G. Stein, E. Morin) Entretien avec Lise Avignon et Emma Morin Emeline Jouve Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/miranda/9482 DOI : 10.4000/miranda.9482 ISSN : 2108-6559 Éditeur Université Toulouse - Jean Jaurès Référence électronique Emeline Jouve, « Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen to Me (G. Stein, E. Morin) », Miranda [En ligne], 13 | 2016, mis en ligne le 23 novembre 2016, consulté le 16 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/miranda/9482 ; DOI : https://doi.org/10.4000/miranda. 9482 Ce document a été généré automatiquement le 16 février 2021. Miranda is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License. http://journals.openedition.org http://journals.openedition.org http://journals.openedition.org/miranda/9482 http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen to Me (G. Stein, E. Morin) Entretien avec Lise Avignon et Emma Morin Emeline Jouve Lisa Avignon : Biographie [Figure 1] Lise Avignon, Le monde est rond. Coline Lubin Biographie : 1 Née à Toulouse en 1976, Lise Avignon se forme au Conservatoire National de Région de Toulouse puis à L'Oeil du Silence (centre de mimodrame contemporain dirigé par Anne Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 1 Sicco). En parallèle, elle poursuit des études en littérature anglaise. S'ensuivent quelques années d'expériences extrêmement variées, avec des compagnies entre Bordeaux, Toulouse et Montpellier. 2 En 2003, une rencontre décisive vient chambouler sa pratique : elle suit une série de stages avec Delphine Eliet, membre fondatrice de la cie Nordey et actuelle directrice de l'Ecole du Jeu à Paris. Elle appréhende là des outils qui ne la quitteront plus et une manière de poser le corps au centre de tous les apprentissages. Elle garde de ce moment un goût bien précis de ce que peut être, sur scène, la liberté et la joie. 3 Entre 2003 et 2008 elle travaille pour et avec Bernard Guittet au sein du GATT, groupe de recherche orienté sur l'élaboration d'une théâtralité radicalement contemporaine appuyée sur un renouvellement du jeu de l'acteur. Ces recherches donnent lieu à des performances publiques, séminaires, conférences-spectacles et créations. Elles constituent un socle fort sur lequel se construit la suite de son parcours. 4 Elle a joué des auteurs tels que Shakespeare, Botho Strauss, Tchekhov, Duras, Strindberg, Tarkos, Brontë, Llamas ; a travaillé régulièrement avec des danseurs, des musiciens, des psychotiques ; a écrit des textes pour certains projets, notamment lors de résidences à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. 5 Elle est depuis 2008 étroitement liée au théâtre Le Hangar (Toulouse) et à la compagnie Lohengrin : elle participe en tant que lectrice au cycle Histoires d'Art impulsé par Laurence Riout et joue plusieurs spectacles sous la direction de Didier Roux. Avec ce dernier elle s'engage activement dans des recherches dont émerge une pratique nommée Déplacement d'Objets, travail d'actions, d'espace et de temps à la frontière de la danse, situé résolument en dehors de tout souci de narration. 6 En 2012, afin de développer son propre travail, elle monte la cie Cristal Palace. Son premier spectacle, Le monde est rond, adaptation du livre éponyme de Gertrude Stein dont elle est à la fois metteur en scène et interprète, est créé en avril 2014 à Toulouse. 7 Depuis 2006 elle intervient comme metteur en scène et/ou pédagogue pour différentes structures (scène nationale, théâtres indépendants, centre de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, institut médico-éducatif, conservatoire de musique...) et pour différents publics. Depuis 2012 elle dirige régulièrement des stages pour jeunes comédiens et intervient, à la demande, pour des compagnies professionnelles. Elle est intervenante au sein de la formation professionnelle Présences d'Acteurs, au théâtre Le Hangar à Toulouse. 8 Dans ces cadres elle développe un travail bien spécifique sur la naissance de la parole, autour de la notion d'endophasie – littéralement langage intérieur. 9 Sa pratique articule ainsi jeu, recherches et pédagogie. Le théâtre qu'elle défend est poème, musique ou paysage de mots et de corps. Elle aime les acteurs, la forme de liberté qui peut être la leur et leur capacité à être non seulement interprètes mais bien écrivains de plateau. Pour plus d’informations : http://lemondeisround.blogspot.fr/ Emma Morin : Biographie Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 2 http://lemondeisround.blogspot.fr/ [Figure 2] Emma Morin, Listen to Me Carole Cheysson Biographie : 10 Formée au violon et à la danse classique, Emma Morin commence à travailler comme comédienne au théâtre, avec Madeleine Marion, Dominique Frot et Christian Rist, avec lequel elle créera Le Studio Prosodique. 11 Invitée en résidence dans le cadre des rencontres pluridisciplinaires du Centre d'Art du Domaine de Kerguéhénnec, elle participe à différentes réalisations – lectures, pièces sonores, diaporama, expositions, films. 12 Pour France Culture elle enregistre trois ateliers de création radiophonique consacrés à Dante, Tarkovski, et Le Corbusier. 13 En 2005, elle crée et joue avec le danseur Sylvain Prunenec et Christian Rist, Rimbaud illuminations, fragments improvisés, puis accepte la direction de la pratique d’élèves de terminales Théâtre dans un lycée parisien. 14 En 2008 avec Manon Avram et le collectif KO.Com elle s’engage pour trois créations entre Marseille, le festival des Arts de Malte et Charleroi Danse, 8 minutes de pose I et II, et La ville dans les plis. 15 Parallèlement elle travaille avec des musiciens et enregistre pour les compositeurs Mikael Nyvang (Te quiero, Vers l’arête) et Sébastien Roux Revers ouest. 16 Avec Philippe Grandrieux elle tourne Grenoble, film/installation sonore et visuelle. 17 En 2008 elle rejoint le collectif Les Possédés dirigé par Rodolphe Dana pour la tournée du Pays Lointain de Jean-Luc Lagarce. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 3 18 Accueillie en résidence à La Fonderie/Le Mans elle crée en 2009 Listen to Me, une pièce avant les actes, de Gertrude Stein (Théâtre de La Bastille Paris, de Nîmes, Garonne Toulouse, Espaces Pluriels Pau, L’Avant scène Cognac, L’Académie royale de La Cambre Bruxelles), et en 2011 Nothing to do - textes de Pascalle Monnier (Théâtre de La Bastille Paris, de Nîmes, Garonne Toulouse ). 19 Simultanément, elle réalise pour l’artiste Julien Bismuth des performances tant corporelles que sonores (Galerie Valois/Paris 2009, CAC La ferme du Buisson/Noisiel), et propose une lecture d’Un léger défaut d’articulation de Stéphanie Chaillou. 20 De 2011 à 2014 elle assiste le metteur en scène Pierre Meunier à la dramaturgie de Du fond des gorges, et joue pour lui Molette et Vloum dans deux productions Jeune Public . 21 Ces dernières années elle intervient en atelier au centre pénitentiaire de Nîmes, quartier des hommes, avec Poèmes de Samuel Beckett, lit pour Pascale Petit à La Maison Aragon Triolet, et en 2016 met en scène le texte inédit de l'artiste sculpteur graveur Anton Prinner La femme tondue. 22 Pour plus d’informations : www.lecerclenombreux.jimdo.com Entretien Emeline Jouve : Il était une fois Gertrude Stein... Emma, Lise, quel fut votre première rencontre avec Stein ? Emma Morin : Une table de présentation des dernières éditions dans une librairie ; un livre ni carré ni rectangle dont la couverture est moitié blanche moitié bleue : Tendres boutons, Stein. J'ouvre :"... un silence n'est indiqué par aucun mouvement, moins est indiqué par un mouvement, plus n'est pas indiqué il est séduit. Si maussade et si bas, tant de résignation, tant de refus et de place pour un haut et un bas, tant et plus de silence, pourquoi un haut et un bas, tant et plus de silence, pourquoi un haut fait ne dort-il pas pourquoi n'est-il pas et quand y a-t-il décharge quand. Jamais ..." Je ne comprends pas mais j'entends la voix qui dit ; quelque chose s'arrête en moi stupéfaite. Une nomination inouïe des choses, une écriture fulgurance, en avance sur moi, une écriture venant de devant, du loin devant, qui parle au texte. Je suis sortie avec le livre et très vite ai appelé l'éditeur pour avoir le contact du traducteur. Naît alors un mouvement de travail vibration Gertrude Stein. Lise Avignon : En répétition dans un théâtre, une personne de l'équipe a laissé un livre dans les loges. J'ouvre, je lis, à la dérobée. C'est la première page de Le Monde est rond. c'est tellement simple, c'est pas si simple / ça me déplace, ça me replace / enfin ! / c'est évident / ça me surprend / ça me suspend / ça m'accélère / c'est ce que j'ai toujours voulu lire / Des gens rentrent, je referme le livre. Dix ans plus tard, la nuit. J'en ai marre, je veux faire ce que je veux. Je vais faire un spectacle, et je vais travailler avec Le monde est rond. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 4 J'ai décidé de travailler sur, avec Gertrude Stein alors que je n'avais lu que la moitié d'une page d'un de ses livres. Quand, enfin, j'ai lu Le Monde est rond en entier - d'une traite et à haute voix - j'ai pleuré sans savoir pourquoi. E.J. : Ces premières rencontres avec l'auteur semblent avoir en commun l'incompréhension ou plutôt l'incompréhensible. Emma, vous dites ne pas "comprendre" la voix de Tendres boutons mais vous l'entendez ; Lise, vous pleurez à la lecture de Le Monde est rond "sans savoir pourquoi." Qu'est-ce qui animent des femmes de plateau comme vous à aller vers un texte qui, à la première lecture, "ne fait pas sens" ? Lise Avignon : C'est une écriture en prise directe avec de l'innommable. De l'indicible. Ca touche l'indicible de mon corps, de mon être au monde. C'est très précis, ça. Je pense que c'est ma matière de base de comédienne : ce que le langage ne peut recouvrir. Je crois que c'est ce qui fait que le théâtre m'est nécessaire. Dire, avec des mots qui ne sont rien mais sont tout ce que l'on a. Qui n'expliquent pas. Va t'en expliquer une musique, une couleur. Va t'en expliquer une personne !... Ne pas comprendre ne m'a jamais posé problème. Chez Gertrude Stein, je sens d'abord le rythme. Et puis Stein, elle insiste. Alors à force quelque chose cède. Se défait. Ca finit par toucher quelque chose d'irréductible, que je connais de très loin (intimement de très loin !) et qui ne m'appartient pas, quelque chose que j'ai envie de protéger et de chérir. J'avais ce sentiment-là, pendant les répétitions, de travailler avec une matière que je ne voulais pas abîmer. Paradoxalement j'ai eu la sensation que ça me rendait très libre. Peut-être aussi parce qu'elle ne te dit jamais que "c'est comme ça et pas autrement"... Comment pouvez-vous dire si une cloche est une cloche ?... pas de prise de pouvoir, ni sur les êtres, ni sur les choses. En fait, c'est l'inverse d'un langage "de communication". Emma Morin : Je n'ai pas compris ce que je lisais mais j'entendais la voix du texte en train de me parler, j'entendais l'écriture dialoguer avec le texte, comme si l'écriture était en train de formuler la parole du texte, comme s'il y avait 3 dimensions la table d'écriture - le texte - la voix du texte. Une chose très active, pleine de célérité et de blancs aussi. Quelque chose en train d’interroger-placer-chercher-déformer- questionner-former-déplacer des sons et des idées. Les premières lignes de Stein ont profondément et fondamentalement fait sens pour moi. Et ce bien au delà d'une compréhension narrative, qui d'ailleurs ne m'a pas manquée et n'a fait qu'aiguiser mon attention et acheter le livre. Et je trouve que Stein fait sens dans ce sens qu'elle éclaire l'invisible dans sa concrétude, et le concret dans son invisible ; elle dit ce qu'elle est en train de dire, elle capte l'insondable d'une pensée en train de se faire, un mouvement dans ses diffractions les plus infimes. C'est un autre sens, fait d'une multiplicité de sens en expansion. La poésie ne fait pas sens pour moi, justement elle délie le sens. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 5 Anime, c'est un bon mot, Emeline, pour moi : l'écriture de Stein anime, met en branle, active, décuple la vibration voix /corps / espace. La théâtralité est imprimée dans la sonorité de l'écriture, et la lettre agit d'elle-même dans l'espace dès lors qu'un corps s'en fait l'émetteur. Cet élan m'a tout de suite fait dire, instinctivement j'ai lu à haute voix car on entend ce qui est dit quand on lit Stein à haute voix : le texte existe dans un absolu quand il est dit, il y a une évidence et un jaillissement alors, qui donnent l'ampleur. L'oralité est constitutive du travail d'écriture, il me semble pour beaucoup de ses écrits. Et puis ludique et joueuse et rieuse et espiègle et sérieuse, cherchant à nommer pour chaque chose, ce qui, par essence, échappe aux mots. D'où le désir instantané du plateau. E.J. : Ce désir que Stein a éveille en chacune de vous, comment se concrétise-t-il à l'issue de votre première rencontre avec l'auteur ? Emma, vous contactez très vite le traducteur et l'éditeur de Tendres boutons : comment réagissent-ils ? Lise, suite à votre lecture si bouleversante de Le Monde est rond, quelles furent les démarches que vous avez entreprises pour monter le texte ? Pouvez-vous, chacune, revenir sur la mise en place du projet ? Emma Morin : l'éditeur m'a communiqué le contact du traducteur qui est resté très froid et n'a montré aucun intérêt à mon projet. J'ai donc cherché un autre interlocuteur et ai très vite trouvé Marc Dachy. Je l'ai joint, il a accepté de me rencontrer, et lors de ce rendez-vous m'a donné son avis : Tenders Boutons est un mauvais choix, ce texte est " intraduisible " et trahirait l'écriture de Stein. Il m'a demandé alors de lire les premières pages d'un manuscrit inédit Listen to Me, une pièce avant les actes, et je suis repartie avec. A ce moment ont commencé les lectures, explorations, mémorisations du texte, je promenais dans le texte, seule pendant des heures, puis la mémoire a fait son chemin et je le marchais par bout dans la ville, toujours seule et puis, ensuite avec une oreille, un répétiteur complice. Nous nous donnions rendez-vous chez lui et je déroulais ce que je savais encore et encore, assez vite dans l'intégralité, encore et encore. L'univers artistique des années de l'époque du texte - 1936, la place de la peinture, la vie de Stein en même temps, la littérature et la poésie de l'époque, Lectures en Amériques ... C'était ma première réalisation personnelle, un solo puisque c'est un texte pour une voix. J'ai obtenu une résidence d'une semaine à La Fonderie Le Mans, et suis partie avec un éclairagiste ; nous avons présenté à l'équipe les 20 premières minutes du texte et avons été invités à revenir poursuivre la recherche. A commencé une longue attente pour l'obtention des droits de représentation avec les héritiers américains. Devant cette difficulté, nous avons avec Marc Pérennès monté une compagnie afin d'assumer la responsabilité des représentations. Il assure depuis l'administration du Cercle Nombreux. Le travail s'est étalé sur trois années et demie, avec 4 résidences plateau d'une semaine et un travail parallèle permanent. La création a eu lieu à La Fonderie. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 6 Nous avons obtenu les droits deux jours avant de jouer au théâtre de La Bastille à Paris et ainsi avons pu tourner la pièce en toute légalité. Est-ce que cela répond à ta question ? E.J. : Oui, merci Emma ! Lise ? Lise Avignon : Il me semble important de dire que ce qui a été premier, pour moi, ce n'est pas le choix de Stein mais la décision de faire mon propre spectacle. Cela vient dans un contexte où, en travaillant pour d'autres, j'entendais sans cesse une petite voix intérieure qui voulais autre chose, sentais, pensais autre chose... A l'instant où j'ai pris cette décision, Stein s'est imposée. Ce qui est étrange, c'est d'avoir décidé de travailler sur Le Monde est rond alors que je n'en connaissais que quelques lignes, avant même cette lecture bouleversante dont tu reparles, Emeline... C'est important, parce qu'au départ ce n'est pas tant "monter Stein" que mettre en scène une rencontre - entre cette langue et moi. J'avais envie d'un certain type de théâtre, d'un certain rapport à l'espace, au jeu et à la langue, et il allait falloir voir si entre Stein et moi ça marcherait... qu'est-ce qu'elle accepterait de moi, qu'est-ce que j'accepterais d'elle... Il y avait juste cette intuition, qu'elle pouvait m'emmener là où je voulais aller. Donc, après cette décision, j'ai acheté Le Monde est rond et j'ai pris mon agenda. J'ai fais en sorte de réserver 10 heures par semaine pour ce projet, pendant les cinq mois à venir. J'ai commencé par lire le texte à haute voix, ça m'a fait pleurer (j'ai beaucoup pleuré, en fait, tout au long de ce travail). Et puis j'ai relu encore. Parallèlement, j'ai pris un cahier et j'ai commencé à écrire. Des mots, jetés : sur le texte, sur ce que j'aimais au théâtre, sur ce que je ne voulais pas, sur des films que je voyais, la musique que j'écoutais à la même époque, sur des souvenirs, sur comment s'organiser concrètement pour monter un spectacle... Pendant cinq mois, 10 heures par semaine, j'ai fait ça. Lire et relire le texte, et puis écrire, jeter des mots sur tout ce que je traversais en lisant. Je me suis mise à me renseigner sur Gertrude Stein, à écouter des enregistrements de sa voix, à lire des choses sur son travail. Et toujours, je notais, dès que quelque chose m'intéressais, m'éclairait ou me questionnait. Très vite je me suis mise à lire le texte en anglais, et puis à voir ce qui changeait quand je disais en anglais ou en français. En anglais c'était tellement plus juste ! ! ! Et puis il y avait les chansons que chante Rose. Très très subjectivement, j'ai cherché quelles musiques j'avais envie d'écouter, qu'est-ce qui pour moi allait bien avec tel ou tel moment du texte. J'ai passé tout un temps à écouter diverses formes de litanies. J'ai réécouté beaucoup Patti Smith, surtout quand elle dit des poèmes. Tout doucement s'est insinuée une envie d'un travail très musical, avec une bande son assez présente, et un travail sur le texte allant chercher du côté de la poésie sonore... J'avais envie, à cette époque, de prendre beaucoup de libertés. J'y allais prudemment, mais ce texte semblait autoriser beaucoup de choses... j'ai vite eu l'impression de dialoguer avec un matériau qui tout en étant très fort permettait beaucoup... quelque chose de très rigoureux et de très généreux. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 7 Toujours parallèlement aux lectures (à voix haute, à mi-voix, murmuré, à ma table ou bien dehors, dans des parcs ou tournant dans mon appartement, ou au bord de la mer...), je me suis renseignée sur des points précis qui me posaient question. Sur le cubisme. Grande question : en quoi l'écriture de Stein est-elle liée au cubisme ? Ce qui m'a amenée à chercher de plus près du côté de la question du point de vue. Un scientifique m'a fait une histoire du point de vue en sciences physiques de l'Antiquité à nos jours. J'ai aussi ouvert des bouquins de linguistique, j'avais des questionnements liés à la temporalité, entre autre... Je me suis beaucoup renseignée, mais sans rien résoudre, je n'ai jamais voulu m'expliquer ce texte. Ces recherches sont en moi quelque part, nul doute qu'elles m'ont influencées mais je les ai oubliées. Je suis toujours revenue au texte pur, au mouvement - pensée du texte, à la voix qui parle par-à travers-avec-derrière-devant ces mots. Bon, ces 5 mois passés, j'avais un peu plus de temps devant moi. Oui, parce qu'en même temps, je travaillais beaucoup pour pouvoir me permettre de passer du temps à travailler sans argent. J'avais donc deux mois pleins devant moi. Je suis allée voir Jean-Claude Bastos, qui dirige La Gare Aux Artistes, juste à côté de Toulouse. Je lui ai parlé de mon projet et lui ai demandé une résidence. Il m'a dit : "Si tu veux tu peux venir travailler ici pendant un mois et demi." Normalement, ils demandent un peu d'argent pour l'utilisation du lieu, mais là il m'a accueillie gratuitement ("t'as pas d'argent, et alors ? tu viens travailler quand-même"). J'ai travaillé toute seule - parfois avec une caméra. J'ai un souvenir extrêmement heureux de cette période. Au bout d'un mois et demi j'avais une première ébauche de spectacle. J'ai demandé à Didier Roux, metteur en scène avec qui je travaille souvent, de venir voir. Suite à cette première rencontre, il s'est associé au projet, lui et la structure qu'il coordonne, le théâtre Le Hangar. J'ai refait des résidences, encore un mois et demi. On a commencé assez vite, avec Serena Andreasi, à travailler sur la lumière. Je la payais avec mon argent personnel, économisé sur ce que je gagnais par ailleurs. J'ai commencé à courir et à prendre des cours en technique vocale : ce spectacle allait me demander plus d'endurance physique et plus de souffle que je n'avais, et une bien meilleure connaissance au niveau voix et chant. Un peu plus d'un an après le tout début du projet, on a montré le spectacle à l'état de "maquette," comme on dit. Trois fois, à la Gare Aux Artistes. J'ai également montré un extrait, les 20 premières minutes, lors de la présentation de saison du Théâtre du Pont Neuf, théâtre toulousain qui allait accueillir la création du spectacle, encore un an après. Ont suivi encore d'autres périodes de résidence, toujours accompagnée principalement par Didier Roux et Serena Andreasi. Deux mois, en tout, si je me souviens bien. J'ai monté des dossiers pour demander des subventions à la mairie et au Conseil Général. J'ai obtenu en tout 2 500 euros ce qui, vue l'économie qui est la mienne, m'a soulagée considérablement. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 8 Pour les droits d'auteur ça a été facile, en revanche il y avait les droits des traducteurs. ça m'a amenée à prendre contact avec les éditions Esperluète, petite maison en Belgique. Anne Leloup (la directrice) et Anne Attali (la traductrice) m'ont donné toute licence pour utiliser cette traduction, sans contrepartie. Deux ans et trois mois après le tout début du projet, nous avons créé le spectacle. Au Théâtre du Pont Neuf, puis au théâtre Le Hangar, tous deux sur Toulouse. C'était en avril - mai 2014. E.J. : Le Pont Neuf et le Hangar vous ont donc suivis dans cette belle aventure ! L'écriture de Stein fait souvent peur : ces deux lieux ont-ils accepté de suite ou a-t-il fallu les convaincre, Lise ? Lise, Emma, avez-vous dû rassurer votre entourage artistique quant aux projets ? Ont-ils compris de suite votre désir de monter ces textes d'une auteur réputée comme difficile ? En d'autres termes, moins politiquement (et artistiquement) corrects : a-t-il était facile d'obtenir du soutien (de la part des financeurs et des théâtres) pour vos projets respectifs ? Lise Avignon : L'équipe du théâtre Le Hangar connaissait et aimait l'écriture de Stein et a montré immédiatement un intérêt pour mon projet. Ils m'ont soutenu dès que je les ai sollicités (accueil en résidence, aide administrative). Plus tard ils m'ont aussi programmée, après avoir vu une étape de travail. La Gare aux Artistes, pareil. Eux n'avaient jamais lu Stein mais ont été vivement intéressés. Et puis, ils me connaissaient et avaient envie de me faire confiance, je crois. Après avoir vu une étape de travail ils ont été carrément enthousiastes, touchés. Pour les autres, ça a été plus compliqué. Pour le Théâtre du Pont Neuf, je crois que c'était plus dû au fait que c'était mon premier spectacle qu'au choix de l'auteur. Ils m'ont fait une première proposition que j'ai refusée car je ne la trouvais pas digne de ce que j'avais à proposer. Après cela ils m'ont fait une autre proposition que j'ai pu accepter. J'ai été accueillie en résidence et pour la création du spectacle, avec un tout petit peu d'argent (de quoi faire 3 cachets en tout). Mais ça a été pour une période moins longue, et pour jouer moins que les autres compagnies en résidence ! Finalement, ils ont été ravis, et je crois qu'ils sont rentrés sans mal dans l'écriture de Stein. L'équipe du Théâtre du Grand Rond était, je crois, partagée sur cette écriture. Ils ont accueilli le spectacle dans un temps à part, un peu en dehors de leur programmation habituelle. J'ai eu plusieurs discussions avec l'un des principaux coordinateurs du lieu qui m'avouait être franchement dérangé par ce texte. Il me disait que ça le gênait, qu'il ne savait pas comment l'appréhender : "Avec ce texte je sais pas où je suis. Je ne peux même pas me dire que c'est un univers absurde, ce qui d'une certaine manière m'arrangerait !" C'est une parole que j'ai retrouvée chez certains spectateurs : "univers spécial", "on comprend rien", "mais alors, c'est un conte ou pas ?"... Et chez d'autres, enthousiasme, enthousiasme, émotion... Quand la rencontre se fait, qu'est-ce qu'elle est belle. Pour ce qui est du soutien financier, de la part des institutions, je n'ai pas eu l'impression que Stein posait problème. Ils ne connaissaient pas mais se montraient Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 9 assez vite intéressés. Après, on reste dans le cadre d'un premier projet avec une demande d'argent extrêmement modeste... Pour ce qui est de la programmation, en revanche, oui, Stein fait peur. Certains programmateurs m'ont dit avoir aimé le spectacle et l'écriture, mais n'être pas sûr de pouvoir proposer ça à leur public. La plupart de ceux qui vont me programmer dans les temps qui viennent sont en mesure de défendre eux-même cette écriture, et aussi la question de la poésie, et d'un théâtre pas forcément centré sur la représentation et le personnage (oui, ça fait longtemps que le théâtre a évolué, mais pourtant !). Emma Morin : Pour ma part personne ne m'a rassurée jamais nulle part. Soit les gens ne connaissaient pas, soient ils pensaient connaître et me ne comprenaient pas ce choix. Stein ? Une intellectuelle, pénible, compliquée, homosexuelle grosse, disgracieuse, "prise de tête", qu'il n'y avait pas d'intérêt à faire entendre. C'est ce que j'ai beaucoup entendu. A croire que Stein était vraiment trop moderne pour ce milieu ? Je suis totalement d'accord avec Lise sur la plus que relative évolution du théâtre public en France ; et il me semble que pour assister à des représentations qui engagent plus que la tête raisonneuse et raisonnable, il faut se tourner vers les compagnies étrangères. En tout cas je n'ai trouvé d'écho spontané qu'en dehors du théâtre, auprès de personnes connaissant sa relation à l'art et sa collection personnelle. Il y a une exception c'est Michel Vincennot qui dirigeait Espaces Pluriels théâtre Saragosse de Pau, qui m'a reçue en rendez-vous sans me connaître et sans passe droits, et qui, fervent lecteur de Stein, a décidé de programmer sans avoir rien vu du travail de cette première mise en scène, ni de moi comédienne. Il était très excité d'offrir à "son" public cette proposition, et nous avons échangé dans la joie, la fluidité et le bonheur de Stein. J'ai réfléchi et organisé la lecture conférence en amont, 1h entrée libre pour toute personne venant voir le spectacle ou pas, Michel m'a demandé un atelier de 2 jours autour de la poésie, et je suis allée présenter l'oeuvre aux lycéens qui allaient venir. Les deux représentations ont été un succès : le public était heureux, en contact avec un inconnu ludique, vif, énergétique, profond, lumineux. Par la suite Michel a influé personnellement pour ma programmation au Théâtre de Cognac, scène conventionnée danse : plus qu'à un lieu, s'adresser à des personnes capables de vraie curiosité artistique. Pour ce qui est du soutien financier je n'en n'ai eu aucun. Parce que j'ai toujours travaillé dans le réseau du théâtre public, j'ai sollicité les scènes nationales et CDN. J'ai constitué et déposé une demande de subvention à la DRAC île de France : bien que cette institution n'allouait pas d'aide à une première mise en scène, mon dossier est passé une seconde fois en commission parce que le texte les intéressait, mais ils n'ont finalement pas dérogé à ce principe. Nous avons travaillé 3 années sans le moindre salaire ni argent pour quoi que ce soit : décor costume administration. J'ai même au contraire, assuré le minimum personnellement : billets de trains, bus, repas pendant les résidences de travail. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 10 De fait chercher un financement est un métier qui n'est pas le mien et où je n'ai pas brillé. Mais, surtout, l'existence de cette création est indissociable du travail de La Fonderie Le Mans, qui m'a accueillie une première fois en résidence d'une semaine et ne m'a ensuite jamais lâché la main. La Fonderie est un espace colossal - + de 3000 m2, 2 plateaux, 1 auditorium, une salle de musique, une salle verrière, 15 chambres, cuisines et sanitaires, bureaux, atelier de construction - dirigé par François Tanguy et Laurence Chable : c'est le fruit de 30 ans de travail de la compagnie du Radeau et de la volonté de ces deux personnes que le lieu de recherche - répétition soit incessant, ouvert à d'autres, espace d'échange et de mise en commun perpétuel. Après cette première résidence, j'ai eu la sensation que quelque chose était concrètement lancé, sortait de la chambre, du salon, du privé. "Je n'ai pas compris mais j'entends !" et "comment faîtes - vous ?" sont les phrases qui me seront désormais les plus dites. Le Théâtre de La Bastille à Paris a programmé une lecture publique du texte en 2005, puis le spectacle dans sa première édition du Festival Hors - série, 2008 : Bastille avait le désir d'ouvrir sa scène a des formes "émergentes", Stein était émergente... E.J. : Revenons sur les textes de Stein que vous avez montés. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez appréhendé le passage du texte au plateau ? Vous avez chacune joué vos propres mises en scène des textes de Stein. Vous nous expliquiez que vous cherchiez chacune des textes à interpréter mais pensez-vous que ces textes se prêtaient tout particulièrement à un travail solitaire, de soi à soi ? Emma Morin : Le travail d'intégration - mémorisation de Listen to Me a pris du temps et comme je n'avais pas d'espace pour travailler, il a peuplé mon appartement et les rues de Paris pendant un an. En entrant dans le texte ainsi, avec patience, lenteur, errance, sans aucun souci de résultat ou de deadline, apprenant le texte pour moi, l'espace s'est inscrit profondément : il était là, grand, très grand et le corps émetteur, dedans. Le corps n'est pas personnage, mais une voix cherchant à haute voix le théâtre : l'espace est dans le texte qui s'invente mot après mot. Le texte parle au texte, c'est comme un dialogue du texte avec lui-même. C'est quelqu'un qui écrit qu'il est en train d'écrire une pièce de théâtre : l'écriture parle avec celui qui écrit qui parle à l'écriture, et à la fin rien n'est arrivé, le théâtre n'a pas commencé, il est à venir. Je cherchais un texte pour un solo, que je puisse travailler seule, pendant un temps indéterminé ; la découverte du manuscrit m'a convaincue à la première lecture que l'écriture de Listen to Me m'offrait ce mouvement, cependant le passage du soi à soi, vers d'autres a exigé une oreille extérieure qui vagabonderait elle aussi dans ce mouvement. Il fallait éprouver et inscrire dans le travail, l'élan vers l'autre, la contagion de l'écriture qui peuple tout d'un coup le monde, inverse les perspectives et ouvre à une perception nouvelle. Il fallait que quelque part quelque chose s'entende : la mise en scène était la forme du partage, de la mise en circulation, et avec un tel texte il fallait déjouer les habitudes et réflexes du spectateur. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 11 Pour passer du texte au plateau, j'ai installé un "sas de décompression," décadré l'espace et le temps de la représentation, privilégié absolument l'appréhension de la perception, et chercher une forme qui ouvre à cette disponibilité. J'ai vidé le plateau, laissé la cage de scène à vue, utilisé un cyclo en fond de plateau, émetteur et réflecteur de lumières et de couleurs, et un écran 4X3m milieu plateau cour. La pièce commence avant l'ouverture public : le film d'Erwan Mahéo tourne projeté sur l'écran avant et pendant l'installation public. Un temps prolongé avec une œuvre muséale, dans une salle de théâtre. Le film La casa ideale est une respiration, un temps silencieux de vide, de blanc et de la lumière : dans l'atelier vide de Pier Paolo Calzolari le soleil va et vient. Un temps hors temps en fait, mis en commun dans une salle, comme une réunion avant que ça commence. Il continue après le noir salle un certain temps, le film est silencieux. Le texte arrive, le prologue est dit dans cette lumière du film, puis à l'acte 1 ça bascule. [Figure 3] La Casa ideale, film d'Erwan Mahéo Erwan Mahéo Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 12 [Figure 4] La Casa ideale, film d'Erwan Mahéo Erwan Mahéo Lise Avignon : Dès le départ j'ai envisagé le texte comme un matériau. C'est un texte "non théâtral", comme on dit, et le passage à la scène l'a passablement modifié : il y a des coupes, certains passages sont dits en anglais, d'autres sont répétés... L'adaptation s'est faite très lentement et toujours en fonction du concret du plateau : qu'est-ce que le plateau demande ? qu'est-ce que le texte accepte ? Prendre beaucoup de libertés avec un texte ne m'a jamais posé problème, paradoxalement, je crois que c'est parfois comme cela qu'on peut entendre. Je voulais autant monter Le Monde est rond que développer mon propre univers. Le travail a donc été de chercher l'endroit où, entre le texte et moi, ça se mélange. La manière de faire s'est inventée au fur et à mesure. J'étais sûre de ne pas vouloir représenter le texte, ni jouer Rose comme on jouerait un personnage. Le projet : se laisser traverser par une langue. Le point délicat : sans que jamais je ne joue Rose, que l'on puisse projeter, parfois, Rose en moi. Autrement dit, peut-être : que l'on puisse se laisser embarquer dans la fiction. Que ceux qui regardent et moi nous laissions peu à peu envahir par la langue et par la fable. Au début : lectures à voix haute, rêveries, documentation. Rose pense, pleure et chante des chansons, Willy aussi aime bien chanter... la question de l'invention des chansons s'est vite posée. J'ai essayé des choses et cela a ouvert une façon de travailler avec la musique, avec des fragments de musiques mis en boucle. La musicalité, les rapports texte-voix-son, cela est devenu un fil rouge. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 13 « DE LA RITOURNELLE I. Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s'arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s'abrite comme il peut, ou s'oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l'esquisse d'un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos. Il se peut que l'enfant saute en même temps qu'il chante, il accélère ou ralentit son allure ; mais c'est déjà la chanson qui est elle-même un saut : elle saute du chaos à un début d'ordre dans le chaos, elle risque aussi de se disloquer à chaque instant. Il y a toujours une sonorité dans le fil d'Ariane. Ou bien dans le chant d'Orphée. » Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille Plateaux Au bout de quelques mois a débuté le travail de plateau, toujours seule. Le premier jour j'avais d'une part le livre, d'autre part une liste de verbes et de questions (commencer / recommencer / quelque chose de merveilleux / plus on est près du but plus ça met du temps / mot et réalité : rapport impossible / revenir mais c'est toujours la première fois...) J'ai pris deux chaises et une table et, parfois le livre à la main, parfois avec les bribes restées dans ma mémoire, j'ai commencé à travailler les mots et l'espace. Quel espace pour ces mots ? Quand et comment ça change ? Quand l'espace fait changer les mots, quand les mots font changer l'espace, etc. Les chaises, la table, ma présence, statiques ou en mouvement : ce qui fait que l'espace se structure. Tant que je ne peux pas dire, tant que ma voix sonne faux : l'espace n'est pas trouvé, et cela n'a rien à voir avec une recherche de confort. L'espace : le vide entre les choses, et quand c'est juste c'est comme une traduction de l'espace intime que les mots ouvrent dedans. Comme des retrouvailles. Une fille, deux chaises, une table, plus tard s'est ajoutée une planche : toujours les mêmes choses jamais pareilles ; toujours moi, toujours les deux chaises, toujours la pulsation d'un rythme vital. D'une certaine manière, c'est un travail de variations, un travail à facettes. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 14 [Figure 5] Dessins de la Lune, par Galilée Galilée Au bout de deux mois, le squelette du spectacle était là. J'ai demandé à quelqu'un de venir pour voir ce qui se passe quand quelqu'un regarde. Deux trois fois, avec des personnes différentes. Il m'est apparu qu'il y avait encore un autre fil rouge, non formulé jusqu'alors mais essentiel : la notion de jeu. Non pas jouer le texte, mais jouer avec le texte. Jouer, éperdument, coûte que coûte, de tout mon être-chair-voix-mémoire. A partir de là la création a continué avec deux autres personnes. On a travaillé la lumière en cherchant le minimum d'effets, en allant vers une autonomie, une indépendance entre comédienne et lumière : quasi aucun "séquençage," une lumière qui ne souligne jamais les changements dans le texte ou dans le jeu. Comme base, on a voulu quelque chose de solaire, avec des intensités plutôt fortes, peu d'ombres (en deuxième partie du spectacle, ça change, ça devient plus nocturne). Et puis il y a, suspendues, des ampoules électriques. Pour le ciel, la fragilité, le scintillement, le merveilleux. Je ne m'appesantirai pas sur les conditions matérielles - pauvres, oui, on peut le dire ! - tant les nôtres que celles des lieux qui nous ont accueilli - mais je me dois de le mentionner car cela impacte forcément ce que nous inventons. Oui. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 15 En réalité je ne me suis jamais sentie seule, il y avait tant à rencontrer. L'inverse de l'ennui ! Il me semble que tout travail sur le langage demande de la solitude. Avec Stein, je suis renvoyée à la manière dont la parole se formule, se reformule, se dé-formule... Aux jeux et grincements qu'il y a entre la pensée et le dire, entre les mots et l'innommable. Cela résonne à un endroit profondément intime et oui, il me fallait dans un premier temps être seule pour être avec cette chose-là, très puissante mais très fugace, rapide comme les pensées. Dans Le Monde est rond, il y a aussi une fable : Rose qui escalade la montagne, toute seule, avec une chaise bleue. Être seule, poser dans le monde un acte personnel... faire un spectacle, ça me semblait être un peu ça. Une façon de se confronter à ce dont parle le livre. Si je traverse cette chose qui est "faire un spectacle toute seule", il se peut qu'il y ait un écho... le spectacle n'est pas une représentation, c'est une montagne. Et il faut que cela soit une montagne à chaque fois. Chaque soir. D'où le côté "performance", fréquemment souligné par rapport à ma proposition. E.J. : Emma, le théâtre est souvent considéré comme l'art de "l'ici et maintenant." Vous dites : "le théâtre n'est pas à commencer mais à venir" ; cette non-actualisation, ce devenir- icietmaintenant rompt avec l'approche traditionnelle des arts de la scène. Est-ce votre vision du théâtre, de la mise en scène des textes en général ou de ce texte de Stein en particulier ? Pouvez-vous revenir sur ce travail du "devenir-texte" sur le plateau ? Dans quel état ce jeu met l'actrice ou dans quel état doit se mettre l'actrice pour se rendre disponible à ce "devenir-texte" ? Emma Morin : théâtre n'est pas à commencer parce qu'il a commencé dès la première rencontre entre deux humains ; il est à venir parce qu'il se défait à l'instant même où il se fait, et qu'il est, de fait, incessamment à ré-inventer. Listen to Me, est au cœur de ce mouvement : après les derniers mots, "Rideau peut venir", le rideau - écrit à ce seul endroit en italique - cesse d'être personnage et naît concrètement comme rideau, il tombe et le théâtre peut commencer ; tout ce qui précède, le texte lui-même n'est qu'une préparation à l'arrivée du théâtre. Maintenant ils discutent s’ils n’aiment pas le voir et lequel est lequel, et ils discutent s’ils se sont jamais rencontrés. Enfin ils disent tous. Tous les caractères Et qu’est-ce qui est arrivé. Il est arrivé qu’aucun des caractères ne les a rencontrés il ne rencontre aucun des Actes n’a rencontré aucun des Actes et ils ne se sont pas encore rencontrés ils ne se sont pas rencontrés encore. Et Doux William. Doux William n’a pas rencontré. Doux William a sa rencontre mais pas encore et Lillian aussi. Lillian va se rencontrer. A-t-elle rencontré Doux William oui ils ne se sont pas rencontrés encore ni Doux William ni les caractères ni les Actes tous ils ne se sont pas encore rencontrés. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 16 Et Doux William. Doux William n’a pas rencontré. Doux William a sa rencontre mais pas encore et Lillian aussi. Lillian va se rencontrer. A-t-elle rencontré Doux William oui ils ne se sont pas rencontrés pas encore ni Doux William ni caractères ni les Actes tous ils ne se sont pas encore rencontrés. ... Comment pouvais-je arriver qu’il pouvait être qu’on pouvait dire que c’est moi qu’un est deux, et deux est trois, et trois est quatre, et cinq est deux et un est un et un rideau peut venir et venir, le seul mot en deux syllabes est William le seul mot en deux syllabes est Lilian le seul mot en trois syllabes est caractères et le seul mot en une syllabe est Acte. Actes Rideau. Caractères Caractères Rideau. Acte Il n’y a pas un un et un Personne n’a rencontré personne Rideau peut venir. Rideau . Ce devenir est au cœur de ma pratique du théâtre, de la mise en scène, et de mes choix de textes ; et Stein me touche tout particulièrement parce que son écriture est au cœur de cette pensée. Son travail de répétition exprime, pour moi, parfaitement cette circonvolution autour du présent qui n'est présent que dans l'infime interstice temporel de l'énonciation physique des syllabes. Sa pratique de la répétition fait, de plus, parfaitement écho au travail de répétition théâtrale : faire, refaire, dire, redire, alors que l'ici maintenant se dérobe perpétuellement à notre capture de l'instant pur, de l'instantanéité de chaque chose. Restent l'écho, la résonance, la trace de cette tentative en chacun de ceux qui travaillent à faire passer des mots et l'univers qui s'y déploie, ainsi qu'en ceux qui y assistent, écoutent, regardent. Il n'y a pas d' "état" d'acteur pour moi, mais une disponibilité, une concentration, un lâcher prise mêlé à une capacité de silence et d'accueil. Une exigence, une attention particulière d'occupation de l'espace avec curiosité, humilité et gourmandise. C'est un long travail, une recherche, une pratique du monde, un exercice qui ouvre les portes de la perception et de l'inconnu. Embrasser tous les possibles d'une sensibilité, exercer ses instincts et ses capacités de corps à corps avec les matières. Il y a beaucoup d'intangible, d'invisible, d'irrésolu ; rien n'est acquis, il n’est question que de tentatives successives. Giacometti le dit mieux que moi : « Je veux rentrer dans les choses. Je crois à l’abstraction dans la mesure où elle me permet de m’approcher un peu plus de la réalité. » Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 17 E.J. : Lise, vous ne jouez pas le texte mais vous jouez avec lui. Le texte est donc comme un partenaire sur scène. Lui arrive-t-il de vous surprendre ? De vous amener là où vous n'aviez pas prévu d'aller ? Je n'emploierais pas le mot surprise. Peut-être que c'est plutôt de l'ordre du réveil. Un profond réveil. "Jouer avec le texte," c'est une chose qui a guidé l'invention du spectacle, et c'est complètement paradoxal : je joue avec le texte, j'en fais ce que je veux et ne considère pas qu'il y aurait, quelque part, une "bonne façon de dire", qui ferait autorité. Mais pourtant : le texte n'accepte pas tout. Certaines choses - qui pourraient pourtant sembler très osées, ou très radicales - il les accepte. D'autres choses, il les rejette... Je dis "chose" mais c'est plutôt "rapport." Le spectacle est très écrit, c'est une partition, du coup je ne suis pas vraiment en position d'être surprise, je suis un peu comme une musicienne ou une chanteuse. Il se trouve que c'est une partition très exigeante, qui demande une disponibilité totale. Je sais à quoi je joue, jusqu'à quand, à quel moment ça change... je sais toujours où je vais. Ce qui change, sans cesse, c'est l'instant. A certains moments, je peux avoir l'impression que le texte se dit tout seul et que le jeu se fait tout seul... que je suis un passage, un canal. Traversée, juste traversée, à chaque seconde. Ce sont les meilleurs moments, ceux que je chéris et pour lesquels je travaille. E.J. : Avant de conclure ce très généreux échange, je souhaitais vous laisser un espace de dialogue. J'ai été très égoïste et vous ai posé toutes les questions. J'imagine que cette discussion épistolaire a suscité des réactions à la lecture des réponses de l'autre quant à son appréciation et interprétation de Stein. Lise, quelle question poseriez-vous à Emma ? Emma, s'il y avait une chose du travail de Lise sur laquelle vous souhaiteriez revenir, quelle serait-elle ? Je disparais un peu et vous laisse dialoguer. Lise Avignon : Emma, quand nous nous sommes vues pour la première fois, au café, tu as dit une chose comme "le texte me précède, il est en avance." Je n'ai pas une question précise, j'aimerais juste que tu m'en dises un peu plus à ce sujet, ou en lien. Emma Morin : Ce qui est clair c'est que Listen to Me, une pièce avant les actes précède la pièce de théâtre, le théâtre lui-même, telle est la proposition de Stein, qu'elle tient du titre au dernier mot du corps du texte. Par extension en entrant dans celui-ci et son apprentissage c'est devenu très concret : il est avant moi où quiconque qui voudrait s'en saisir ; certes c'est vrai de tout texte, mais celui-ci est élaboré sur cette idée précise de quelque chose qui a lieu avant, qui prépare à. Et cette sensation perdure quand je le dis : il n'y a pas d'incarnation, il n'y a qu'une voix qui fait entendre le texte qui parle avec texte. Le texte dialogue avec lui même, se construit, s'écoute, s'interroge, se répond, cherche, invente, se joue de lui-même. Et de fait il est effectivement toujours en avance sur moi, il ne m'appartient pas, n'est pas sorti de moi en tant que "personnage." Quelqu'un s'assoie à sa table et se demande ce que c'est qu'écrire une pièce de théâtre, ce qu'est le théâtre, et comment cela s'écrit, de quoi cela est fait. Ce n'est donc pas une pièce au sens classique ou traditionnel, c'est déjà à l'origine un pied de nez au théâtre, un jeu : ensemble de mouvements de choses ou d'êtres Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 18 produisant un effet agréable ou curieux, ensemble des mouvements de choses ou d'êtres produisant un effet agréable ou curieux, libre exercice de quelque chose. Et toutes les composantes sont là - scènes, actes, rideau, personnages - mais sans légitimité propre si ce n'est celle d'être quelque part, pour, peut-être à un moment, quelque chose. Feu d'artifice dans un crâne, une pensée qui s'amuse, une perte joyeuse dans un labyrinthe d'idée et de sensations. La célérité particulière de Stein me fait dire aussi, qu'il est en avance sur moi. Je ne peux que tenter de le suivre, au mieux au plus près, mais jamais, jamais je ne le devance et je ne peux anticiper quoi que ce soit, je suis à son service, comme une enceinte émettrice, une membrane acoustique. Un passeur de questionnements et de découvertes. Listen to Me est une partition, pour une voix ; il faut, à mon sens, une oreille et une sensibilité musicale affirmée pour ne pas trahir l'écrivain et le rejoindre. Ce travail demande beaucoup plus d'humilité que ce que l'on demande normalement aux acteurs, et c'est dans l'effacement de soi que peux surgir la Présence nécessaire à la transmission du texte de Stein. Il n'y a rien à prendre en charge, surtout ne pas prendre en charge d'ailleurs, et n'être que le véhicule, corps respiratoire, souple et disponible à tout étonnement. Emma Morin : Lise, si, aujourd'hui, "augmentée" de ce que tu as découvert, lu, réfléchi, éprouvé de l'écriture de Stein, de son univers et de son œuvre, si donc aujourd'hui tu montais un texte de Stein, choisirais-tu Le monde est rond ? Pourquoi ? Lise Avignon : Après mûre réflexion... Oui, je choisirais à nouveau Le monde est rond. Je pourrais avoir envie de monter d'autres textes de Stein, mais Le monde est rond reste le premier que je choisis. Parce que la théâtralité de ce texte me semble évidente, peut-être aussi, surtout, parce que je DEVAIS passer par ce texte dans mon parcours, parce que pour une raison un peu mystérieuse je me sens capable de faire du théâtre avec ce texte. Je peux assumer cette responsabilité ! Peut-être parce que, dans Le monde..., le corps peut être pris dans beaucoup de mouvement. C'est difficile de répondre à cette question, parce que si je n'avais pas monté Le monde est rond je voudrais monter Le Monde est rond ! ! ! Il y a aussi une autre raison, bien moins intime, et qui n'est pas la raison principale. Avec Le Monde est rond, je pensais que je montais un texte très facile d'accès... et j'ai été extrêmement surprise de voir que pour la majorité des gens ce n'était pas le cas. Alors, si Le monde... n'est pas facile d'accès, que dire alors du reste de l’œuvre de Stein ! La majorité des théâtres auxquels j'ai accès, où je peux espérer être programmée, pour l'instant, n'ont pas l'habitude de programmer des choses qui vont sur des terrains pas trop balisés... certains aimeraient bien mais veulent aussi remplir leur Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 19 salle... bref, c'est compliqué, disent-ils. Apparemment mon spectacle et le texte posent un problème de "classement." Alors voilà : je ne sais pas si les portes ne se fermeraient pas toutes devant moi si je montais un texte encore moins "accessible." J'ai envie de partir du mot "incarnation". Pendant longtemps je n'ai pas aimé ce mot parce qu'il est d'ordinaire relié à la notion de personnage qui ne m'a jamais trop parlée. Mais la chair ?... et la peau, le cœur, les organes... Je pourrais dire que je ne travaille pas sur le corps, mais que le seul moyen d'accéder à ce que je veux toucher, c'est le corps ! Lise Avignon : Et toi ? Comment ça se noue, pour toi, corps et texte ? Tu donnes pleins d'indices, je crois que, plus précisément, j'aimerais que tu me dises des choses sur ton rapport au mouvement. Emma Morin : Le texte est corps ET mouvement. Corps, toujours je pense ; par exemple la lecture d’un récit va imprimer en nous la sensation physique qui se produisait dans le déchiffrage instantané de la lecture des pages. Quand il s’agit de lire à haute voix ou de dire un texte c’est l’organe physique qui est alors en jeu avant tout autre chose. Véhicule. Le texte est corps en lui - même aussi, par sa structure d’écriture. Mouvement par ce qu’infléchissant des vibrations, que le corps physique peut accueillir et laisser être. J’ai surtout eu une pratique musicale et sportive avant de m’intéresser à y ajouter la parole, et je crois que c’est cette appréhension du corps dans l’espace depuis enfant qui conduit ma sensibilité. Après plusieurs années sur la poésie d’Arthur Rimbaud - qui est la plus vaste et incroyable écriture qui soit pour moi -, j’ai découvert avec l’étude de la prosodie, qu’elle est comme le cœur de la recherche, car elle est l’espace physique où la lettre et la syllabe sont vibratoires unissant dedans et dehors. La formulation du mot est corps et mouvement, il faut se défaire du reste, longue pratique il me semble. Avec Stein c’est affirmé une sorte d’ascèse, d’économie, concentration corporelle plus aigüe. Peut-être parce que l’écriture elle-même n’est pas théâtrale mais poème, et que l’adresse est présentation plus que représentation. Le corps est passage, canal, d’un mouvement de sons assemblés en une partition, il n‘est question que de ça au plateau pour moi. Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 20 E.J. : Un grand merci à vous deux ; merci pour ce bel échange et merci de rendre hommage comme vous le faites à l’œuvre de Gertrude Stein. RÉSUMÉS Entretien croisé avec Lise Avignon et Emma Morin, metteurs en scène et interprètes de Le Monde est rond et Listen to Me de Gertrude Stein. L’entretien a été réalisé par courriels de juin à août 2016. Interview with Lise Avignon and Emma Morin, directors and actresses of Le Monde est rond and Listen to Me by Gertrude Stein. The interview was conducted by emails from June, 2016 to August, 2016. INDEX Keywords : Gertrude Stein, theatre, unnamable, movement, space, voice, body Mots-clés : Gertrude Stein, théâtre, innommable, mouvement, espace, voix, corps Thèmes : Theater AUTEUR EMELINE JOUVE Maître de conférence/ Associate Professor INU Champollion/Université Toulouse Jean-Jaurès emeline.jouve@gmail.com Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen... Miranda, 13 | 2016 21 Gertrude Stein au théâtre : Le monde est rond (G. Stein, L. Avignon) ; Listen to Me (G. Stein, E. Morin)